Terralaboris asbl

Rémunération de base de l’indemnité compensatoire de préavis de l’ouvrier : quid du pécule de vacances ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 avril 2021, R.G. 2018/AB/566

Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 2 avril 2021, R.G. 2018/AB/566

Terra Laboris

Par arrêt du 2 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles rejette une demande d’inclusion du pécule de vacances dans la base de calcul de l’indemnité compensatoire de préavis d’un ouvrier, le système en vigueur n’étant pas discriminatoire par rapport à celui dont bénéficient les employés.

Les faits

Suite à son licenciement, un ouvrier introduit une action devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, contestant d’une part le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis et d’autre part les motifs du licenciement, une demande de condamnation à l’amende civile prévue à l’article 7 de la C.C.T. n° 109 du 12 février 2004 étant également formée.

Les motifs concrets du licenciement ont en effet été demandés dans les deux mois de la rupture du contrat. L’ouvrier a également demandé à son employeur que soit inclus le pécule de vacances dans le calcul de l’indemnité de rupture. L’employeur répond à cette demande que le pécule sera payé par la caisse de congés du secteur dans le courant de l’année qui suit.

Après l’expiration du délai de deux mois prévu par la C.C.T., la société répond via son conseil et expose une « liste non limitative des faits » sur lesquels elle s’est fondée. Elle fait valoir que l’intéressé était passé dans une classe supérieure, ce qui impliquait qu’il travaille de manière autonome. Divers griefs sont exposés (touchant essentiellement aux compétences ainsi qu’au comportement du travailleur). Elle maintient, sur le pécule de vacances, que celui-ci sera payé par la caisse (C.P. n° 124).

Une procédure est introduite et, par jugement du 9 avril 2018 (rendu par défaut), le tribunal a admis l’inclusion des pécules dans la base de calcul de l’indemnité compensatoire de préavis. Il a également fait droit aux demandes de l’intéressé (avec rejet cependant de postes annexes).

La société interjette appel de ce jugement, en sollicitant sa mise à néant.

Position des parties devant la cour

La société maintient qu’il n’y a pas lieu d’inclure le pécule de vacances dans l’indemnité compensatoire de préavis, non plus que de porter la rémunération de base à 108%. Elle conteste également devoir payer l’amende civile au motif que le travailleur aurait envoyé sa demande de communication des motifs à une mauvaise adresse. Enfin, elle maintient que le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable, celui-ci se justifiant par des motifs en lien direct avec l’aptitude et la conduite et étant également fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise ou du service.

Quant au travailleur, intimé, il estime que, si le pécule de vacances est exclu de la rémunération de base, il y aurait une discrimination entre ouvriers et employés. Il maintient en outre ses chefs de demande formés dans le cadre de la C.C.T. n° 109, plaidant que la lettre recommandée a été envoyée à l’adresse exacte et que, sur le fond des motifs, ceux-ci ne sont pas établis à suffisance de droit et qu’aucun grief n’a été porté à sa connaissance auparavant.

La décision de la cour

La cour répond, en premier lieu, sur la question de l’inclusion du pécule de vacances dans l’indemnité compensatoire de préavis et/ou la majoration à 108%. Elle ne suit pas la position du travailleur, considérant, à partir de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, que le pécule est certes un avantage acquis en vertu du contrat, mais que pour les ouvriers ce pécule n’est pas payé directement par l’employeur mais par les caisses de vacances, auprès desquelles les employeurs ont cotisé, renvoyant à l’article 18 des lois coordonnées du 28 juin 1971 relatives aux vacances annuelles des travailleurs salariés et à l’article 4 l’arrêté royal du 30 mars 1967 déterminant les modalités générales d’exécution de ces lois.

La cour rappelle que pour les ouvriers la base de calcul des cotisations destinées à financer les pécules de vacances est la même que celle appliquée au calcul des cotisations de sécurité sociale, s’agissant de la rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 (la cour renvoyant ici à la doctrine de S. BALTAZAR, Vacances annuelles et jours fériés, Wolters Kluwer, 2019, n° 530). Inclure le pécule de vacances dans la base de calcul de l’indemnité compensatoire de préavis reviendrait à accorder à l’ouvrier deux fois le bénéfice de ce pécule, étant une fois par l’inclusion dans l’indemnité compensatoire de préavis et une seconde fois au titre de pécule de vacances calculé sur celle-ci. L’ouvrier n’est en effet pas privé du pécule relatif à la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, puisqu’il en bénéficiera comme tel via la caisse.

