Terralaboris asbl

Rupture du contrat d’un commun accord : conditions d’un vice de consentement

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 9 juin 2021, R.G. 19/4.592/A

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 9 juin 2021, R.G. 19/4.592/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 juin 2021, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles reprend les conditions de la violence morale en tant que vice de consentement susceptible de vicier une convention de rupture d’un commun accord.

Les faits

Un agent de gardiennage, en fonction depuis une dizaine d’années, est convoqué aux fins de s’expliquer suite à des incidents survenus sur le lieu dont il assurait la surveillance. Il lui est proposé, lors de l’entretien, de signer deux documents afin d’éviter un licenciement pour motif grave. Il s’agit d’une part d’une convention de rupture d’un commun accord et, de l’autre, d’un document intitulé « renonciation de droits ».

La rupture d’un commun accord est aussitôt contestée par le conseil de l’intéressé, qui fait valoir que sa signature a été obtenue sous la contrainte. Il demande le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que de dommages et intérêts.

La pression est contestée par le conseil de la société.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, à qui il est demandé de constater un vice de consentement et de statuer, en conséquence, sur la rupture en tant que rupture unilatérale dans le chef de l’employeur.

La décision du tribunal

Le tribunal relève que, dans la convocation, rien ne permettait de présumer une rupture du contrat, celle-ci ne faisant pas état de la possibilité pour le travailleur de se faire accompagner d’un avocat ou d’un délégué syndical et l’attention de celui-ci n’étant nullement attirée sur l’importance de l’entretien en cause.

Il constate que la « convention de renonciation de droits » mentionne que l’intéressé accepte une fin de contrat de travail qui lui porte « moins préjudice qu’un licenciement pour faute grave ». Il s’interroge quant à ce préjudice plus grand, dans la mesure où, de toute manière, l’intéressé perd son indemnité compensatoire de préavis et est susceptible d’une sanction ONEm.

Il examine dès lors l’existence d’un vice de consentement, étant une violence morale exercée sur l’intéressé. Renvoyant aux dispositions du Code civil sur les vices de consentement (articles 1109 à 1112), le tribunal rappelle la notion de violence, étant le fait d’inspirer la crainte d’un mal considérable pour amener une personne à poser un acte juridique. Vu cette crainte, la volonté n’est pas libre et le consentement est considéré comme n’ayant jamais été donné. Il rappelle encore que, pour constituer un vice de consentement, la violence doit être injuste ou illicite. La crainte doit être déterminante pour obtenir le consentement.

En l’espèce, il y a eu une pression exercée sur le travailleur avec violence morale, et ce aux motifs de (i) la manière dont a été convoqué l’intéressé sans qu’il ne puisse anticiper le but de la réunion, (ii) la menace faite du licenciement pour faute grave, (iii) le fait que la réunion avait été organisée et les documents à signer préparés et (iv) celui d’être à deux pour influencer le travailleur. Ces éléments ont constitué ensemble la pression caractéristique du vice de consentement.

Dès lors qu’une convention de rupture est proposée à un travailleur et que les conditions dans lesquelles celle-ci est soumise à ce dernier sont injustes ou illicites, la convention est nulle (renvoyant à Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 7 juin 2016, R.G. 15/233/A et à C. trav. Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. 2011/AB/1.194).

Une indemnité compensatoire de préavis est dès lors due, le tribunal prenant comme rémunération journalière de référence la rémunération hebdomadaire divisée par sept.

Une demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ayant également été introduite, le tribunal reprend les étapes du contrôle judiciaire telles que fréquemment rencontrées, étant la vérification de la légalité, de la réalité, de la causalité et de la proportionnalité du motif. Il s’agit de vérifier (i) si le motif invoqué est un de ceux repris dans l’article 8 de la C.C.T. n° 109, (ii) s’il correspond à la réalité, (iii) s’il est la cause du licenciement et (iv) s’il est en proportion avec celui-ci (le tribunal renvoyant à A. FRY, « La C.C.T. n° 109 : amende civile et indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable », Actualités et innovations en doit social, sous la direction de J. CLESSE et H. MORMONT, Anthémis, 2018, C.U.P., vol. 182, mai 2018, pp. 7 à 118).

