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Primes payées sur ventes de véhicules par la société de financement d’un groupe automobile : caractère rémunératoire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 août 2020, R.G. 2017/AB/29

Mis en ligne le vendredi 15 janvier 2021


Cour du travail de Bruxelles, 10 août 2020, R.G. 2017/AB/29

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 août 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence constante de la Cour de cassation : les incitants sur ventes payés à des vendeurs liés par contrat de travail avec une société concessionnaire d’un groupe, incitants payés par la société de financement de ce même groupe, constituent de la rémunération passible de cotisations de sécurité sociale.

Les faits

Deux sociétés appartenant au même groupe ont assuré successivement la promotion et le marketing de produits financiers, versant des commissions sur ventes (étant soit des commissions en espèces, soit des chèques-cadeaux) aux vendeurs occupés au sein de concessions de vente de véhicules du groupe. Ces commissions étaient versées sur les ventes de leurs produits financiers, selon un règlement interne. Des fiches fiscales 281.50 ont été émises.

Suite à un contrôle de l’O.N.S.S., une décision fut prise par cet organisme en 2015, considérant que ces sommes, versées directement à des travailleurs salariés, avaient un caractère rémunératoire au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965. Pour l’Office, ces incitants ne peuvent être détachés de l’activité des vendeurs, étant que, s’ils n’avaient pas été au service desdites concessions, ils n’auraient pu en bénéficier. Il y a dès lors un lien avec le contrat de travail. L’Office rappelle qu’il importe peu que ces incitants aient été payés par une entreprise qui n’est pas liée à ces travailleurs par un tel contrat.

Il s’agit d’un cas d’application de l’article 36 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, étant qu’un tiers payant est intervenu. Le texte de l’arrêté royal précise les obligations du tiers : lorsqu’une fraction de la rémunération est payée au travailleur par un tiers, celui-ci est substitué à l’employeur pour l’accomplissement de toutes les obligations relatives à cette rémunération qui incombent à cet employeur. Le tiers n’est déchargé que s’il a fourni à l’employeur tous les renseignements requis pour lui permettre de déclarer la rémunération dans le délai réglementaire et de transmettre le montant des retenues dès qu’elles ont été effectuées sur cette rémunération. Ceci n’étant pas le cas, l’Office conclut que la société, qui s’est substituée à l’employeur pour l’accomplissement de toutes les obligations en matière de rémunération qui incombent à ce dernier, est tenue d’effectuer le paiement des cotisations sociales pour trois exercices (2011, 2012 et 2013).

Ces montants ont été payés sous réserve, une procédure étant introduite par l’une des deux sociétés, étant celle qui, dans le temps, a poursuivi les activités de la première.

La décision du tribunal

Le tribunal a fait droit à la demande de la société et a condamné l’O.N.S.S. à rembourser les montants versés, à majorer des intérêts moratoires et judiciaires, les intérêts étant par ailleurs capitalisés sur pied de l’article 1154 du Code civil.

L’Office interjette appel.

La décision de la cour

La notion de rémunération en sécurité sociale est exposée par la cour à partir de l’article 23 de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés et de l’article 14 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Ces dispositions renvoient à la notion de rémunération telle que déterminée à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération.

Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (la cour du travail renvoyant ici à son arrêt du 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N), la circonstance qu’un tiers prend en charge l’avantage financier et non l’employeur, ni directement ni indirectement, est sans incidence : cet avantage peut constituer une rémunération au sens de l’article 2 ci-dessus.

La cour reprend également un arrêt récent de la Cour suprême (Cass., 20 mai 2019, n° S.18.0063.F), qui a précisé que sont rémunératoires les avantages en argent ou évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de l’engagement, bien qu’ils ne constituent pas la contrepartie du travail fourni. La rémunération allouée pour le travail effectué en raison du contrat de travail constitue dès lors de la rémunération au sens de l’article 2 et, en vertu des articles 14 de la loi du 27 juin 1969 et 23 de la loi du 29 juin 1981, elle entre en ligne de compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. Cette jurisprudence de la Cour de cassation a été rappelée dans un arrêt très récent de la cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 25 juin 2020, R.G. 2019/AB/250).

La cour renvoie encore aux conclusions du premier avocat général LECLERCQ précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 1990 (Cass., 10 septembre 1990, Pas., 1991, 24), selon qui le terme « droit » (figurant à l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération) n’est pas un élément de la définition mais vise à étendre la notion de rémunération à certains avantages auxquels un travailleur peut prétendre alors même que ceux-ci ne constitueraient pas la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat. C’est également la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles dans l’arrêt ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation du 20 mai 2019 ci-dessus (C. trav. Bruxelles, 7 mars 2018, R.G. 2015/AB/316).

La cour en vient ensuite brièvement aux obligations du tiers payant une partie de la rémunération, reprenant le texte de l’article 36, § 1er, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

En l’espèce, l’analyse des éléments de fait démontre indubitablement que les travailleurs occupés au sein des concessions de vente plaçaient les produits financiers des sociétés dans le prolongement de leur activité, ces ventes de produits financiers intervenant en raison et à l’occasion de l’exécution de leur contrat de travail. En outre, la cour note que la rémunération était variable, étant partiellement composée de commissions sur les ventes de véhicules neufs et qu’une grille était à cet égard appliquée. La rémunération des vendeurs était donc en partie calculée sur la vente de ces produits financiers.

Il s’agit dès lors de montants versés en contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail et ces commissions constituent une rémunération passible de cotisations de sécurité sociale. En application de l’article 36, § 1er, vu que les sociétés n’ont pas fourni aux employeurs tous les renseignements requis pour leur permettre de déclarer les rémunérations en question, il y a lieu pour elle de payer les cotisations de sécurité sociale.

La cour accueille dès lors l’appel, confirmant la décision de l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

La jurisprudence en la matière est constante. La cour du travail renvoie à deux arrêts de la Cour de cassation, respectivement rendus les 10 octobre 2016 et 20 mai 2019.

Ce dernier arrêt a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 mars 2018 (R.G. 2015/AB/316 – précédemment commenté) relatif à des primes versées à des vendeuses de parfumerie. Celles-ci ne fournissaient pour la société fabricante aucune autre prestation que celles prévues dans le contrat de travail qui les liait aux magasins de distribution. Il fut par ailleurs constaté qu’elles n’avaient pas de contacts avec les responsables de la société ailleurs que sur le lieu de travail et qu’aucune relation contractuelle n’existait avec elles. La cour du travail avait dès lors retenu le caractère rémunératoire des primes versées au sens de contrepartie du travail fourni, le fait de ne pouvoir faire valoir un droit à l’égard de l’employeur n’ayant pas pour conséquence d’ôter à ces primes ce caractère.

Dans son arrêt du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.18.0063.F – également précédemment commenté), elle a rappelé que l’obligation de l’employeur de payer la rémunération n’est pas un élément distinct de la notion de rémunération mais une conséquence nécessaire de l’exécution d’un travail en vertu du contrat de travail.

Dans son arrêt du 10 août 2020, la cour du travail renvoie à une décision précédente rendue le 25 juin 2020 (C. trav. Bruxelles, 25 juin 2020, R.G. 2019/AB/250). Dans cet arrêt (rendu par un autre siège de la cour du travail), il s’agissait également d’une société de financement proposant des produits et services liés à la vente de véhicules automobiles. La cour du travail y avait également conclu que les incitants octroyés par cette société de financement aux vendeurs au service de concessionnaires, le sont en contrepartie du travail effectué en exécution du contrat de travail.


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