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Sur le devoir d’information d’initiative des institutions de sécurité sociale au sens de l’article 3 de la Charte de l’assuré social et des articles 24 et 26bis, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991

Commentaire de Cass., 14 décembre 2020, n° S.19.0034.F

Mis en ligne le jeudi 29 avril 2021


Cour de cassation, 14 décembre 2020, n° S.19.0034.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 décembre 2020, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 26bis, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, l’obligation d’information du bénéficiaire d’allocations repose à titre principal sur l’organisme de paiement et ne repose qu’à titre subsidiaire sur l’ONEm (s’agissant en l‘espèce d’une contestation quant aux mentions du formulaire C1 rempli au moment de la demande d’allocations)

Les faits de la cause

Mme T. avait, en août 1989, alors qu’elle travaillait dans le secteur bancaire, constitué avec son époux expert-comptable la S.C.R.L. T., dont elle a été nommée administrateur gérant à titre gratuit.

Elle a démissionné de ce mandat le 25 novembre 1997 et demandé le bénéfice des allocations de chômage le 28 novembre 1997. Dans le formulaire C1, elle a coché la seule mention de sa cohabitation avec un travailleur indépendant et, dans le C1A, elle a répondu négativement à la question portant sur l’aide à ce travailleur.

Le 1er juillet 2010, Mme T. a été renommée administrateur-gérant à titre gratuit de la S.C.R.L. T., puis, le 12 avril 2012, nommée en la même qualité et à titre gratuit d’une S.A. dont son époux possédait des parts.

Elle a démissionné de ces deux mandats le 22 septembre 2015.

Par courrier du 24 novembre 2015, l’ONEm la convoque pour qu’elle s’explique sur ces mandats.

Le 15 février 2016, l’ONEm l’exclut du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er juillet 2010, décide de la récupération des allocations payées à partir du 1er janvier 2013 et prononce une sanction administrative de 26 semaines. Le 7 mars 2013, la décision est revue en ce sens que l’exclusion est limitée à la période se terminant le 31 décembre 2015 et la récupération limitée à la période se terminant le 21 septembre 2015.

Mme T. a formé contre ces décisions des recours recevables devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par jugement du 3 novembre 2017, le tribunal a dit ces recours non fondés sauf en ce qui concerne la sanction administrative, limitée à quatre semaines.

L’arrêt attaqué, prononcé par la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles le 6 mars 2019 (R.G. 2017/AB/1.058), confirme cette décision.

L’arrêt attaqué

Cet arrêt décide tout d’abord que l’exercice d’un mandat dans une société commerciale constitue, en principe, une activité pour compte propre qui dépasse la gestion normale des biens propres par les obligations légales du mandataire-gérant, qui impliquent que l’on continue à assumer de manière permanente des responsabilités administratives légales en sorte que l’exercice d’une telle activité ne peut être considéré, au sens de la réglementation du chômage, comme étant de minime importance. Il retient également que les allégations de la chômeuse quant au caractère très réduit de ses activités ne sont pas crédibles. Il conclut que son activité rentrait dans la notion d’échanges de biens et de services et a été exercée dans un but lucratif. L’exclusion des allocations de chômage à partir du 1er juillet 2010 et la récupération desdites allocations dans les limites de la prescription sont donc justifiées.

L’arrêt écarte ensuite le moyen de la chômeuse pris de la violation par l’ONEm de son obligation de lui donner d’initiative les informations utiles concernant ses droits et le maintien de ceux-ci dès lors que le formulaire C1 rempli au moment de la demande d’allocations le 28 novembre 1997 ne contient aucune information quant à l’obligation pour le chômeur de déclarer un mandat d’administrateur exercé à titre gratuit. Ce formulaire se limite en effet à demander au chômeur de répondre par oui ou par non aux deux questions suivantes : « Exercez-vous un mandat politique ? » et « Exercez-vous une activité indépendante, une profession accessoire, ou aidez-vous un indépendant ? ». Il ne permet donc pas de savoir qu’il doit déclarer le fait d’être détenteur d’un mandat non-rémunéré.

Mme T. soutenait que l’ONEm avait ainsi violé les articles 3 et 6 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social et les articles 24 et 26bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Le formulaire C1 étant établi par cette institution de sécurité sociale, c’est sur elle et non sur l’organisme de paiement que pesait l’obligation d’information sur ce point et cette information n’était pas subordonnée à une demande ou déclaration préalable de l’assuré social ou à une circonstance particulière. Cette violation constituait une faute dont la chômeuse demandait la réparation conformément aux articles 1382 et 1383 du Code civil.

