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Licenciement pour motif grave et poursuite des prestations

Commentaire de C. trav. Anvers (div. Hasselt), 22 décembre 2020, R.G. 2020/AH/70

Mis en ligne le jeudi 27 mai 2021


Cour du travail d’Anvers (division Hasselt), 22 décembre 2020, R.G. 2020/AH/70

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 décembre 2020, la Cour du travail d’Anvers (division Hasselt) rappelle la règle en la matière : la poursuite des prestations de travail, même pendant une très courte période après l’envoi de la lettre recommandée de licenciement pour motif grave, permet de conclure à l’absence d’impossibilité absolue et immédiate de poursuite de la relation de travail.

Les faits

Une maison de repos et de soins a engagé en 2014 une infirmière (titulaire d’un diplôme A2).

Le contrat, à durée déterminée au départ, est renouvelé et, en fin de compte, il est transformé en contrat à durée indéterminée à partir du 1er janvier 2015. Les tâches de l’intéressée sont inchangées, s’agissant en gros de soins des résidents, d’animation, ainsi que de tenue de dossiers et d’organisation administrative.

L’occupation est à temps partiel et devient un temps plein à partir du 1er juillet 2018. Pendant cette période, l’intéressée suit un baccalauréat en soins infirmiers. Elle sollicite en juillet 2017 la fonction d’infirmière en chef (qu’elle n’obtient pas).

Elle sera licenciée par courrier recommandé du 26 septembre 2018, licenciement intervenant pour motif grave. Dans l’intervalle, elle a reçu deux avertissements, l’un du 17 mars 2015 (reproches relatifs à son comportement) et l’autre du 23 février 2018 (concernant des altercations avec l’infirmière en chef).

Le motif grave qui lui est reproché est très détaillé, s’agissant de quatre faits relatifs à sa conduite, et particulièrement vis-à-vis de l’infirmière en chef, dont elle saperait l’autorité et avec qui elle nourrirait une forte mésentente. Référence est faite aux avertissements adressés précédemment.

Le licenciement est posté à seize heures, soit pendant les prestations de l’intéressée (15h00 – 23h00). La lettre de licenciement précise que la rupture intervient le même jour, à partir de 22h00.

L’intéressée réagit via son organisation syndicale, qui conteste le motif grave. Elle fait notamment valoir que les griefs sont vagues, ne répondant pas au critère légal de précision exigé par l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 et conteste les faits reprochés. Elle réclame une indemnité compensatoire de préavis et une prime de fin d’année.

Le conseil de l’employeur maintient la position de sa cliente, renvoyant notamment aux avertissements été notifiés en cours de contrat.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail d’Anvers (division Tongres), en paiement de diverses sommes, dont principalement l’indemnité compensatoire de préavis.

Par jugement du 14 janvier 2020, le tribunal déclare la demande fondée.

Position des parties devant la cour

La société appelante demande que le jugement soit mis à néant en totalité et, subsidiairement, propose l’audition de témoins.

Quant à l’intimée, elle sollicite la confirmation pure et simple du jugement intervenu, étendant sa demande à la capitalisation des intérêts à partir du dépôt de ses premières conclusions d’appel.

La décision de la cour

La cour confirme le jugement, considérant que l’employeur n’établit pas que la poursuite des relations professionnelles était impossible.

Elle rappelle les principes guidant la rupture pour motif grave, qui exigent que soient réunies cumulativement les conditions suivantes : (i) manquement grave du travailleur ou de l’employeur, (ii) qui rend la relation professionnelle impossible, (iii) et ce totalement et immédiatement.

