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Ressortissants de pays tiers : droit à l’égalité de traitement

C.J.U.E., 25 novembre 2020, Aff. n° C-303/19 (ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS) c/ VR), EU:C:2020:958

Mis en ligne le lundi 12 avril 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 25 novembre 2020, Aff. n° C-303/19 (ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS) c/ VR), EU:C:2020:958

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne a rappelé les objectifs de la Directive n° 2003/109/CE, étant d’assurer le droit à l’égalité de traitement des ressortissants de pays tiers, résidents de longue durée dans un Etat membre de l’Union européenne.

Les faits

Un ressortissant d’un pays tiers est employé en Italie. Il est titulaire d’un permis de séjour de longue durée depuis 2010. Entre septembre 2011 et avril 2014, son épouse et leurs enfants ont résidé dans leur pays d’origine. Pendant cette période, l’INPS a refusé le paiement d’une allocation « en faveur des ménages » (allocation dont le montant dépend du nombre d’enfants de moins de 18 ans composant le ménage ainsi que des revenus de celui-ci).

Le Tribunale del lavoro di Brescia (Tribunal du travail de Brescia) a été saisi au motif du caractère discriminatoire du refus opposé à la demande. Il a accueilli le recours, écartant la disposition nationale qui prévoit que ne font pas partie du ménage le conjoint ainsi que les enfants et assimilés du ressortissant d’un pays tiers qui ne résident pas sur le territoire italien, sauf si l’Etat dont est issu le ressortissant étranger réserve un traitement réciproque aux citoyens italiens ou a conclu une convention internationale en matière de prestations familiales.

L’INPS a interjeté appel devant la Corte d’appello di Brescia (Cour d’appel de Brescia), qui a rejeté celui-ci au motif que l’allocation en faveur des ménages est une prestation essentielle d’assistance sociale qui ne peut relever des dérogations à l’égalité de traitement autorisées par la Directive n° 2003/109.

Un pourvoi a été formé devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), qui interroge la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question préjudicielle porte sur l’article 11, § 1er, sous d), de la Directive n° 2003/109 ainsi que sur le principe d’égalité de traitement entre les résidents de longue durée et les résidents nationaux. La Cour de cassation demande si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles font obstacle à une législation nationale selon laquelle, contrairement à ce qui est prévu pour les ressortissants de l’Etat membre, les membres de la famille du travailleur résident de longue durée et issu d’un pays tiers, s’ils résident eux-mêmes dans leur pays d’origine, sont exclus du cercle des membres du ménage pris en compte aux fins du calcul de l’allocation en faveur des ménages.

La décision de la Cour

La Cour fait un premier rappel des principes relatifs à la portée du droit de l’Union, étant qu’il ne limite pas la compétence des Etats membres d’organiser leurs régimes de sécurité sociale. Lorsque les Etats membres exercent leur compétence, ils doivent cependant se conformer à celui-ci (avec rappel de l’arrêt ELCHINOV, C.J.U.E., 5 octobre 2010, Aff. n° C-173/09).

La Directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, prévoit un droit à l’égalité de traitement. C’est la règle générale.

Les Etats peuvent établir des dérogations mais celles-ci doivent être interprétées de manière stricte et ne sauraient dès lors être invoquées que si les instances de cet Etat membre compétentes pour la mise en œuvre de la Directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de dérogations.

Renvoyant au considérant n° 4 de la Directive, la Cour rappelle que l’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les Etats membres est un objectif de la Directive et qu’il ne peut être déduit de ce considérant que le résident de longue durée dont les membres de la famille ne résident pas sur le territoire de l’Etat concerné doit être exclu du droit à l’égalité de traitement prévu à l’article 11, § 1er, sous d), de la Directive, une telle exclusion n’étant au demeurant établie par aucune disposition de celle-ci.

L’INPS et le Gouvernement italien précisant que l’intégration suppose une présence sur le territoire, la Cour rejette cette manière de voir, soulignant que le fait d’exclure du droit à l’égalité de traitement le résident de longue durée, même lorsque les membres de sa famille ne se trouvent pas, pendant une période qui peut être temporaire, sur le territoire de l’Etat membre concerné, ne saurait être considéré comme conforme aux objectifs poursuivis. L’Etat membre ne peut, en conséquence (sauf dérogation autorisée par l’article 11, § 2, de la Directive), refuser ou réduire le bénéfice d’une prestation de sécurité sociale au résident de longue durée au motif que les membres de sa famille résident dans un pays tiers dès lors qu’il accorde ce bénéfice à ses ressortissants indépendamment du lieu de résidence des membres de leur propre famille (considérant n° 30).

