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Aggravation des séquelles d’un accident du travail : obligations de FEDRIS

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 janvier 2022, R.G. 2020/AL/412

Mis en ligne le mardi 16 août 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 27 janvier 2022, R.G. 2020/AL/412

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 janvier 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) précise les obligations de FEDRIS telles que visées à l’article 136, § 6, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 : l’Agence doit transmettre à l’organisme assureur A.M.I. toutes les décisions judiciaires rendues et non seulement le jugement définitif.

Les faits

Un travailleur avait été victime d’un accident du travail en 1984. Les séquelles de l’accident furent fixées par un jugement du Tribunal du travail de Verviers du 24 novembre 1988 (70% d’I.P.P.). Le taux fut majoré par la suite (2011). En 2014, l’intéressé estima être victime d’une aggravation. Il demanda à son organisme assureur A.M.I. de prendre en charge une incapacité de travail à partir du 3 février.

La réponse de la mutualité fut que l’incapacité de travail était due partiellement ou totalement à l’accident du travail et qu’il y avait lieu d’appliquer l’article 136, § 2, de la loi, la mutuelle devant ainsi déduire de ses interventions les avantages et réparations perçus à la suite de l’accident. La mutuelle demandait à l’intéressé de l’informer de tout avantage qui lui était octroyé à ce titre.

Parallèlement, celui-ci se tourna vers FEDRIS pour une prise en charge et celle-ci fut refusée par courrier du 20 mars 2014, refus qui ne fut pas porté à la connaissance de la mutuelle.

Un recours fut introduit contre la décision de FEDRIS devant le Tribunal du travail de Verviers le 23 octobre 2014 et ceci ne fut pas davantage communiqué à la mutuelle.

Un expert fut désigné et il déposa son rapport le 2 novembre 2016, fixant le bilan séquellaire et maintenant les anciens taux retenus. Ce jugement fut entériné par le tribunal et FEDRIS prit alors contact avec la mutualité, l’informant de la décision judiciaire.

La mutuelle adressa le montant des indemnités payées au titre d’incapacité de travail et comme soins médicaux. A ce moment, FEDRIS invoqua la prescription pour la réclamation de la mutuelle, et ce sur pied de l’article 69 de la loi du 10 avril 1971.

Une discussion intervint entre les deux organismes et la mutuelle introduisit en fin de compte une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), réclamant des indemnités et des soins de santé, pour un montant total de l’ordre de 15.700 euros.

Le jugement du tribunal

Par jugement rendu le 3 septembre 2020, le tribunal du travail considéra que la demande était non fondée, et ce au motif de prescription.

La mutuelle interjette appel. Elle sollicite, comme en première instance, la condamnation de FEDRIS au montant correspondant à l’ensemble de ses débours au titre d’indemnités et de soins de santé, introduisant à titre subsidiaire une demande ne concernant que les soins de santé.

La décision de la cour

La cour reprend l’article 136, § 2, alinéas 1er à 7, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, rappelant que celui-ci a été complété par une loi du 6 août 1993 portant des dispositions sociales, pour y ajouter les deux derniers alinéas, selon lesquels le débiteur de la réparation doit avertir l’organisme assureur A.M.I. de son intention d’indemniser le bénéficiaire et que, pour ce, il lui transmet, si celui-ci n’y a pas été partie, une copie des accords ou décisions de justice intervenus. En cas d’omission, le débiteur de la réparation ne peut opposer à la mutuelle les paiements effectués en faveur du bénéficiaire en cas de double paiement, ces paiements restant définitivement acquis à ce dernier.

La cour renvoie aux travaux préparatoires, qui exposent les raisons de cette modification législative. Il s’agit de régler le problème des organismes assureurs dans l’exercice de leur action subrogatoire, et ce eu égard à la question du dépistage des accidents indemnisés en vertu d’une autre législation. Le but de la modification est ainsi de mettre à charge du débiteur de la réparation une obligation d’information et la sanction en cas de défaut est que le paiement fait à la victime par le débiteur n’est pas opposable à l’organisme assureur s’il a été fait en méconnaissance de ses droits. En outre, le débiteur ne peut récupérer le paiement auprès de la victime, celui-ci étant qualifié de « fautif ». Enfin, une sanction pénale est prévue, ce qui confère aux nouvelles dispositions un caractère d’ordre public.

La cour rappelle encore que, lorsqu’il exerce son action, l’organisme assureur n’introduit pas une demande distincte de celle de la victime mais, par une demande distincte, exerce l’action de celle-ci, à laquelle il est subrogé de plein droit.