La cour rejette également l’argument relatif à la discrimination, vu la prise en compte de l’avantage correspondant au pécule de vacances pour la durée de la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, cette prise en compte intervenant non par équivalent (majoration de l’indemnité) mais en nature (majoration du pécule). La cour conclut dès lors à la réformation du jugement sur ce poste.

Elle aborde ensuite l’examen du licenciement au regard de la C.C.T. n° 109. Il ressort des éléments de fait que la lettre recommandée a été dûment envoyée au siège de la société (l’erreur invoquée par celle-ci ne concernant que les mentions du récépissé). La réponse est donc tardive et l’amende civile est due d’office.

Sur le montant de celle-ci, elle rappelle les règles. La rémunération de référence est celle de l’indemnité compensatoire de préavis, les avantages acquis devant être ajoutés à la rémunération mensuelle. Il n’y a cependant pas de retenues de cotisations de sécurité sociale et – en conséquence – pas de paiement d’un complément de pécule de vacances (la cour renvoyant ici à la doctrine de A. FRY « La C.C.T. n° 109 : amende civile et indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable », Actualités et innovations en droit social, Anthemis – CUP – ULG, 2018, pp. 7 et s.).

Par ailleurs, sur le motif lui-même, elle fait sienne la méthode d’examen selon laquelle il faut suivre quatre étapes, étant la vérification (i) de la légalité du motif, (ii) de sa réalité, (iii) du lien de causalité et (iv) de la proportionnalité de la décision.

Vu l’absence de communication en temps utile des motifs, l’employeur doit prouver ceux-ci, à savoir non seulement les motifs dont il se prévaut dans le cadre de la procédure mais également le caractère non manifestement déraisonnable de la rupture.

Les motifs invoqués figurant dans les motifs légaux, la cour retient, dans son analyse, qu’ils ne sont nullement établis et que, à les supposer tels (quod non), il n’est pas non plus démontré que les motifs invoqués sont les motifs réels du licenciement et/ou que celui-ci n’en serait pas pour autant manifestement déraisonnable. Elle minore cependant l’indemnité allouée, à défaut notamment de tout élément objectif de nature à établir que le licenciement serait déraisonnable, notamment en ce qu’il aurait été décidé « en considération de motifs illicites ou inavouables ». L’indemnité est ainsi ramenée à dix semaines, tenant compte de l’ancienneté de l’intéressé et de l’absence de tout avertissement.

Enfin, sur les dépens, la cour constate que les deux parties ont chacune partiellement succombé dans leur demande/défense (l’ouvrier ayant introduit d’autres chefs de demande moins importants et sur lesquels il a été débouté). La société a cependant le plus largement succombé. Les dépens du travailleur sont en conséquence mis à sa charge pour les deux instances, à raison de 4/5e. Ses propres dépens lui sont délaissés.

Intérêt de la décision

La base de calcul de la rémunération servant à établir l’indemnité compensatoire de préavis est effectivement distincte pour les ouvriers, vu le sort particulier du pécule de vacances, non payé par l’employeur, contrairement aux employés.

La caisse de vacances reçoit, via l’O.N.S.S., de quoi constituer le pécule revenant au travailleur l’année suivant celle du prélèvement des cotisations de sécurité sociale et la cour rappelle ici que la base de calcul est identique (pécules et cotisations générales).

Rappelons que l’ensemble des salaires bruts est porté à 108%, avec assimilation de certaines journées d’absence, dont les journées d’absence pour maladie. Le pécule brut correspond à 15,38% des rémunérations de base de l’année précédant l’année de vacances chez les différents employeurs où l’ouvrier aurait presté. Le simple pécule est ainsi de 8% de la rémunération de base et le double de 7,38% de celle-ci.

Il ne se justifie, dès lors, pas d’inclure le pécule dans l’indemnité compensatoire de préavis elle-même. La cour a rappelé qu’il n’y a pas de discrimination avec les employés, le pécule étant de droit et son paiement n’intervenant pas par équivalent, par la voie de la majoration de l’indemnité compensatoire de préavis, mais en nature, puisque les cotisations ont été versées et que la période correspondante est incluse dans la période de référence servant au calcul du pécule qui sera payé l’année suivante.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be