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Soins médicaux à l’étranger : exigences relatives à l’autorisation préalable

Commentaire de C.J.U.E., 6 octobre 2021, Aff. n° C-538/19 (TS e.a. c/ C.N.A.S. et C.A.S.C.), EU:C:2021:809

Mis en ligne le mardi 15 février 2022


Cour de Justice de l’Union européenne, 6 octobre 2021, Aff. n° C-538/19 (TS e.a. c/ C.N.A.S. et C.A.S.C.), EU:C:2021:809

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 octobre 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne poursuit l’interprétation à donner à la question de l’autorisation préalable à un traitement médical à l’étranger. Doit être pris en compte l’avis médical émis par un médecin d’un autre Etat membre qui prescrit un traitement différent de celui du médecin relevant de l’Etat de résidence (la Cour considérant en outre qu’exiger que l’avis émane d’un médecin relevant du régime d’assurance maladie de cet Etat de résidence est une condition qui ne figure pas à l’article 20 du Règlement n° 883/2004).

Les faits

Un assuré social, résidant en Roumanie, se voit diagnostiquer une maladie grave (cancer de la langue) dans un établissement hospitalier de cet Etat. Il se rend en Autriche afin de demander un deuxième avis (clinique privée). Le diagnostic est confirmé mais un traitement impliquant une hospitalisation est recommandé, vu l’état avancé de la maladie. Ce traitement est considéré comme ayant le même degré d’efficacité et présente l’avantage de ne pas causer de handicap.

L’intéressé demande à l’institution compétente le formulaire E112. Il lui est répondu que les frais ne seront pas remboursés en intégralité, mais selon les tarifs roumains et que le formulaire ne peut être obtenu qu’en rapport avec la recommandation de traitement émise par un médecin indiqué par l’institution compétente. Il est demandé à l’intéressé d’obtenir un avis médical précisant qu’il ne peut pas être traité en Roumanie. Il ne produit pas un tel avis mais va se faire soigner (traitement lourd) en Autriche entre avril 2013 et avril 2014.

Il demande le remboursement des coûts y afférents. Il décédera quelque temps plus tard et, en 2016, l’institution roumaine remboursera à ses héritiers certains frais (examens et soins médicaux) en fonction du tarif d’assurance maladie roumain.

Les héritiers introduisent un recours devant le Tribunal de grande instance de Constanţa pour obtenir le remboursement, conformément au Règlement n° 883/2004, de la totalité des coûts afférents aux soins médicaux. Le recours est rejeté en première instance, vu l’absence d’autorisation préalable.

La cour d’appel constate que l’autorisation n’a pas été obtenue mais que la question est de savoir si le traitement aurait pu être remboursé si elle l’avait été. En l’occurrence, il est établi qu’existait une nécessité de recevoir d’urgence un traitement médical. Ne l’est pas, cependant, la possibilité de dispenser celui-ci en Roumanie, dans un délai acceptable, compte tenu de l’état de santé et de l’évolution probable de la maladie. Le juge de renvoi considère en conséquence qu’il faut établir si l’absence de délivrance de l’autorisation est due à des circonstances exceptionnelles, renvoyant à l’arrêt ELCHINOV (C.J.U.E., 5 octobre 2010 Aff. n° C-173/09, ELCHINOV c/ NATSIONALNA ZDRAVNOOSIGURITELNA KASA, EU:C:2010:581).

La cour d’appel pose dès lors quatre questions préjudicielles.

La décision de la Cour

La cour examine ensemble les quatre questions.

En substance, le juge de renvoi demande si la personne assurée qui a reçu, dans un Etat membre autre que celui de résidence, un traitement figurant parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat de résidence a droit au remboursement intégral des frais de ce traitement dans les conditions prévues par le Règlement n° 883/2004 lorsque cette personne n’a pas pu obtenir une autorisation de l’institution compétente conformément à l’article 20, § 1er, de ce Règlement, au motif que, bien que le diagnostic et la nécessité de la mise en œuvre urgente d’un traitement aient été confirmés par un médecin relevant du régime d’assurance maladie de l’Etat membre de résidence, ce médecin avait prescrit un traitement différent de celui que ladite personne a choisi, conformément à un second avis médical émis par un médecin d’un autre Etat membre, lequel traitement, à la différence du premier, n’engendrait pas de handicap. Il s’agit de l’interprétation de l’article 20 du Règlement n° 883/2004 lu en combinaison avec l’article 56 T.F.U.E.