L’arrêt attaqué y oppose notamment que la teneur du document C1 rempli le 28 novembre 1997 est sans pertinence sur l’absence de déclaration le 1er juillet 2010 de son mandat auprès de la S.C.R.L. T. Outre les circonstances de fait spécifiques à la cause (formation de la chômeuse, reprise d’un mandat dont elle avait démissionné trois jours avant de solliciter le bénéfice des allocations de chômage…), la cour du travail relève que l’obligation d’information repose à titre principal sur l’organisme de paiement, qui n’est pas à la cause et, en outre, que l’ONEm n’aurait pu assurer cette obligation à défaut d’une déclaration ou de circonstances particulières qui auraient pu justifier sa mise en œuvre.

L’arrêt attaqué rejette enfin la prétention de Mme T. à voir limiter la récupération de l’indu aux 150 derniers jours d’indemnisation indue par application de l’article 169 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 vu sa bonne foi. La cour du travail rappelle que la preuve de celle-ci pèse sur le chômeur et décide que cette preuve n’est pas rapportée aux motifs notamment que l’ignorance des règles de base de la réglementation ne suffit pas, relevant les éléments de fait qui auraient dû alerter la chômeuse compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle.

La requête en cassation

La demanderesse ne critique pas la décision de l’arrêt que l’activité d’administrateur de société est considérée comme étant exercée dans un but lucratif même en l’absence de revenus, en sorte qu’elle ne peut l’être par un chômeur que dans les conditions prévues par l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et notamment celle de la déclaration préalable, qui est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Le premier moyen critique les motifs de l’arrêt écartant son soutènement que l’ONEm avait violé son obligation de lui donner d’initiative les informations utiles concernant ses droits et le maintien de ceux-ci, le formulaire C1 souscrit au moment de sa demande ne mentionnant pas l’obligation de déclarer un mandat d’administrateur à titre gratuit, faute sans laquelle son dommage consistant à devoir rembourser l’indu ne serait pas survenu car elle aurait rempli ses obligations de déclaration.

La première branche invoque le défaut de motivation de l’arrêt au regard de l’article 149 de la Constitution.

La troisième branche critique l’arrêt en ce qu’il a considéré cette discussion sur la teneur du C1 comme étant « sans pertinence ». Ces critiques et la réponse qu’y apporte la Cour de cassation ne présentent pas d’intérêt doctrinal.

La deuxième branche fait grief à l’arrêt d’avoir retenu que l’obligation d’information d’initiative prévue par les articles 24 et 26bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 reposait à titre principal sur l’organisme de paiement et ne reposait sur l’ONEm que si la réponse à la demande d’information n’incombait pas à l’organisme de paiement. La demanderesse soutient que, dans la mesure où l’ONEm établit les documents relatifs à la demande d’allocations, c’est à lui qu’incombe l’obligation de donner au chômeur, d’initiative et sans condition de demande préalable, toutes les informations utiles au maintien de ses droits.

Le second moyen critique l’arrêt en ce qu’il a refusé de reconnaître la bonne foi de la demanderesse et, en conséquence, écarté sa prétention à voir la récupération de l’indu limitée à six mois et invoque notamment la violation de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La demanderesse souligne que la question de la compatibilité d’un mandat d’administrateur à titre gratuit avec le bénéfice des allocations de chômage est complexe et controversée et n’est donc pas une règle de base de la réglementation.

Les conclusions du parquet

Sur la deuxième branche du premier moyen, il conclut qu’il résulte « de la combinaison des articles 3 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer ‘la charte’ de l’assuré social, 24, § 1er, et 26bis, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, que l’obligation d’information incombe en priorité à l’organisme de paiement et résiduairement à l’ONEm en cas de défaillance ou de conflit d’intérêt avec l’organisme de payement (article 26bis, § 1er, alinéa 2). Le moyen, en sa deuxième branche, qui repose sur un soutènement contraire (lui) apparaît dès lors manquer en droit » (reproduit sur Juportal).

L’arrêt commenté

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle décide que les première et troisième branches du premier moyen manquent en fait.

