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Administrateur de mutualité : assujettissement au statut social ?

Mis en ligne le mercredi 25 août 2021


Trib. trav. Liège (div. Verviers), 18 décembre 2020, R.G. 17/807/A

Administrateur de mutualité : assujettissement au statut social ?

Dans un jugement du 18 décembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) conclut à l’absence d’obligation d’assujettissement au statut social d’un administrateur d’une mutualité, eu égard au statut spécifique de celle-ci ainsi qu’à l’absence d’activités produisant des revenus provenant de la production de biens et/ou de services en vue de la réalisation de profits.

Les faits

L’I.N.A.S.T.I. considère qu’un administrateur d’une mutualité exerce une activité professionnelle de travailleur indépendant et lui adresse une mise en demeure de s’affilier à une caisse d’assurances sociales. L’intéressé conteste, ce qui donne lieu à un avis de l’administration centrale de l’I.N.A.S.T.I.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail après réception de celui-ci.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur fait valoir que les mutualités ont un statut spécifique, ressortissant au secteur non marchand et ne poursuivant aucun but de lucre. Il expose qu’il agit en tant que mandataire de cette A.S.B.L. et donne des explications sur les jetons de présence perçus, qui ont été déclarés à l’administration fiscale et sur lesquels il a été imposé. Il souligne également que telle était la position de l’I.N.A.S.T.I. jusqu’à une note adressée en avril 2017 aux caisses d’assurances pour travailleurs indépendants relative à l’exercice de ce mandat, qui ne constituait pas, jusqu’alors, pour l’Institut, une activité professionnelle. Il développe des arguments à titre subsidiaire (absence de rétroactivité, vu la position défendue par l’I.N.A.S.T.I.) et infiniment subsidiaire (absence d’amende, majoration ou intérêts).

Quant au défendeur, il se fonde sur la présomption d’assujettissement au statut social, présomption qui peut être renversée par le demandeur. Sur la motivation du courrier notifié, il considère qu’il ne doit pas se voir appliquer les obligations de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs. La Charte de l’assuré social ne doit pas s’appliquer davantage, dans la mesure où elle ne concerne que la matière des prestations et qu’est ici en cause uniquement la question de l’obligation d’assujettissement.

La décision du tribunal

Le tribunal se penche en premier lieu sur la recevabilité du recours introduit, la discussion ayant porté sur le caractère déclaratoire de la décision judiciaire demandée. Il reprend dès lors les conditions de l’article 18, alinéa 1er, du Code judiciaire et constate que les conditions requises sont remplies, étant qu’il y a menace effective d’une affiliation d’office à la caisse nationale auxiliaire, qu’il s’agit de mettre un terme à celle-ci et que l’action judiciaire a une utilité concrète.

Il en vient, ensuite, à l’examen de la loi du 29 juillet 1991, et particulièrement aux contours de l’obligation de motivation. La mise en demeure entraîne des conséquences juridiques, à savoir notamment l’assujettissement d’office à défaut de réaction dans le délai. Il relève également qu’elle est suffisamment motivée et qu’elle reprend en outre les conséquences de l’absence d’affiliation. Les conditions légales sont ainsi remplies, la décision prise étant un acte juridique soumis à l’obligation de motivation.

Quant à la Charte, elle s’applique à l’I.N.A.S.T.I., qui est une institution publique au sens de l’article 2, 2°, et qui est chargée d’appliquer l’ensemble des règles relatives à la perception et au recouvrement des cotisations et des autres ressources contribuant au financement des branches et avantages visés par elle. Il ne s’agit pas en l’espèce de revendiquer un droit à une prestation mais de contester une obligation d’affiliation. L’article 14 de la Charte (mentions obligatoires) ne trouve cependant pas à s’appliquer.

Le tribunal passe ensuite aux statuts sociaux qui pourraient être appliqués à l’administrateur de la mutualité, étant (i) le volontariat, (ii) le statut de vacataire, (iii) celui d’indépendant ou (iv) celui de salarié.

Pour le premier, il est écarté aisément, puisque la caractéristique essentielle du volontariat (absence de rémunération) n’est pas respectée.

Pour ce qui est du vacataire, l’article 17 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 prévoit la possibilité de soustraire à l’application de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs certaines personnes dont l’occupation ne dépasse pas vingt-cinq journées de travail par an. Pour ceux-ci, il y a absence de Dimona et de DmfA. La dispense ne peut cependant être accordée que si, avant toute occupation, l’employeur effectue une déclaration préalable d’occupation de courte durée. Elle concerne par ailleurs le secteur socio-culturel et sportif et un contrat de travail à durée déterminée doit avoir été élaboré par écrit. Tel n’est pas le cas en l’espèce et le demandeur ne peut relever de ce statut.