Elle rappelle le caractère d’exception de ce mode de licenciement, ainsi que ses conséquences dommageables pour la personne licenciée. Celui-ci ne peut intervenir dans le droit de rupture que comme « ultima ratio ». Elle renvoie à la doctrine en la matière (W. VAN EECKHOUTTE, A. TAGHON et S. VAN OVERBEKE, « Overzicht van rechtspraak. Arbeidsovereenkomsten (1988-2005) », R.D.S., 2006, pp. 460-461 et I. VANDEN POEL, A. VAN EECKHOUTTE, S. HEYNDRICKX, G. DE MASENEIRE et E. DE KEZEL, « Overzicht van rechtspraak. Arbeidsovereenkomsten (2005-2012) », R.D.S., 2014, pp. 374-375).

Un des effets de la condition relative à l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre la relation de travail est que le travailleur ne peut plus être laissé en fonction, même pendant un court laps de temps. L’impossibilité de poursuivre la relation de travail ne permet plus une collaboration, même temporaire (renvoyant en jurisprudence à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 1981, J.T.T., 1981, p. 295, concl. H. LENAERTS).

Il a ainsi été jugé que, si le travailleur licencié pour motif grave est maintenu au travail pendant un ou deux jours, ceci confirme que la collaboration entre parties n’était pas immédiatement impossible (la cour renvoyant à C. trav. Liège, 24 octobre 2002, J.T.T., 2003, p. 63 et C. trav. Bruxelles, 15 février 1991, J.T.T., 1991, p. 150).

En l’espèce, la lettre de licenciement a été envoyée peu après le début des prestations, ce qui implique que l’intéressée a continué à travailler pendant pratiquement une prestation journalière. Ceci infirme le caractère de motif grave des faits reprochés. Pour la cour, un licenciement pour motif grave doit avoir un effet immédiat et, s’il est destiné à agir à terme, et notamment à l’issue de la prestation journalière du travailleur, ceci les critères du motif grave ne sont pas réunis..

L’employeur échoue ainsi à établir la preuve du caractère immédiat et impossible de la poursuite de la relation professionnelle.

Intérêt de la décision

La question pourrait se poser de la compatibilité entre l’exigence d’immédiateté de la rupture pour motif grave et le délai de trois jours prévu à l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 donnant à l’employeur un délai de trois jours ouvrables pour licencier.

Confirmant les règles retenues en doctrine et en jurisprudence sur la question, la cour du travail confirme qu’il s’agit de deux questions distinctes. Elle n’aborde d’ailleurs pas la question du délai en cause.

La discussion porte en effet sur un des éléments constitutifs du motif, étant que celui-ci doit impliquer un fait fautif, propre au travailleur, qui est grave, et ce à un point tel qu’il ne permet plus la poursuite de la collaboration professionnelle. Cette impossibilité est avérée dès lors que ont établis deux éléments : l’impossibilité de poursuivre doit être définitive (étant que si elle devait être plus difficile ou plus délicate, elle ne remplirait pas la condition d’impossibilité totale, absolue) et immédiate (c’est-à-dire qu’elle implique l’écartement du travailleur de ses fonctions sur le champ). Il est d’ailleurs souvent fait référence à ce mode de rupture comme une rupture sur le champ, sans préavis ni indemnité.

Il en découle que si l’employeur permet la poursuite de la prestation de travail, même temporaire, il n’y a pas écartement des fonctions dès que la rupture est dénoncée.

L’on notera à cet égard que si le délai de l’article 35, al. 2) de la loi vise le laps de temps laissé à l’employeur entre le moment où il a eu la connaissance certaine des faits imputés à motif grave et leur dénonciation comme motif de licenciement immédiat, l’exigence d’immédiateté de la poursuite de la relation de travail porte sur le délai entre le moment où l’employeur a posé l’acte de licenciement et celui où le travailleur a été écarté de ses fonctions.

Rappelons enfin que la loi du 18 juillet 1985 (loi modifiant la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail) a ajouté à l’article 35 un alinéa 5) selon lequel la partie qui invoque le motif grave doit prouver la réalité de ce dernier ; elle doit également fournir la preuve qu’elle a respecté les délais prévus aux alinéas 3 et 4).


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