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Indemnité compensatoire de préavis : évaluation des avantages de toute nature (bruts ou nets ?) et droit à des primes

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 7 décembre 2020, R.G. 19/3.129/A

Mis en ligne le vendredi 26 mars 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 7 décembre 2020, R.G. 19/3.129/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 décembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions dans lesquelles un usage peut exister, dans une entreprise, ouvrant le droit à des primes. Il tranche également la question de savoir si les avantages de toute nature doivent être « brutés » ou calculés en termes nets pour la fixation de l’indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Un cadre est engagé en 2010 par une société sidérurgique, avec une ancienneté conventionnelle remontant à 1986. Quatre ans et demi plus tard, il est licencié moyennant préavis à prester. Celui-ci est de vingt-huit mois et huit semaines. Deux ans et demi après le début de la prestation, une convention lui est proposée, en vue d’acter une dispense de prestation du solde du préavis, avec paiement d’une indemnité. L’intéressé la refuse et preste ce préavis jusqu’à son terme.

Il réclame, ensuite, des sommes à la société, étant essentiellement la rémunération de jours correspondant à des jours de suspension du préavis non pris en compte par la société, ainsi que des primes dues pour la période du préavis lui-même.

Une procédure est en fin de compte introduite devant le Tribunal du travail de Liège.

La décision du tribunal

Le tribunal examine le droit auxdites primes, ainsi que la question des jours de suspension du préavis et plus particulièrement la valorisation de ceux-ci.

Sur la question des primes, pour laquelle un montant de l’ordre de 135.000 euros est postulé, il note que le paiement n’est prévu dans aucune disposition légale, réglementaire ni conventionnelle et que le cadre ne peut fonder sa demande que sur un usage.

Il reprend, en conséquence, les conditions de l’usage en tant que source de droit, étant que celui-ci doit remplir plusieurs conditions : stabilité (ou fixité), généralité et constance. Il en définit les conditions comme suit :

  • La stabilité signifie que les montants accordés en vertu de l’usage ne dépendent pas uniquement de l’appréciation de l’employeur mais de critères mathématiques fixés au préalable.
  • La généralité implique que tous les travailleurs d’une entreprise (ou d’une catégorie) sont concernés.
  • La constance (ou permanence) signifie qu’il n’y a pas eu d’interruption pendant une période suffisamment longue.

Le tribunal s’appuie ici sur la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium de droit social) ainsi que sur une décision de la Cour du travail de Liège du 13 novembre 2002 (C. trav. Liège, 13 novembre 2002, Ors., 2003, p. 26).

L’usage est, par ailleurs, une source de droit inférieure au contrat de travail. Il n’est dès lors pas question d’usage si le contrat l’a expressément exclu (renvoyant notamment à Cass., 3 avril 1978, n° 2.064). Or, une telle mention figure dans le contrat, qui stipule que les primes qui seraient éventuellement accordées ne sont garanties au travailleur ni quant à leur existence ni quant au montant. Il est également précisé que le fait que celles-ci seraient payées plusieurs années de suite ne peut jamais être considéré comme un usage, l’employeur conservant le droit de décider chaque année de l’octroi d’une prime et d’en fixer le montant.

Vu cette exclusion conventionnelle, le tribunal conclut que l’employé n’a pas de droit subjectif à obtenir celles-ci. Il fait par ailleurs grief à l’intéressé, et ce surabondamment, de ne pas démontrer que toutes les conditions d’un usage sont remplies.

Il aborde ensuite la question de la valorisation des jours de suspension, le nombre de ceux-ci ne faisant plus l’objet de discussion. Les parties étant cependant opposées quant au montant des avantages en nature, il examine ceux-ci. C’est moins un problème d’évaluation que de détermination de la valeur de ces avantages dans la rémunération à prendre en compte, l’employé ayant « bruté » le montant net des avantages en le multipliant par 2,1. Il s’agit dans son calcul de prendre en compte le précompte professionnel de 45% ainsi que la quote-part travailleur des cotisations de sécurité sociale. Il fait valoir que la non-prise en compte des journées de suspension par la société est le fruit d’une erreur de sa part à elle et qu’il sera lésé si les montants sont intégrés en net dans l’indemnité qui lui reste due à ce titre.

