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Exercice par un fonctionnaire d’un mandat et assujettissement au statut social des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 février 2021, R.G. 2019/AB/421

Mis en ligne le vendredi 29 octobre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 12 février 2021, R.G. 2019/AB/421

Terra Laboris

Par arrêt du 12 février 2021, la Cour du travail de Bruxelles examine la question de l’application de l’article 5bis de l’arrêté royal n° 38 à des représentants d’un établissement public dans les conseils d’administration de deux filiales de celui-ci.

Les faits

Des salariés du Ducroire (actuellement Credendo Export Credit Agency) sont administrateurs de filiales de celui-ci. Ils ont perçu des rétributions pour l’exercice de ce mandat. Etant affiliés comme indépendants complémentaires, ils ont payé des cotisations au statut social sur celles-ci.

Les sociétés entreprennent, à partir de 2016, d’approcher l’I.N.A.S.T.I. aux fins d’exposer les motifs pour lesquels ces administrateurs devraient être considérés comme des mandataires publics au sens de l’article 5bis de l’arrêté royal n° 38. Elles demandent la rectification de la situation, sur une base volontaire et avec effet rétroactif.

L’I.N.A.S.T.I. rejette la qualification de mandataires publics, confirmant leur assujettissement au statut social. Les discussions se poursuivent et la contestation vient, en fin de compte, devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci considère, par jugement du 18 mars 2019, que les intéressés doivent bénéficier de l’exception prévue à l’article 5bis, les sociétés étant des personnes morales soumises à l’article 3 de la loi du 13 juillet 2005.

L’I.N.A.S.T.I. interjette appel.

La décision de la cour

Il s’agit, pour la cour, d’examiner l’exemption d’assujettissement au statut social du fait de l’exercice d’un mandat rémunéré d’administrateur et également de vérifier l’application aux sociétés de la loi du 13 juillet 2005 concernant l’instauration d’une cotisation annuelle à charge de certains organismes.

La cour reprend l’article 5bis de l’arrêté royal, relevant que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour en bénéficier, étant qu’il faut être chargé d’un mandat dans un organisme public ou privé (ou être membre avec voix consultative d’un organe de gestion d’un tel organisme) et que ce mandat doit trouver sa cause dans des circonstances particulières. Celles-ci sont au nombre de trois, le mandat devant être exercé en raison des fonctions exercées elles-mêmes auprès d’une administration, et ce en qualité de représentant d’une organisation représentative d’employeurs, de travailleurs ou de travailleurs indépendants, ou en qualité de représentant d’un pouvoir public. Des précisions sont encore exigées quant à cette troisième hypothèse.

Le nœud du débat est en l’occurrence de savoir si est présent le lien de causalité entre le mandat et la qualité de représentant d’un établissement public. La cour rappelle que le Ducroire est un établissement public au sein duquel les pouvoirs publics sont représentés. Ni l’autonomie fonctionnelle ni l’évolution des activités ne modifient sa nature d’établissement public. Examinant les conditions d’exercice du mandat, la cour estime qu’il est établi à suffisance que celui-ci trouve sa cause pour chacun des intéressés dans la représentation du Ducroire. Celle-ci résulte en effet d’une décision du conseil d’administration.

La cour rejette la position de l’I.N.A.S.T.I. sur l’effectivité de la représentation elle-même, qui, pour l’Institut, est déniée vu l’appartenance des entités en cause à un même groupe dont le Ducroire serait l’unique centre décisionnaire. En effet, n’est pas en cause l’autonomie de gestion des filiales mais le pouvoir des mandataires y nommés aux fins de représenter leur mandant dans le cadre du mandat. Cette position est considérée comme déniant à une filiale un intérêt social propre et un pouvoir de décision propre.

La cour voit par ailleurs la confirmation de l’effectivité de la représentation dans le cadre légal global applicable au Ducroire, qui le soumet à un contrôle de tutelle, à des normes de gouvernance ainsi qu’à des exigences propres au secteur des assurances. Ceci justifie précisément une structure lui permettant d’assurer un contrôle sur ses filiales par le biais notamment d’une représentation directe au sein de leur conseil d’administration.

Ceci est encore conforté par le fait que ces administrateurs sont non-exécutifs, étant qu’ils ne participent pas à la direction effective de la filiale (qui est assurée par les administrateurs exécutifs), leur rôle étant un rôle de contrôle et de surveillance du management. La comparaison ne peut dès lors être faite avec la situation de ces administrateurs exécutifs. L’I.N.A.S.T.I., qui voit, dans sa thèse, une inégalité de traitement, ne peut dès lors être suivi.

En conclusion, pour la cour, il y a lieu d’appliquer l’article 5bis de l’arrêté royal n° 38 et les intéressés ne sont pas assujettis au statut social. Les sociétés sont par contre soumises à la loi du 13 juillet 2005 concernant l’instauration d’une cotisation annuelle à charge de certains organismes. Elles doivent se conformer aux obligations qui leur sont imposées par cette loi.

Enfin, sur la demande de remboursement, la cour rappelle que l’I.N.A.S.T.I. n’a pas, parmi ses missions légales, celle de réclamer le paiement des cotisations, ce pouvoir revenant exclusivement aux organismes percepteurs. C’est dès lors à eux que la demande de remboursement doit être adressée.

Intérêt de la décision

L’article 5bis de l’arrêté royal n° 38 est d’interprétation stricte, s’agissant d’une exception à des règles d’ordre public (assujettissement).

Est ici en cause la question de la représentation. Le mandataire doit en effet exercer son mandat en qualité de représentant de l’Etat, d’une Communauté, d’une Région, d’une Province, d’une Commune ou d’un établissement public. Ceci signifie qu’il est la personne désignée par une administration ou un établissement public pour agir en son nom. Pour justifier l’exception, il faut qu’existe un lien de causalité entre le mandat et la qualité de représentant.

La preuve de la représentation peut résulter de dispositions statutaires du mandant, de l’acte de désignation exprès ou d’un acte équivalent. Le seul fait que la nomination de la personne concernée ait été proposée par une administration ou un établissement ne suffit cependant pas à établir cette représentation.

L’on peut ici renvoyer très utilement à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2020 (Cass., 4 mai 2020, n° S.18.0034.F – précédemment commenté). Reprenant les constatations de la cour du travail selon lesquelles, conformément au statut de l’Intercommunale (en l’espèce), un expert choisi parmi les fonctionnaires des communes devait assister et conseiller chaque administrateur, constituant un Collège d’experts et étant rémunéré pour cette mission, la Cour de cassation retient que, s’il ressort de ces constatations que la qualité de fonctionnaire subordonné à une commune dans les liens d’un statut constituait une condition de la désignation de l’intéressé, il ne s’ensuit pas que cette mission a été exercée sous statut.


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