Vient ensuite la question de savoir si le statut peut être celui de l’indépendant, du salarié ou même d’un autre type. La loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités définit celles-ci comme étant des associations de personnes physiques qui, dans un esprit de prévoyance, d’assistance mutuelle et de solidarité, ont pour but de promouvoir le bien-être physique, psychique et social. Il s’agit d’activités sans but lucratif. Le mandat d’administrateur est gratuit en vertu de l’article 22. Ces institutions ont ainsi un statut qui leur est propre. La question reste de savoir si un membre du conseil d’administration ou du conseil de direction doit être assujetti au statut social. Dans les critères de l’arrêté royal n° 38, la primauté est donnée au critère sociologique par rapport au critère fiscal et existent des présomptions d’assujettissement pour les mandataires de société qui exercent une activité indépendante.

Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.12.0092.F), qui enseigne que l’activité professionnelle de travailleur indépendant, comme mandataire au sein d’une association ou d’une société assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents, est présumée, de manière réfragable, avoir lieu en Belgique. Cette présomption subsiste tant que l’administrateur exerce sa fonction. Une A.S.B.L. est, sur le plan fiscal, considérée comme une société dès qu’elle se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif dépassant le cadre des hypothèses de l’article 182 C.I.R. 92, même si elle reste assujettie à l’impôt des personnes morales. Un mode de renversement de la présomption est la preuve que le mandant ne se livre pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.

Dans ce cadre, le tribunal entreprend de rechercher si le demandeur répond au critère sociologique d’assujettissement.

En l’espèce, il y a exercice d’un mandat et perception de jetons de présence, ainsi qu’absence de contrat de travail (absence de lien de subordination). Le mandat est exercé en Belgique et, sur le plan fiscal, les jetons de présence constituent des profits taxables. La présomption fiscale s’applique mais le tribunal rappelle que les critères sociologiques priment, à savoir qu’il faut déterminer s’il y a exercice d’une activité présentant un caractère habituel dans un but de lucre.

La mutualité est une structure sans but lucratif et ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel. Sur le caractère habituel de l’activité dans le chef de l’administrateur, il convient de vérifier s’il y a activité produisant des revenus provenant de la production de biens et/ou de services en vue de la réalisation de profits, le tribunal soulignant que toute activité n’est pas exercée nécessairement dans un but de lucre.

Quoiqu’il ne s’agisse pas de bénévolat, il considère, au vu du statut particulier des mutualités, qu’il faut distinguer l’intérêt de faire partie du conseil d’administration de cette structure et celui d’en tirer des profits. Les jetons de présence ne peuvent être compris comme reflétant une volonté de s’enrichir et de poursuivre un but de lucre. Par ailleurs, les présomptions spécifiques des mandataires chargés de la gestion d’une société ou d’une association ne peuvent s’appliquer, la mandante ne poursuivant pas de but de lucre. Le tribunal relève encore que, par le passé, à deux reprises, l’I.N.A.S.T.I. n’avait pas imposé à l’intéressé de s’assujettir au statut social. Il déclare, dès lors, la demande fondée.

Intérêt de la décision

Après avoir écarté les autres statuts possibles, le tribunal retient que l’activité du demandeur en tant qu’administrateur de la mutualité ne peut remplir les conditions de l’arrêté royal n° 38. L’article 3 contient à la fois une définition sociologique du travailleur indépendant et une présomption fiscale.

Les mandataires d’une société ou d’une A.S.B.L. font également l’objet d’une présomption réfragable à cet égard et le tribunal entame l’examen de ce point par la nature de l’activité du mandant.

En l’espèce, vu le statut particulier des mutualités, il conclut que celles-ci ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif et, pour ce qui est de l’intéressé, vérifie si l’activité exercée en qualité d’administrateur était de nature professionnelle. La définition de la nature professionnelle de l’indépendant passe, pour celui-ci, par une activité qui produit des revenus provenant de la production de biens et/ou de services en vue de la réalisation de profits, le tribunal soulignant que toute activité n’est pas exercée nécessairement dans un but de lucre. C’est dès lors le but poursuivi par la mutualité et la circonstance qu’elle s’entoure de personnes compétentes pour réaliser cet objectif en les désintéressant pour le temps consacré et les déplacements effectués qui déterminent la conclusion du tribunal.


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