La Cour rejette la deuxième branche du premier moyen au motif que : « En considérant qu’en vertu de l’article 26bis, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, l’obligation d’information repose à titre principal sur l’organisme de paiement (qui n’est pas à la cause), qu’elle ne repose qu’à titre subsidiaire sur [l’ONEm] », l’arrêt attaqué ne viole pas les articles 3 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social, 24, § 1er, alinéa 1er, 3°, et alinéa 3, 3°, et 26bis, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

Sur le second moyen, la Cour épingle les circonstances de fait de la cause relevées par l’arrêt attaqué (démission du mandat d’administrateur en 1997 trois jours avant la demande d’allocations et donc en relation étroite avec celle-ci, formation et expérience professionnelle de la chômeuse et de son conjoint…). Elle conclut que l’arrêt attaqué a pu légalement en déduire que la preuve de la bonne foi n’était pas apportée.

Intérêt de la décision

Il est acquis que l’obligation d’information d’initiative prescrite par l’article 3 de la Charte n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé à l’institution de sécurité sociale une information concernant ses droits et obligations (cf. l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F, qui, bien que rendu sur des conclusions contraires du ministère public, ne semble pas avoir été remis en cause). Les termes « compléments d’information » utilisés par cet article 3 n’impliquent donc pas que l’information soit une réponse à une question. Dans « Regards croisés sur la sécurité sociale » (Commission Université-Palais Anthémis sous la direction de Francine ETIENNE et Michel DUMONT), J.-F. NEVEN a traité du devoir d’information sous l’angle de l’article 3 de la Charte (pp. 171 à 194). Il synthétise ainsi la notion de « compléments d’information » comme étant un complément par rapport à ce que l’assuré social a déjà communiqué, par rapport à ce qu’il est censé savoir ou ignorer, par rapport à ce qui se trouve dans le dossier (p. 182). Mais l’obligation d’information a ses limites et n’implique pas que l’assuré social soit dispensé de ses propres obligations, celui-ci devant, notamment, connaître les règles de base de la réglementation (eodem cit., pp. 185 à 189).

Quant aux devoirs respectifs de l’ONEm et de l’organisme de paiement, cet auteur aborde l’hypothèse dans laquelle le défaut d’information allégué trouve son origine dans un formulaire de demande établi par l’ONEm. Il examine l’arrêt de la cour du travail de Mons du 1er avril 2009 (R.G. n° 20.491, consultable sur www.terralaboris.be). Dans ce litige, tant l’organisme de paiement que l’ONEm étaient à la cause. Alors que le chômeur remplissait les conditions de passé professionnel pour obtenir le complément d’ancienneté, l’ONEm ne lui en avait pas reconnu le bénéfice sans demander des preuves de ce passé qui était invoqué dans le dossier reçu de l’organisme de paiement. Il n’avait revu la décision que plusieurs années plus tard en limitant son effet rétroactif compte tenu de la prescription. Le chômeur prétendait obtenir réparation du dommage correspondant aux allocations prescrites, invoquant une faute de l’ONEm et subsidiairement de l’organisme de paiement. L’arrêt attaqué a fait droit à sa demande contre l’ONEm, qui élabore les documents et formulaires requis et a la mission première d’instruire les demandes des assurés sociaux. Le pourvoi de l’ONEm a été rejeté par la Cour dans un arrêt du 25 octobre 2010, sur conclusions contraires du Ministère public (n° S.09.0059.F sur www.terralaboris.be et Juportal). J.-F. NEVEN souligne qu’il n’est pas sûr que « l’on puisse tirer de cet arrêt un enseignement concernant un devoir d’information de l’ONEm » dès lors que celui-ci « se situe au carrefour du devoir d’information de l’organisme de paiement et du devoir de bonne administration de l’ONEm dans l’instruction de la demande » (eodem cit., pp. 189 et 190).

L’arrêt ici commenté confirme que la circonstance qu’un document prescrit par la réglementation, en l’espèce le document C1, soit établi par l’ONEm n’implique pas que l’obligation d’information sur la portée de celui-ci au regard du droit aux allocations de chômage reposerait sur cette institution de sécurité sociale.

Il permet également de souligner que, la répartition des responsabilités entre l’ONEm et les organismes de paiement quant à cette obligation d’information n’étant pas toujours évidente, le chômeur peut avoir intérêt à appeler à la cause tant l’ONEm que l’organisme de paiement.

Quant à la limitation de la récupération et à la preuve de la bonne foi, la décision de la Cour ne mérite pas de commentaire. Diverses décisions des cours et tribunaux ont balisé la matière et sont consultables notamment sur le site www.terralaboris.be.


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