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Secteur des assurances : conditions de l’indemnité de stabilité d’emploi

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2021, R.G. 2018/AB/506

Mis en ligne le jeudi 9 décembre 2021


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2021, R.G. 2018/AB/506

Terra Laboris

Par arrêt du 21 avril 2021, la Cour du travail de Bruxelles fait droit à une demande de paiement de l‘indemnité de stabilité d’emploi prévue dans la convention collective sectorielle applicable dans le secteur des assurances, rappelant que l’obligation d’information de la délégation syndicale en cas de notification d’un licenciement pour motif grave est indépendante de la présence du délégué lors de l’audition du travailleur.

Les faits

Un employé a été engagé par une compagnie d’assurances en 2012 en qualité de « Fleet Manager ». Il a été licencié pour motif grave en octobre 2015.

Il lui est essentiellement reproché d’avoir abusé des facilités relatives à la flotte de l’entreprise (carte essence, revente de véhicules à un prix bradé, pleins de carburants réalisés pour des véhicules de réserve, …) ainsi que d’avoir subtilisé du matériel (matériel de cuisine et PC).

La lettre de licenciement reprend les explications données par l’intéressé lors de son audition. La société conclut à la fraude, ainsi qu’à l’usage inapproprié des véhicules et d’autres matériels de la compagnie pour conclure qu’elle ne peut plus lui accorder sa confiance pour la poursuite du contrat de travail.

Un échange de correspondance intervient entre le conseil de l’employé et la société, suite auquel une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. La société a parallèlement déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains d’un juge d’instruction.

Un jugement a été rendu le 14 février 2018, réservant à statuer sur le chef de demande relatif à l’indemnité compensatoire de préavis (la procédure pénale étant toujours en cours). Le tribunal à d’ores et déjà fait droit à une demande relative à l’indemnité sectorielle de sécurité d’emploi ainsi qu’au remboursement de retenues effectuées indument.

En 2020, le Tribunal de première instance du Hainaut (division Mons), (section correctionnelle), a acquitté l’intéressé de la prévention d’abus de confiance, retenant toutefois celle de faux informatique. Il a ordonné pour celle-ci la suspension du prononcé de la condamnation pendant une durée de deux ans.

La société a interjeté appel du jugement du tribunal du travail rendu le 14 février 2018 par requête du 31 mai 2018. Elle sollicite la réformation du jugement et la condamnation de l’ex-employé à des dommages et intérêts importants.

L’intimé demande quant à lui le payement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il considère par ailleurs que la demande reconventionnelle de la société est prescrite et en conteste le fondement.

La décision de la cour

La cour reprend les principes en matière de motif grave considérant que celui-ci est établi en l’espèce. La cour s’appuie sur le jugement du tribunal correctionnel en ce qu’il a décidé qu’une prévention (faux informatique) était établie. Ce fait s’identifie à l’un de ceux reprochés dans la lettre de rupture. Le contexte d’agissements non seulement douteux mais frauduleux confère à la faute commise le caractère d’un motif grave de licenciement, un comportement malhonnête ruinant de manière immédiate et définitive la confiance que doit avoir un employeur dans le travailleur.

La demande d’indemnité compensatoire de préavis est dès lors rejetée.

Sur l’indemnité de sécurité d’emploi, renvoi est fait à la convention collective de travail sectorielle du 6 décembre 2010 (arrêté royal 28 avril 2011, M.B. 13 mai 2011). Une disposition particulière est prévue en cas de licenciement pour motif grave étant que l’employeur est tenu d’informer la délégation syndicale dès la notification légale à l’intéressé. La convention collective prévoit au titre de sanction le paiement d’une indemnité dont le montant varie selon l’ancienneté du travailleur, l’indemnité étant de trois mois si l’ancienneté varie entre un an et cinq ans et de six mois si elle est supérieure à cinq ans.

