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Motif grave : conditions de validité de la preuve des faits

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 mai 2021, R.G. 2020/AN/42

Mis en ligne le lundi 11 octobre 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 20 mai 2021, R.G. 2020/AN/42

Terra Laboris

La Cour du travail est saisie de la régularité d’un motif grave et, dans ce cadre, de celle de la preuve des faits. Il s’agit de conversations entre deux employées via Messenger, l’une de celles-ci tenant des propos racistes gravement dénigrants à l’encontre d’un autre collègue. Les échanges ont en fin de compte été acheminés via l’interlocutrice vers la ligne hiérarchique et le licenciement pour motif grave a été décidé.

Dans le cadre de l’examen de la régularité de la preuve, la cour du travail examine la question successivement au regard du droit au respect de la vie privée, au dispositif de l’article 314bis du Code pénal et au R.G.P.D.

Sur le premier point, elle renvoie aux articles 8 de la C.E.D.H. et 22 de la Constitution, en ce qu’ils protègent la vie privée, ayant égard à la circonstance qu’il s’agit de relations de travail. La cour constate que la Cour européenne protège largement la vie privée du travailleur en cas d’ingérence de l’employeur ou lorsque celui-ci souhaite contrôler son personnel. Cette ingérence n’est pas interdite, pour autant que les conditions de son exercice soient communiquées au travailleur. Elle peut en outre être justifiée par un but légitime et elle doit respecter les attentes légitimes du travailleur et le critère de proportionnalité. Les échanges soumis relèvent effectivement de la vie privée mais ne sont pas pour autant protégés de façon absolue.

Un employeur a différentes obligations en termes de prévention de risques psychosociaux au travail et il doit garantir le bien-être des travailleurs, ce qui commence par le respect de ceux-ci et de leur dignité. De même, il doit prévenir toute violence au travail. L’on peut difficilement, pour la cour, parler de communication strictement privée lorsqu’un travailleur communique avec un collègue de travail concernant ses conditions de travail et relationnelles au travail en utilisant des propos qui choquent ce dernier. Du point de vue de l’employeur, le critère de proportionnalité dans la prise de connaissance est respecté dès lors que le contenu des échanges relève davantage de l’exécution des relations de travail entre collègues que d’un aspect strictement privé de la vie de l’intéressé.

L’examen de la violation de l’article 314bis du Code pénal implique, pour la cour, de tenir compte de l’arrêt du 21 octobre 2009 de la Cour de cassation (Cass., 21 octobre 2009, n° P.09.0766.F), selon lequel l’utilisation d’une lettre après réception par son destinataire n’est pas soumise à la règle de l’article 29 de la Constitution, qui ne garantit que le secret des lettres confiées à la poste. Si les échanges sont couverts par l’article 24 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques, cette protection vaut uniquement à l’égard des tiers, le secret ne pouvant être opposé au destinataire ou à l’auteur de la communication.

Renvoi est également fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 2015 (Cass., 22 avril 2015, n° P.14.1462.F), celui-ci ne pouvant s’appliquer, vu qu’il punit la personne qui, intentionnellement, à l’aide d’un appareil quelconque, intercepte ou fait intercepter (et comportements voisins) des communications non accessibles au public auxquelles elle ne prend pas part, sans le consentement de tous les participants à ces communications.

Enfin, si le R.G.P.D. n’était pas applicable au moment des faits, la cour relève que l’employeur n’a pas « collecté » de données à caractère personnel, au sens de la loi du 8 décembre 1992.

La preuve est dès lors admise.


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