Si le motif invoqué est relatif au comportement, il n’est cependant pas démontré qu’une faute a été commise, de telle sorte que la réalité du motif n’est pas avérée. Pour ce qui est de la cause du licenciement, il s’agit de celle-ci, mais le tribunal souligne que la responsabilité du travailleur n’est nullement démontrée dans les faits et qu’en conséquence, il n’y a pas de proportion entre le motif invoqué et la rupture, le comportement de l’employeur apparaissant léger. Une indemnité de dix semaines est allouée.

Le travailleur ayant également introduit une demande d’abus de droit, le tribunal la rejette, considérant que le fait de ressentir un sentiment d’injustice n’entraîne pas automatiquement une atteinte à l’honneur.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail a renvoyé, dans son jugement, à un arrêt de la Cour du travail du 4 juin 2013 (C. trav. Bruxelles, 4 juin 2013, R.G. 2011/AB/1.194 – précédemment commenté).

La cour du travail avait rappelé des principes importants, étant notamment les caractéristiques que doit présenter la violence pour constituer un vice de consentement. Celle-ci doit en effet (i) avoir été déterminante du consentement, (ii) être de nature à faire impression sur la personne concernée, (iii) faire naître la crainte d’un mal considérable, de nature physique ou morale et (iv) être injuste ou illicite.

La Cour de cassation a également balisé les contours de la violence constitutive d’un vice de consentement. Un arrêt du 23 mars 1998 (n° S.97.0031.F) a posé le principe que la violence morale ne vicie la volonté que pour autant qu’elle soit injuste ou illicite. En l’espèce, la cour du travail avait considéré que les faits reprochés par l’employeur au travailleur pour obtenir sa démission immédiate ne revêtaient pas le caractère d’un motif grave et en avait déduit que la menace de licenciement pour ceux-ci était constitutive de violence, au sens de l’article 1112 du Code civil. Pour la Cour de cassation, cette seule circonstance n’établit pas que l’employeur avait fait un usage abusif de ses droits au moment où il avait menacé le travailleur de licenciement pour motif grave. Ces considérations ne justifiaient pas légalement la décision que la violence morale exercée était injuste.

Dans un arrêt ultérieur du 24 mars 2003 (Cass., 24 mars 2003, n° S.02.0092.F), la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Mons, qui avait considéré que, si la violence peut être motivée et justifiée par l’exercice normal d’un droit, encore faut-il que l’auteur de la prétendue violence n’abuse pas de son droit pour extorquer l’acceptation d’un « choix » finalement imposé. La cour du travail avait relevé que le travailleur ne s’attendait pas à ce qu’on lui oppose les reproches invoqués, la convocation étant parfaitement muette à ce titre, qu’il n’avait donc pas pu préparer sa défense en consultant un conseil par exemple, puisqu’aucun délai de réflexion ne lui fut ménagé postérieurement à sa rencontre.

Elle avait conclu que, en convoquant un travailleur sans lui préciser l’objet de la convocation et en le plaçant devant un aréopage exprimant des reproches dont les conséquences pouvaient engendrer une situation définitive non seulement en ce qui concerne la relation individuelle de travail, mais aussi au niveau de la qualité même du travailleur et de son avenir professionnel et en lui faisant, sans délai, signer un document préétabli prévoyant sa démission ou la rupture du contrat d’un commun accord, un employeur n’offrait pas à ce travailleur un véritable choix, la signature du document qui lui était dès lors extorquée l’ayant été sous l’emprise d’une violence morale qui viciait le consentement.

Relevons encore que, dans l’arrêt du 4 juin 2013 de la Cour du travail de Bruxelles, il a également été répondu à une demande d’indemnisation pour licenciement abusif, demande également rejetée, la cour du travail renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, J.T.T., 2006, p. 155).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be