Cette formalité n’a pas été accomplie et la cour souligne que celle-ci est distincte de la présence du délégué syndical lors de l’audition du travailleur. Ceci ne peut justifier l’omission de l’information à la délégation syndicale. Il s’agit d’une procédure prévue par la convention collective au même titre que les autres obligations de l’employeur dans d’autres hypothèses de licenciement. Le travailleur n’a pas à exercer un droit à cet égard. En conséquence vu l’omission de la formalité, la société est tenue au payement de l’indemnité de sécurité d’emploi. Aucune précision ne figurant dans le texte de la convention collective quant à la rémunération de base, la cour accueille la demande de la société de ne retenir que le seul salaire mensuel.

Enfin, elle examine la question des retenues effectuées sur le pécule de vacances au titre de compensation légale entre cette créance et les dommages et intérêts que l’employeur réclame dans sa demande reconventionnelle. La cour rejette cette compensation, renvoyant essentiellement aux articles 1289 et suivants de l’ancien Code civil, qui reprend les conditions requises pour que cette compensation soit régulière : existence de deux dettes réciproques, entre les mêmes personnes agissant en la même qualité, dettes fongibles, liquides et exigibles.

Vu la contestation de l’intéressé, la dette n’est pas liquide et le mécanisme de la compensation légale ne pouvait donc s’appliquer.

Reste la question de la demande reconventionnelle, dont l’intimé plaide qu’elle est prescrite. La cour rejoint celui-ci, se fondant sur l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978. Son application se justifie vu que la demande de la société en dommages et intérêts n’aurait pas pu naître sans le contrat de travail et que tous les éléments du préjudice allégué sont directement liés à des fautes reprochées par la société au travailleur dans l’accomplissement de ses prestations.

Quant à la constitution de partie civile, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 7 septembre 2016 (Cass., 7 septembre 2016, P.16.0362.F), la cour rejette que celle-ci puisse avoir pour effet d’interrompre la prescription d’une action qui serait introduite ultérieurement devant le juge civil.

Enfin, elle conclut que le délai de prescription de l’article 26 du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle ne s’applique pas à une action civile fondée sur un manquement contractuel lorsque le fait qui constitue ce manquement n’est pas une infraction.

Intérêt de la décision

La clause de stabilité d’emploi figurant dans la convention collective sectorielle du 6 décembre 2010 vaut dans les hypothèses de licenciement individuel. Ceux-ci couvrent à la fois le licenciement avec procédure d’avertissement, celui sans procédure d’avertissement et le licenciement pour motif grave.

La cour a repris le texte en ce qu’il impose à l’employeur d’informer la délégation syndicale dès la notification légale du motif grave au travailleur, les obligations dans les deux autres hypothèses de licenciement étant distinctes. Toutes sont cependant visées à l’article 15 de la convention collective qui prévoit la sanction applicable en cas de non-respect. Cette sanction est identique s’agissant d’une indemnité de trois ou six mois en fonction de l’ancienneté du travailleur.

Cette indemnité est due indépendamment de l’existence du motif grave. En l’espèce, lorsque la cour statue, le jugement correctionnel a été rendu en ce qui concerne les préventions figurant dans la constitution de partie civile de la société et l’une de celles-ci a été retenue. Pour la cour, dès lors que le fait pour lequel la condamnation (en l’occurrence la suspension du prononcé de la condamnation) s’identifie à un des faits visés dans la lettre de licenciement contenant les motifs précis, le motif grave est établi.

Indépendamment de celui-ci, l’indemnité spéciale de sécurité d’emploi peut être réclamée si l’information n’avait pas été faite à la délégation syndicale. L’on notera que celle-ci n’est pas prévue dans un délai déterminé, le texte de la C.C.T. semblant cependant en faire une obligation concomitante au licenciement, puisqu’il mentionne que la délégation doit être informée « dès la notification légale à l’intéressé ».

Sur la question, l’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 4 août 2016 (C. trav. Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 2014/AB/803 - précédemment commenté) qui a examiné le droit à cette indemnité spéciale en cas de motif grave. La société plaidait en l’espèce qu’elle n’avait pas de délégation syndicale…


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