Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 mai 2020, R.G. 2019/AL/645
Mis en ligne le lundi 14 décembre 2020
Cour du travail de Liège (division Liège), 26 mai 2020, R.G. 2019/AL/645
Terra Laboris
Dans un arrêt du 26 mai 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) pose la question de l’interprétation de l’article 65 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 au sens de l’article 53 du Règlement n° 883/2004, étant de savoir s’il s’agit d’une disposition anti-cumul au sens de celui-ci, la cour posant également – sans encore y répondre dans cet arrêt – celle de savoir si l’article 53 du Règlement ne s’applique qu’aux dispositions anti-cumul prévues par un régime national de pensions.
Les faits
Une bénéficiaire d’allocations de chômage d’origine polonaise se voit notifier en juillet 2017 une décision de l’Institution d’assurances sociales polonaise, lui octroyant une pension de retraite à partir du 1er du mois. Le montant est de 129 euros par mois.
Elle en informe l’ONEm, qui s’interroge sur le cumul possible entre cette prestation et les allocations de chômage en Pologne. C’est à l’intéressée qu’il est demandé d’obtenir l’attestation requise. Quelques mois plus tard, elle est auditionnée et précise ne pas avoir de réponse claire à la question. Elle fait l’objet alors d’une décision d’exclusion sur le base de l’article 65, § 1er, de l’arrêté royal organique, le remboursement demandé étant de 3.140 euros.
La décision administrative est motivée par le fait que la preuve du cumul n’est pas apportée et que, en sus, elle n’aurait pas fait la déclaration requise dans le délai réglementaire.
L’institution polonaise informe alors l’assurée sociale que la perception d’allocations de chômage n’a pas d’incidence sur l’octroi de sa pension. Il annonce cependant quelque temps après que la pension de retraite ne peut pas être cumulée avec des allocations polonaises de chômage.
Suite au recours introduit par l’intéressée, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) met à néant la décision de l’ONEm et rétablit celle-ci dans ses droits.
L’ONEm interjette appel du jugement.
Position de l’ONEm devant la cour
Pour l’ONEm, il découle de l’article 65, § 2, alinéa 2, 2°, que l’interdiction de cumul doit être examinée dans le cadre du régime polonais et non en ce qui concerne les allocations de chômage belges.
Pour l’Office, à partir du moment où la législation étrangère interdit le cumul, il est logique que la législation belge l’interdise aussi, faisant d’ailleurs renvoi à la question de la perception d’une pension complète en Belgique. Il fait encore valoir qu’une législation nationale ne peut se prononcer sur la possibilité de cumul que pour son propre pays et non dans le cadre d’une législation étrangère. L’ONEm tire également argument de la condition de l’article 65, § 2, alinéa 2, 2°.
La décision de la cour
La cour résume la question juridique posée, étant que la contestation porte sur les deux conditions de l’article 65, § 2, alinéa 2, 1° et 2°, s’agissant de vérifier si le régime sur la base duquel la pension est accordée (i) interdit ou non le cumul de la pension avec les allocations et (ii) subordonne ou non le bénéfice de la pension ou le montant de celle-ci à des conditions qui limitent la disponibilité pour le marché de l’emploi.
Pour ce qui est de la première question, pour laquelle l’ONEm considère que l’article 65 vise l’interdiction de cumul dans le régime de pension polonais, la cour constate que la position du tribunal a été différente, puisqu’il a considéré la première condition remplie, le régime polonais n’interdisant pas le cumul de la pension polonaise avec les allocations de chômage belges.
La question de l’interdiction de cumul entre une pension de retraite polonaise et des allocations de chômage polonaises n’est pas visée à l’article 65, qui vise le cumul des allocations de chômage belges avec une pension de retraite complète (ou incomplète à certaines conditions, faisant dépendre la possibilité de cumul de l’existence ou non d’une règle anti-cumul dans le régime de pension concerné).
La cour renvoie à la législation belge en matière de pensions, selon laquelle un tel cumul ne serait pas possible (article 25 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967). Cependant, la question n’a pas été examinée eu égard au Règlement de coordination n° 883/2004.
La cour en rappelle les considérants 29 et 31, selon lesquels il a notamment pour but de protéger les travailleurs contre une application trop rigoureuse des clauses anti-cumul nationales, déterminant à cette fin les limites dans lesquelles elles peuvent s’appliquer. Dans ses articles 53 et suivants, il a élaboré un régime complexe en matière de pensions de vieillesse et de survie, distinguant notamment les cumuls de prestations de même nature et de celles de nature différente.
La cour ordonne dès lors la réouverture des débats aux fins de vérifier l’application du règlement à la présente espèce. La question essentielle posée est de savoir si l’article 65 de l’arrêté royal organique est une clause anti-cumul au sens de l’article 53 du Règlement (article 53.3.d)), s’agissant de savoir si la règle qu’il contient (selon laquelle la prestation due ne peut être réduite que dans la limite du montant de ces prestations ou de ces revenus) limite la portée de l’article 65 ou s’il ne concerne au contraire que les clauses anti-cumul contenues dans un régime national de pension. En effet, s’il s’agit d’une disposition anti-cumul, la question se pose de déterminer l’étendue de la réduction des allocations de chômage (dans la limite dans la pension étrangère). Si, par contre, l’article 53 du Règlement ne s’appliquait qu’aux dispositions anti-cumul prévues par un régime national de pension, c’est alors à l’institution polonaise d’appliquer sa clause anti-cumul. Elle pourrait dès lors, selon la cour, considérer que les allocations de chômage belges absorbent en quelque sorte la pension de retraite incomplète, puisqu’elles sont plus élevées que celles-ci. Si, au contraire, la pension de retraite devait être maintenue sans entamer les allocations de chômage belges, l’on pourrait conclure que le but du Règlement n’est pas atteint.
Pour la cour, à ce stade de l’examen du dossier, les dispositions qui viendraient empêcher l’application de la règle anti-cumul polonaise en cas de perception d’allocations de chômage belges n’apparaissent pas. La législation polonaise n’étant pas produite, la cour renvoie la balle dans le camp de l’ONEm, à charge pour lui d’interpeller l’institution polonaise dans le cadre du principe de coopération loyale afin d’obtenir plus de précisions à cet égard et de l’inviter éventuellement à revoir sa position.
Sont également demandées, de la part de l’ONEm, des traductions de la réglementation polonaise pertinentes, de même que l’ensemble des circulaires et instructions administratives belges concernant l’article 65 de l’arrêté royal et, encore, celles concernant le Règlement n° 883/2004.
Intérêt de la décision
La question à trancher par la Cour du travail de Liège (division Liège) est importante, s’agissant de l’interprétation de l’article 65 de l’arrêté royal organique, eu égard aux dispositions du Règlement de coordination n° 883/2004.
La cour, à ce stade, pose les questions de principe, étant qu’il ne peut – en l’absence de communication des textes polonais – être décidé si la règle anti-cumul polonaise trouvera à s’appliquer vu la perception d’allocations de chômage belges (et non polonaises).
Il appartient à l’ONEm, dans le cadre de cette recherche d’informations, de prendre tous les contacts utiles avec l’Institution de sécurité sociale polonaise, et ce, comme le rappelle la cour, sur la base de l’article 4.3. T.U.E., vu le principe de coopération loyale et en exécution de l’obligation qui pèse sur les organes des Etats membres de faciliter l’application du droit de l’Union.
L’affaire devrait trouver son aboutissement dans quelques mois, vu la réouverture des débats à la prochaine rentrée judiciaire.
Affaire à suivre donc…