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Dégressivité accrue des allocations de chômage et standstill

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 mars 2021, R.G. 2020/AL/255

Mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 11 mars 2021, R.G. 2020/AL/255

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 mars 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) écarte l’article 114 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dans sa mouture actuelle (telle qu’existant depuis l’arrêté royal du 23 juillet 2012), vu les nouvelles mesures imposées dans le cadre de la dégressivité accrue des allocations de chômage, qui entraînent un recul significatif de la protection sociale.

Les faits

Mme B., née en 1967, a été admise au bénéfice des allocations de chômage sur la base de son travail en 1997 avec des périodes d’occupation, au taux isolé.

Elle a été informée par la F.G.T.B. que, dans le cadre de la nouvelle dégressivité des allocations de chômage instaurée par l’article 19 de l’arrêté royal du 23 juillet 2012 en vigueur au 1er novembre 2012, le montant journalier de ses allocations avait été fixé à 43,22 euros à partir du 2 mai 2013 puis allait baisser par étapes à partir du 1er novembre 2013 pour atteindre 35,94 euros à partir du 1er janvier 2015.

Par une requête déposée au greffe du Tribunal du travail de Liège le 22 janvier 2014, elle a demandé l’annulation de cette décision et la reconnaissance du droit aux allocations sans dégressivité.

Par un jugement du 27 avril 2020, le tribunal a dit le recours recevable mais non fondé.

Mme B. a introduit contre cette décision un recours recevable.

L’arrêt attaqué

La cour du travail reproduit le résumé fait par Daniel DUMONT de la disposition litigieuse (D. DUMONT, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill », J.T., 2013/39, n° 6541, pp. 769 à 776).

Ce résumé très clair aide à la lecture d’une disposition à la complexité rebutante. Nous n’allons pas le reproduire (il fait deux pages de l’arrêt). Nous nous bornons à résumer ce résumé.

Les montants des allocations ont été légèrement relevés en début d’indemnisation tandis qu’ils diminuent ensuite beaucoup plus rapidement et plus bas qu’auparavant.

Quelle que soit leur situation familiale, tous les chômeurs connaissent désormais trois périodes d’indemnisation.

La première est une période fixe d’un an ; les allocations sont fixées en fonction de la rémunération perdue ; lors des trois premiers mois le taux de remplacement passe de 60 à 65% ; il descend ensuite à 60% et, au-delà de six mois, le plafond salarial est abaissé.

La deuxième période d’indemnisation débute ensuite après douze mois. La durée de cette période est de deux mois fixe plus deux mois supplémentaires par année de passé professionnel, ce qui signifie par exemple qu’un chômeur admis aux allocations après un an de travail sera en deuxième période pendant quatre mois. Le taux de remplacement dépend de la situation familiale du chômeur : durant la première année de la deuxième période il est de 60% pour les chefs de ménage, 55% pour les isolés et 40% pour les cohabitants. Mais le plafond salarial est inférieur aux deux plafonds de la première période, si bien que même un chef de ménage peut voir le montant de ses allocations baisser.

Après un an maximum en seconde période, le montant des allocations commence à diminuer par palier même pour les chefs de ménage et les isolés qui étaient avant cette modification assurés de conserver 60% ou 55% de leur salaire plafonné.

Au plus tôt après seize mois de chômage et au plus tard après quatre ans intervient le basculement en troisième période, qui n’est pas limitée dans le temps. Le chômeur est indemnisé au forfait, donc sans référence à la rémunération perdue. Pour les chefs de ménage et les isolés, le forfait est légèrement supérieur au revenu d’intégration sociale (R.I.S.) ; le forfait pour les cohabitants reste lui inférieur au R.I.S.

Cet arrêté royal a prévu des tempéraments pour certaines catégories de chômeurs et la période de référence pour être admis au bénéfice des allocations de chômage a été allongée de quelques mois. En sens inverse, la condition d’âge requise pour bénéficier du complément d’ancienneté a été reculée de 50 à 55 ans.

La cour du travail souligne que l’« introduction de la dégressivité litigieuse n’a pas été justifiée par le Roi » et que le « Conseil d’Etat n’a formulé aucune remarque quant à l’effet de standstill ».

En droit, la cour du travail relève notamment que, en vertu de l’article 23 de la Constitution et de l’obligation de standstill qu’il implique, le législateur et l’autorité réglementaire ne peuvent pas opérer un recul dans la protection des droits que cet article consacre, qui entraînerait des conséquences disproportionnées pour la substance du droit atteint ; ainsi, il convient d’examiner si des mesures moins restrictives ne pouvaient pas atteindre le même objectif. Elle précise que les motifs d’intérêt général peuvent être invoqués a posteriori et que la charge de la preuve du respect de l’obligation de standstill incombe à l’autorité ayant adopté l’acte litigieux ou à la partie qui invoque cet acte ou à la partie qui invoque son application.