Il s’agit en l’espèce d’une prestation de sécurité sociale qui relève du champ d’application de l’article 11, § 1er, sous d), de la Directive (qui inclut, dans le droit à l’égalité de traitement, les matières de la sécurité sociale, de l’aide sociale et de la protection sociale telles que définies par la législation nationale). Pour la Cour, tant le non-versement de l’allocation que la réduction du montant de celle-ci, selon que les membres de la famille sont tous, ou certaines d’entre eux seulement, en dehors du territoire, sont contraires au droit à l’égalité de traitement : il s’agit d’une différence de traitement entre les résidents de longue durée et les résidents italiens.

Ne constitue pas une justification satisfaisante le fait que ces personnes seraient dans une situation différente en raison de leurs liens respectifs avec l’Etat membre, cette justification étant contraire à l’objectif de la Directive, qui impose une égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale.

La Cour considère, en conséquence, qu’il y a opposition entre la Directive n° 2003/109/CE et la législation nationale selon laquelle ne font pas partie du ménage le conjoint ainsi que les enfants (et assimilés) du ressortissant d’un pays tiers qui ne résident pas sur le territoire de la République italienne, sauf clause de réciprocité. Une exception serait admise, étant que la République italienne aurait clairement exprimé qu’elle entendait se prévaloir de la dérogation permise par l’article 11, § 2 (qui prévoit que l’Etat membre peut limiter l’égalité de traitement au cas où le lieu de résidence enregistré ou habituel du résident de longue durée ou celui de membres de sa famille pour lesquels il demande des prestations se trouve sur son territoire). Or, une telle intention n’a pas été exprimée par l’Etat membre lorsqu’il a transposé la Directive n° 2003/109 dans son droit national. La Cour relève encore que la loi italienne est antérieure à la transposition.

La réponse de la Cour est donc claire : la réglementation d’un Etat membre ne peut, aux fins de déterminer les droits à une prestation de sécurité sociale, refuser de prendre en compte les membres de la famille du résident de longue durée qui résident non sur le territoire de l’Etat membre mais dans un pays tiers, alors que sont pris en compte les membres de la famille du ressortissant dudit Etat membre qui résident dans un pays tiers, lorsque ce même Etat membre n’a pas exprimé son intention de se prévaloir de la dérogation à l’égalité de traitement permise par l’article 11, § 2, de la Directive en transposant celle-ci dans le droit national.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice rappelle les objectifs de la Directive n° 2003/109/CE relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, son article 11 posant le principe du droit à l’égalité de traitement, droit qui peut connaître une limitation conformément au point 2 de la même disposition. L’Etat italien n’ayant pas recouru à cette possibilité lors de la transposition de la Directive, le maintien de l’exclusion dans son droit national du bénéfice de l’allocation en faveur des ménages dans l’hypothèse tranchée est contraire au droit européen.

Il faut souligner que, le même jour, la Cour a rendu un deuxième arrêt, toujours sur question préjudicielle de la Cour de cassation d’Italie (C.J.U.E., 25 novembre 2020, Aff. n° C-302/19, ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS) c/ WS), dans le cadre de la Directive n° 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un Etat membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un Etat membre.

Il s’agissait également, dans cette affaire, du rejet d’une demande d’allocations familiales pour des périodes durant lesquelles l’épouse et les enfants de l’intéressé avaient résidé dans leur pays d’origine. La réponse de la Cour de Justice a été que l’article 12, § 1er, sous e), de la Directive n° 2011/98/UE s’oppose à la réglementation de l’Etat membre qui, aux fins de la détermination des droits à une prestation de sécurité sociale, ne prend pas en compte les membres de la famille du titulaire d’un permis unique qui résident non sur le territoire de cet Etat membre mais dans un pays tiers, alors que sont pris en compte les membres de la famille du ressortissant dudit Etat membre qui résident dans un pays tiers.


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