La Cour rappelle que l’autorisation en cause doit être délivrée par l’institution compétente lorsque les deux conditions réunies à l’article 20, § 2, seconde phrase, du Règlement sont réunies. En vertu de ce texte, l’autorisation est accordée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et que ces soins ne peuvent lui être dispensés dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie. La Cour renvoie ici à son arrêt WO du 23 septembre 2020 (C.J.U.E., 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18, WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL, EU:C:2020:745, point 42 et jurisprudence citée).

La libre prestation de services visée à l’article 56 T.F.U.E. implique non seulement la liberté du prestataire de fournir des services à des destinataires établis dans un autre Etat membre, mais également la liberté en tant que destinataire de recevoir ou de bénéficier des services offerts par un prestataire lui-même établi dans un autre Etat membre, et ce sans être gêné par des restrictions.

La simple exigence d’une autorisation préalable constitue une telle restriction à la libre prestation de services dès lors qu’elle décourage les patients – voire les empêche – de s’adresser à des prestataires de services médicaux établis dans un autre Etat membre. Les conditions mises à l’octroi de l’autorisation doivent en conséquence être justifiées au regard des impératifs d’intérêt général (notamment prévenir le risque d’une atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale, maintenir un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous, ainsi que permettre une planification afin de garantir une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité et assurer une maîtrise des coûts).

Il faut également que les conditions mises n’excèdent pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin et que le même résultat ne puisse pas être obtenu par des règles moins contraignantes. Un tel système doit en outre être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales (considérant 36).

Il y a deux cas de figure où la personne assurée (même en l’absence d’une autorisation délivrée avant le début des soins) est en droit d’obtenir directement ce remboursement par l’institution compétente, étant que (i), lorsqu’elle a essuyé un refus de la part de cette institution, le caractère non fondé d’un tel refus est ultérieurement établi soit par l’institution compétente elle-même, soit par une décision juridictionnelle et (ii) lorsque, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir des soins en urgence dans un établissement hospitalier, la personne assurée est empêchée de solliciter une telle autorisation ou n’a pu attendre la décision de l’institution compétente sur la demande d’autorisation présentée.

Dans ce contexte, une réglementation qui exclut dans tous les cas la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation et qui prive la personne assurée de celle-ci (quand bien même les conditions seraient réunies par ailleurs) ne peut être justifiée par des impératifs d’intérêt général et ne satisfait pas à l’exigence de proportionnalité. Il s’agit d’une restriction injustifiée à la libre prestation de services (avec renvoi à son arrêt WO du 23 septembre 2020, cité).

Par ailleurs, l’article 20 du Règlement ne comporte aucune exigence expresse quant à la présentation d’un rapport médical, mais requiert une évaluation de l’état de santé de la personne assurée et de l’évolution probable de sa maladie ainsi que des traitements médicaux adaptés à son état et de la disponibilité de ces traitements dans le système de sécurité sociale de l’Etat membre de résidence ainsi que des délais dans lesquels ils peuvent y être prodigués.

L’article 26 du Règlement n° 987/2009 a fixé les modalités d’application de l’article 20 du Règlement n° 883/2004. Il prévoit qu’à tout moment au cours de la procédure d’autorisation, l’institution compétente conserve la faculté de faire examiner la personne assurée par un médecin de son choix dans l’Etat de séjour ou de résidence. Le choix de l’institution compétente ne peut donc être limité aux médecins relevant du régime public d’assurance maladie de l’Etat. L’avis médical ne doit dès lors pas obligatoirement être émis par celui-ci et un second avis médical délivré au cours de la procédure d’autorisation par un médecin pratiquant dans l’Etat membre dans lequel la personne a l’intention de se déplacer peut être pris en compte. Exiger que ce rapport médical émane d’un médecin relevant du régime public d’assurance maladie national est une condition qui va au-delà de celles prévues par l’article 20.

La Cour conclut que les dispositions en cause doivent être interprétées comme s’opposant à une réglementation nationale qui subordonne la délivrance d’une autorisation en vue de traitement dans un autre Etat membre à la présentation d’un rapport médical établissant le diagnostic ainsi que le traitement à réaliser par un médecin relevant du régime public d’assurance maladie et qui ne garantit pas la prise en compte par l’institution compétente d’un second avis médical émis dans l’autre Etat membre, prescrivant un traitement alternatif.

En conséquence, et en substance, la réponse aux questions posées est que la personne assurée qui a reçu, dans un autre Etat membre, un traitement figurant parmi les prestations prévues par la législation de l’Etat de résidence a droit au remboursement intégral des frais de ce traitement, aux conditions prévues par le Règlement, lorsqu’elle n’a pas pu obtenir l’autorisation de l’institution compétente au motif que, bien que le diagnostic et la nécessité de la mise en œuvre urgente d’un traitement aient été confirmés par un médecin relevant du régime d’assurance maladie de l’Etat membre de sa résidence, ce médecin avait prescrit un traitement différent de celui que ladite personne a choisi conformément à un second avis médical émis par un médecin d’un autre Etat membre, lequel traitement, à la différence du premier, n’engendrait pas de handicap.