La cour reprend encore, pour ce qui est de la loi du 10 avril 1971, l’article 25bis (accidents survenus avant le 1er janvier 1988, pour lesquels il y a aggravation temporaire) ainsi que l’article 69 relatif à la prescription. Elle rappelle ici que la règle de l’article 69 concerne toutes les indemnités dues en vertu de la loi et de ses arrêtés d’exécution, quels que soient sa dénomination ou son mode d’octroi, diverses décisions de la Cour de cassation étant citées (dont Cass., 19 juin 2006, n° S.05.0108.N et Cass., 12 décembre 2005, n° S.04.0166.F).

Elle reprend également la règle relative au point de départ du délai de prescription, qui prend cours au moment où naît le droit à réparation.
Pour l’action en paiement des indemnités d’incapacité (temporaire et permanente), il s’agit du jour où l’incapacité s’est manifestée pour la première fois et où le droit à l’indemnité réclamée est né. Pour l’action en paiement des indemnités d’aggravation, c’est le moment où l’état de la victime s’aggrave et, enfin, pour l’action en paiement des frais médicaux, chirurgicaux et hospitaliers, le moment où les frais sont exposés.

La cour termine ce rappel des règles applicables par l’article 70 L.A.T. ainsi que la règle selon laquelle l’interruption de la prescription par celui qui se fait subroger dans ses droits n’a lieu au profit du subrogé que si elle est antérieure et non postérieure à la subrogation.

Examinant en l’espèce les dates et périodes visées, la cour conclut à la prescription d’une partie des frais, étant ceux datant de plus de trois ans avant la demande introduite, le point de départ étant les décaissements.

La mutuelle n’a pas été informée de la procédure judiciaire et FEDRIS n’a pas transmis le jugement avant dire droit désignant l’expert. Ce n’est que plus tard, après que le jugement entérinant le rapport d’expertise a été rendu, que cette communication a été faite et, à ce moment, l’action subrogatoire de la mutuelle était déjà prescrite.

Elle considère (contrairement au tribunal) que FEDRIS aurait dû transmettre non seulement le jugement définitif, mais également celui désignant l’expert. Le texte de l’alinéa 6 de l’article 136, § 2, impose de transmettre à l’organisme assureur, lorsque celui-ci n’y a pas été partie, « une copie des accords ou décisions de justice intervenus ». Pour la cour, toutes les décisions doivent dès lors être communiquées, qu’il s’agisse de décisions définitives ou non.

En ne respectant pas son obligation légale, FEDRIS a commis une faute et celle-ci a créé un dommage. Par application des articles 1382 et 1383 du Code civil, la mutuelle doit être dédommagée.

Les décomptes sont dès lors examinés, notamment sous l’angle du lien causal entre les soins de santé et l’accident.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) réforme un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Verviers) du 3 septembre 2020 (Trib. trav. Liège, div. Verviers, R.G. 18/846/A – précédemment commenté).

La décision du tribunal avait confirmé le bien-fondé de la position de FEDRIS, déboutant la mutualité de son action.

Le tribunal avait rappelé à cet égard que l’article 63, § 2, de la loi du 10 avril 1971 n’est pas applicable à FEDRIS (l’Agence ne développant pas des activités d’une entreprise d’assurances). Le débat relatif à cet article n’était dès lors pas approprié.

Il avait cependant accueilli la thèse de FEDRIS, qu’il avait estimée conforme à l’article 136, alinéa 6, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, étant que l’Agence avait correctement respecté son obligation d’information. Il avait rappelé les deux hypothèses visées, étant soit (i) que FEDRIS peut décider de reconnaître et d’indemniser l’aggravation, auquel cas elle est tenue d’avertir la mutualité de son intervention afin que les paiements de celle-ci cessent, soit (ii) qu’elle n’accepte pas l’aggravation, ce qui l’oblige, en cas de condamnation, à prendre en charge l’aggravation reconnue judiciairement et à transmettre à la mutualité, qui n’a pas été partie à la cause, les décisions judiciaires.

En l’espèce, la transmission n’avait concerné que la décision définitive, rendue alors que le délai de prescription de l’action de la mutualité était prescrit. Le défaut de transmission du jugement avant dire droit n’avait pas été considéré par le tribunal comme un manquement à l’article 136, alinéa 6, au contraire de la position de la cour, qui a insisté sur les termes de la disposition légale, qui visent les décisions judiciaires. Ceci vaut pour toute décision, qu’elle soit définitive ou avant dire droit.

Ayant retenu la faute, la cour a en conséquence fait application de la théorie générale de la responsabilité et, ayant par ailleurs constaté un dommage en lien avec celle-ci, a réformé le jugement.


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