Elle se réfère également à l’important arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 (n° S.18.0012.F) consultable sur Juportal et commenté par Terra Laboris pour Social Eye.

En l’espèce, la cour constate que l’allocation journalière de Mme B. est passée de 43,22 euros à 41,91 euros au 1er novembre 2013. La différence par mois était donc de 34,06 euros (43,22 - 41,91 multiplié par 26). La dégressivité a continué et l’allocation a atteint son montant minimal de 36,66 euros par jour le 5 mai 2015. La différence par mois était donc de 170,56 euros (43,22 - 36,66 multiplié par 26). En principe, toute diminution des allocations sociales constitue un recul significatif, dès lors que l’on réduit les moyens de subsistance d’un public généralement fragilisé. En outre, les diminutions concrètes subies par (Mme B.) et le fait qu’elle doit être soutenue financièrement par ses parents confirment cette position. Il s’agit d’un recul significatif pour l’intéressée même si on tient compte du fait que l’arrêté royal n’a fait que renforcer une dégressivité des allocations qui existait déjà auparavant pour les chômeurs de longue durée. On ne peut pas dire que le menu relèvement des montants en début de chômage et l’assouplissement très limité des conditions d’admissibilité à l’assurance neutralisent, au point de garantir un niveau de protection équivalent, la chute graduelle et systématique des allocations, pour toutes les catégories de chômeurs, jusqu’ à des montants touchant le seuil de pauvreté. Par ailleurs, la réforme n’a pas été couplée à une amélioration des dispositifs d’aide à la réinsertion professionnelle de nature à en compenser, ou à tout le moins en limiter, les effets. Dans l’ensemble, c’est bien nettement amoindri que la réforme laisse le niveau de protection du droit à un revenu de remplacement destiné à pallier le risque du manque involontaire d’emploi.

La cour du travail s’interroge ensuite : « Est-ce que le recul significatif causé par la nouvelle dégressivité est justifié par des motifs liés à l’intérêt général c’est-à-dire approprié et nécessaire à leur réalisation ? ».

Pour répondre à l’argumentation de l’ONEm quant à l’objectif d’intérêt général d’inciter plus fortement les chômeurs, et spécialement ceux de longue durée, à rechercher du travail, l’arrêt relève que dès lors que « toute réduction du niveau de protection offert par les prestations sociales est, par nature, susceptible d’inciter les intéressés à fournir des efforts supplémentaires d’insertion sur le marché du travail, partant, de contribuer à la réalisation d’objectifs généraux en matière budgétaire et d’emploi, ces objectifs généraux ne sauraient suffire à justifier n’importe quelle réduction du niveau de cette protection. La cour constate qu’il s’agit d’un objectif très général, fixé en matière de taux d’emploi (et budgétaire) dans un accord de gouvernement, sans précision ni prévision lors de l’adoption de la mesure ni vérification ultérieure qu’elle contribue effectivement à ces objectifs d’intérêt général en ce qui concerne la catégorie de chômeurs examinée et que le recul du niveau de la protection de ces chômeurs est proportionné à ces objectifs ».

La cour du travail décide en conséquence de ne pas appliquer l’article 19 de l’arrêté royal du 23 juillet 2012 modifiant l’article 114 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 mais d’appliquer la législation immédiatement antérieure.

Intérêt de la décision

Précisons tout d’abord que nous ignorons si un pourvoi a été ou sera introduit à l’encontre de cette décision.

Les décisions sur le principe de standstill consacré par l’article 23 de la Constitution se succèdent dans la matière du chômage, qui a subi de nombreuses régressions dont des atteintes diverses aux allocations sur la base des études et parmi celles-ci l’abaissement de l’âge minimal pour en bénéficier et la limitation de ces allocations devenues d’insertion dans le temps. Cette dernière mesure a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 auquel se réfère l’arrêt commenté (n° S.18.0012.F consultable sur Juportal avec les conclusions de l’Avocat général GENICOT, commenté par Terra Laboris pour Social Eye) dont J.-Fr. NEVEN (J.-Fr. NEVEN, « Les droits sociaux et l’article 23 de la Constitution : une jurisprudence sous tensions », Le pli juridique, 2021, n° 55, pp. 32 à 40 et plus spéc. p. 39) souligne qu’il est « réellement porteur d’enseignements substantiels » qu’il dégage.

Cet auteur souligne également qu’il subsiste de nombreuses questions notamment dans la comparaison des normes (eodem cit., point 11, p. 34).

En l’espèce ici commentée, le recul est plus insidieux (dans le sens de maladie grave à début bénin) si bien que le chômeur ne s’aperçoit pas nécessairement tout de suite des conséquences. Mais, comme la mesure de suppression des allocations d’insertion, la dégressivité s’opère automatiquement et donc sans notification d’une décision qui ferait courir un délai de recours.

Le contentieux sur le principe de standstill a donc encore de beaux jours devant lui.


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