Intérêt de la décision

L’arrêt fondateur en la matière est l’arrêt ELCHINOV (C.J.U.E., 5 octobre 2010 Aff. n° C-173/09, ELCHINOV c/ NATSIONALNA ZDRAVNOOSIGURITELNA KASA, EU:C:2010:581). La Cour de Justice y a considéré, dans le cadre du Règlement n° 1408/71, que les articles 49 (CE) et 22 du Règlement (CEE) n° 1408/71 s’opposent à une réglementation d’un Etat membre interprétée en ce sens qu’elle exclut, dans tous les cas, la prise en charge des soins hospitaliers dispensés sans autorisation préalable dans un autre Etat membre. L’autorisation requise ne peut être refusée (i) si, lorsque les prestations prévues par la législation nationale font l’objet d’une liste ne mentionnant pas expressément et précisément la méthode de traitement appliquée mais définissant des types de traitements pris en charge par l’institution compétente, il est établi que cette méthode de traitement correspond à des types de traitements mentionnés dans cette liste, et (ii) si un traitement alternatif présentant le même degré d’efficacité ne peut être prodigué en temps opportun dans l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’assuré social. Le même article s’oppose à ce que les organes nationaux appelés à se prononcer sur une demande d’autorisation préalable présument, lors de l’application de cette disposition, que les soins hospitaliers ne pouvant être dispensés dans l’Etat membre sur le territoire duquel réside l’assuré social ne figurent pas parmi les prestations dont la prise en charge est prévue par la législation de cet Etat et, inversement, que les soins hospitaliers figurant parmi ces prestations peuvent être prodigués dans ledit Etat membre.

D’autres étapes ont été franchies ultérieurement. Rappelons, pour les principales d’entre elles, l’arrêt PETRU du 9 octobre 2014 (C.J.U.E., 9 octobre 2014, Aff. C-268/13, PETRU c/ C.J.A.S.S. et C.N.A.S., EU:C:2014:2271 – précédemment commenté), où la Cour a jugé que l’article 22, § 2, second alinéa, du Règlement (CEE) n° 1408/71 ne permet pas de refuser une prestation de soins hospitaliers sur le territoire d’un autre Etat membre lorsqu’il y a défaut de médicaments et de fournitures médicales de première nécessité. Elle précise les critères d’appréciation de l’impossibilité vantée.

Sur la question de l’autorisation préalable, la Cour s’est encore prononcée dans un arrêt du 23 septembre 2020 (C.J.U.E., 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18, WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL, EU:C:2020:745 – précédemment commenté) en cas de nécessité de recevoir des soins en urgences. Elle a considéré dans celui-ci qu’une réglementation nationale qui exclut le remboursement par l’institution compétente des frais relatifs aux soins hospitaliers ou non hospitaliers lourds reçus dans un autre Etat membre en l’absence d’autorisation préalable, et ce y compris dans les situations particulières où la personne assurée a été empêchée de solliciter une telle autorisation ou n’a pu attendre la décision, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir de tels soins en urgence (quand bien même les conditions d’une telle prise en charge seraient réunies par ailleurs), est disproportionnée à la libre prestation des services figurant à l’article 56 T.F.U.E. et méconnaît l’article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24 (avec renvoi à l’arrêt ELCHINOV).

Relevons encore, pour ce qui est des droits fondamentaux, un arrêt du 29 octobre 2020 (C.J.U.E., 29 octobre 2020, Aff. n° C-243/19, A c/ VESELĪBAS MINISTRIJA, EU:C:2020:872) concernant l’obstacle des croyances religieuses. La Cour a jugé dans celui-ci que la Directive n° 2011/24/CE (article 8, §§ 5 et 6, d), lue à la lumière de l’article 21, § 1er, de la Charte s’oppose à ce que l’Etat membre d’affiliation d’un patient refuse d’accorder à ce dernier l’autorisation prévue à l’article 8, § 1er, de la Directive (soins programmés à l‘étranger) lorsqu’est disponible, dans cet Etat membre, un traitement hospitalier dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute, mais que les croyances religieuses de ce patient réprouvent le mode de traitement utilisé, à moins que ce refus ne soit objectivement justifié par un but légitime (maintien d’une capacité de soins de santé ou d’une compétence médicale) et ne constitue un moyen approprié et nécessaire permettant d’atteindre ce but. Il appartient à la juridiction de renvoi de le vérifier (la règle étant distincte dans le cadre du Règlement 883/2004).


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