Pour le tribunal, il faut renvoyer à l’article 39, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978, qui dispose que, si l’employeur résilie le contrat sans respecter le délai de préavis légal, il est tenu de payer une indemnité égale à la rémunération en cours (correspondant soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de celui-ci restant à courir).

Cette disposition ne prévoit pas qu’il s’agit, dans cette hypothèse, d’octroyer au travailleur des arriérés de rémunération.

En cours de contrat, les avantages en nature sont en principe soumis aux cotisations sociales et au précompte professionnel, étant constitutifs de rémunération. En fin de contrat, cependant, lorsqu’ils sont intégrés dans le calcul de l’indemnité, ils sont soumis au régime des retenues sociales et fiscales applicables à l’indemnité compensatoire de préavis.

Il ne peut être question de « bruter » les avantages en nature, et ce pour deux motifs :

  • Le premier est que le paiement de l’indemnité n’a pas vocation à placer le travailleur dans la même situation que s’il avait presté le préavis, et le tribunal de préciser que l’indemnité ne vient pas réparer un préjudice, mais qu’il s’agit d’un autre mode de rupture prévu par la loi, celui-ci ayant pour conséquence que les événements postérieurs à la rupture du contrat ne sont pas pris en compte. Ainsi, une éventuelle augmentation de rémunération qui interviendrait ou encore le fait que le travailleur aurait retrouvé du travail.
  • Le second est que le fait de « bruter » les avantages n’aurait pas pour effet de placer le travailleur dans la même situation que si la société avait correctement calculé le préavis, dans la mesure où les situations ne sont pas comparables (absence de prestation et retenues effectuées malgré tout sur les avantages en cours de contrat).

La position de l’employé est dès lors rejetée, les montants pris en compte étant le net.

Vu la solution donnée précédemment quant à l’absence de droit aux primes, le tribunal conclut qu’elles ne doivent pas davantage être intégrées dans la rémunération en cours au jour de la rupture.

Il fixe, en conséquence, la rémunération à prendre en compte et condamne la société au paiement des journées manquantes sur cette base.

Intérêt de la décision

Plusieurs points récurrents sont examinés par le tribunal dans ce jugement.

D’abord, l’usage en tant que source de droit. Le tribunal renvoie à cet égard à divers arrêts de la Cour de cassation. Outre celui du 3 avril 1978 dont question ci-dessus, il rappelle que la Cour s’est encore prononcée dans deux arrêts ultérieurs, l’un du 13 février 1984 (Cass., 13 février 1984, n° 4.156) et l’autre du 18 septembre 2000 (Cass., 18 septembre 2000, n° S.00.0031.N).

La fiche 3 de Juportal synthétise l’enseignement de ce dernier arrêt comme suit : les parties peuvent convenir, dans le contrat de travail, que l’octroi de primes d’encouragement ou d’avantages similaires pendant l’exécution du contrat n’implique pour l’employeur aucune obligation d’allouer ces primes dans l’avenir et que, partant, le travailleur ne peut faire valoir un droit acquis à l’octroi, pour l’avenir, de celles-ci ; une telle réserve quant à l’octroi de tels avantages ne peut concerner que l’octroi ou son importance dans l’avenir et il n’en résulte pas que les primes d’encouragement que l’employeur a déjà versées effectivement au travailleur ne sont pas des rémunérations. Les fiches 5 et 6 précisent respectivement que l’usage ne peut déroger à une clause expresse du contrat de travail et qu’il ne constitue pas une source complémentaire d’obligations lorsque la convention l’a, fût-ce de manière implicite, écartée en tant que telle.

Ces précisions sont utiles eu égard à la hiérarchie des sources de droit reprise à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Un deuxième point important est le calcul des avantages de toute nature pour leur inclusion dans l’indemnité compensatoire de préavis. Le tribunal a exposé que cette indemnité ne constitue pas des arriérés de rémunération et que la situation du travailleur est distincte s’il preste son préavis ou non, cette distinction ayant des effets sur l’évaluation des avantages en nature dans l’indemnité compensatoire.


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