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Chômage et exercice d’une activité bénévole

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 18 février 2021, R.G. 2019/AN/191

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Cour du travail de Liège (division Namur), 18 février 2021, R.G. 2019/AN/191

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 février 2021, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle qu’en cas d’exercice d’un mandat dans une A.S.B.L., subsistent deux courants jurisprudentiels, étant de déterminer s’il s’agit d’une activité pour compte propre ou pour compte de tiers, et conclut – une autre controverse existant sur cette question – qu’à défaut pour le chômeur d’avoir fait la déclaration prévue à l’article 45bis, il y a activité au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal.

Les faits

A l’occasion d’un contrôle social lors d’une manifestation culturelle, il est constaté qu’un bénéficiaire d’allocations de chômage est président d’une A.S.B.L. et administrateur d’une autre, et ce depuis plusieurs années.

La première de ces A.S.B.L. a pour objet la création et le développement d’un centre « jeunes talents ». Elle a particulièrement pour mission d’encadrer et d’accompagner des jeunes en décrochage scolaire et de les insérer ou de les réinsérer dans un horizon professionnel, politique et associatif. Pour atteindre cet objectif, l’A.S.B.L. travaille dans le secteur de l’événementiel. Elle fournit ainsi de la main-d’œuvre aux organisateurs d’événements (montage, démontage, tenue du bar, etc.). L’intéressé a perçu, en qualité d’animateur de plusieurs événements, des défraiements.

Pour sa participation dans la seconde A.S.B.L., il précise être animateur radio et enregistrer le dimanche les émissions de la semaine. Il déclare ne percevoir aucune rémunération.

Ces mandats n’ont pas été déclarés à l’ONEm. Il procède ensuite à cette déclaration et l’ONEm refuse l’autorisation d’exercice de l’activité bénévole. Les motifs sont que celle-ci entraîne une diminution sensible de sa disponibilité sur le marché de l’emploi (nombre d’heures consacré) et que cette activité ne présente plus les caractéristiques d’une activité bénévole. L’ONEm pointe également qu’un avantage est perçu.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur) et l’ONEm introduit, en cours de procédure, une demande reconventionnelle en vue de récupérer un indu de l’ordre de 3.700 euros.

Le jugement du tribunal

Pour le tribunal, l’absence de déclaration préalable fait perdre le droit aux allocations de chômage depuis le début de l’activité. Ce seul élément justifie l’exclusion du chômeur sans qu’il soit nécessaire de vérifier la gratuité des prestations. Il ne retient pas la bonne foi de l’intéressé, celui-ci étant au courant de ses obligations. Le tribunal fait ainsi droit à la demande de récupération de l’ONEm.

L’intéressé a interjeté appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant plaide qu’il n’a perçu ni rémunération ni avantage matériel au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique, seuls ayant été payés des défraiements, et ce conformément à la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires. Il ne s’agit pas pour lui de rémunération. Les activités ne sont dès lors pas des activités pour compte de tiers au sens de l’article 45 et n’étaient pas incompatibles avec les allocations de chômage. Elles ne peuvent dès lors être considérées comme du travail et ne devaient pas faire l’objet d’une déclaration préalable. Sur la sanction, il demande qu’elle soit ramenée à un avertissement, vu l’absence de mauvaise foi dans son chef, puisqu’il n’a jamais cherché à dissimuler ses activités et n’a pas d’antécédents.

Quant à l’ONEm, il considère que le mandataire d’une A.S.B.L. est une personne qui travaille volontairement pour une association. Le travail de bénévole tel que visé à la loi du 3 juillet 2005 relative aux droits des volontaires exige une déclaration préalable écrite auprès du bureau de chômage. En l’absence d’une telle déclaration, la charge de la preuve du caractère bénévole de l’activité repose sur le chômeur. Cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce, l’intéressé s’occupant de la gestion des contrats de collaboration, du démarchage, de la gestion des équipes et de la formation des animateurs, notamment. Vu le défraiement qui est lui est accordé et les recettes générées pour l’A.S.B.L., il s’agit d’un travail au sens de l’article 45. Le travail d’animateur doit également être considéré comme tel, l’appelant n’établissant pas l’absence de rémunération.

La position du ministère public

Dans son avis, le ministère public s’écarte du courant jurisprudentiel selon lequel, l’article 45bis dérogeant aux articles 44 et 45, il s’applique uniquement aux activités qui entrent dans le champ d’application de ces deux dispositions. Si une activité ne répond pas aux conditions de ces articles, elle ne doit dès lors pas faire l’objet d’une déclaration préalable.

L’Avocat général s’écarte de cette position, considérant que l’article 45bis est un régime autonome, n’étant que l’exécution de la loi du 3 juillet 2005. Par conséquent, en cas d’activité bénévole, il faut appliquer directement l’article 45bis et vérifier si l’activité a fait l’objet d’une déclaration préalable. En cas de non-respect, le chômeur perd son droit aux allocations.

L’activité accessoire est quant à elle une activité exercée de manière régulière et durable et doit être mentionnée sur la carte de contrôle. L’activité occasionnelle visera l’hypothèse où seules quelques prestations, isolées ou ponctuelles, sont effectuées.

Pour l’avocat général, l’activité est ici une activité accessoire et l’intéressé doit être exclu pendant toute la période litigieuse. Il n’y a pas bonne foi dans son chef.

La décision de la cour

Après le rappel des articles 44, 45, 45bis et 48 de l’arrêté royal, la cour relève que la question de savoir si l’exercice d’un mandat au sein d’une A.S.B.L. est une activité pour compte propre (notamment lorsque le chômeur est fondateur de l’A.S.B.L.) ou une activité pour compte de tiers ne fait pas l’objet d’une appréciation univoque en jurisprudence, la grande majorité semblant cependant pencher pour une activité pour compte de tiers. Quel que soit le critère retenu, la cour considère qu’il s’agit en l’espèce d’un travail au sens de l’article 44, que l’on retienne les critères de l’activité pour compte propre ou ceux de l’activité pour compte de tiers.

En ce qui concerne la jurisprudence invoquée par l’appelant selon laquelle, si l’activité n’est pas incompatible avec les allocations de chômage, l’article 45bis ne s’applique pas, puisqu’il constitue une dérogation aux articles 44 et 45 (l’appelant renvoyant ici notamment à C. trav. Bruxelles, 6 décembre 2018, R.G. 2017/AB/792 et C. trav. Mons, 11 avril 2019, R.G. 2018/AM/123), la cour rejoint le point de vue du ministère public. L’article 45bis est une disposition spécifique aux volontaires et il y a lieu de respecter l’article 13 de la loi, qui impose au chômeur de faire la déclaration préalable et qui donne compétence au Roi pour fixer les modalités et conditions de l’autorisation.

Pour la cour, la déclaration préalable permet à l’ONEm d’une part de vérifier l’impact de l’activité sur la disponibilité du chômeur et sur le caractère d’activité bénévole, et non seulement sur le caractère rémunératoire de cette activité, et d’autre part d’effectuer les contrôles éventuels.

La cour fait encore grief à l’appelant de ne pas établir la gratuité du mandat.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

L’articulation entre les articles 44, 45, 45bis et 48 fait l’objet d’appréciations diverses.

Une première tendance en jurisprudence est de considérer, comme le fait la cour du travail en l’espèce, que, qu’il s’agisse d’une activité bénévole ou non, il y a obligation de faire une déclaration préalable. Ce courant de jurisprudence retient que l’article 45bis est une mesure d’exécution de l’article 13 de la loi sur les droits des volontaires du 3 juillet 2005 et qu’il ne modifie pas la règle générale selon laquelle, en cas d’absence de déclaration préalable, le droit aux allocations de chômage n’existe pas.

Un autre courant de jurisprudence considère que, si l’activité n’est pas incompatible avec les allocations de chômage, l’article 45bis ne s’applique pas, puisqu’il constitue une dérogation aux articles 44 et 45.

Outre les décisions dont il est question dans l’arrêt, l’on peut encore renvoyer à deux jugements récents du Tribunal du travail de Bruxelles.

Le premier, du 4 septembre 2020 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 4 septembre 2020, R.G. 18/5.422/A et 18/5.423/A), a considéré qu’un mandat dans une A.S.B.L. n’est pas une activité pour compte propre, dans la mesure où les activités visées ne sont pas en contradiction avec la forme juridique de l’association. Cette activité est considérée comme activité pour compte de tiers et celle-ci est présumée avoir procuré une rémunération ou un avantage matériel. Cette présomption peut cependant être renversée en démontrant la gratuité et l’absence de rémunération ou d’avantage matériel de nature à contribuer à la subsistance du chômeur ou à celle de sa famille. Le mandat au sein d’une société est par contre une activité pour compte propre, et ce même si elle ne procure pas de revenus (ceci n’étant pas de nature à établir l’absence de but lucratif). Elle n’est pas considérée comme limitée à la gestion normale de biens propres. Ce mandat, même non rémunéré, est une activité économique non compatible avec les allocations de chômage, dans la mesure où la société poursuit un but de lucre. Cependant, le chômeur peut ici encore établir l’absence d’activité réelle de la société, qui fait que lui-même n’en avait pas non plus.

Le second, du 25 novembre 2020 (Trib. trav. fr. Bruxelles, 25 novembre 2020, R.G. 20/976/A), a considéré que, contrairement au mandat au sein d’une société commerciale, qui est une activité exercée pour compte propre, le mandat dans une A.S.B.L. ne l’est pas, les administrateurs n’étant pas soumis à l’impôt des sociétés, pour autant que leurs activités ne soient pas en contradiction avec leur forme juridique. Le mandat exercé dans une A.S.B.L. doit en principe être considéré comme une activité pour compte de tiers. Celle-ci est présumée, en vertu de l’article 45, alinéa 1er, 2°, de l’arrêté royal, avoir procuré une rémunération ou un avantage matériel à celui qui l’exerce. Cette présomption peut être renversée en démontrant la gratuité totale de l’activité et l’absence de rémunération ou d’avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille. Par ailleurs, bien que le texte légal ne soit pas explicite sur ce point, l’administrateur ou le mandataire d’un organisme sans but lucratif qui exerce gratuitement son mandat est considéré comme un volontaire. Cette interprétation a été unanimement confirmée par la Commission des affaires sociales de la Chambre. Une activité pour compte de tiers dont la gratuité est démontrée et qui, par conséquent, n’est pas une activité interdite au sens de l’article 45, alinéa 1er, 2°, ne doit pas satisfaire aux conditions de l’article 45bis. En conséquence, si l’intéressé n’a pas fait la déclaration prévue à cette disposition, il peut démontrer que l’activité exercée n’est pas une activité au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal.


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