Terralaboris asbl

Conditions du bénéfice du statut de chômeur complet en cas de travail à temps partiel

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 18 février 2022, R.G. 19/149/A

Mis en ligne le mardi 16 août 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 18 février 2022, R.G. 19/149/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 février 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai) rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019, selon lequel le bénéficiaire d’allocations au titre de chômeur complet sur la base d’une activité à temps plein et qui conclut un contrat de travail à temps partiel sans remplir les conditions du statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits ne peut plus être considéré comme chômeur complet et ne peut dès lors bénéficier des allocations pour les jours pendant lesquels il ne travaille pas en vertu de son contrat de travail.

Objet du litige

L’ONEm a notifié à un assuré social son exclusion du bénéfice des allocations de chômage pour une période allant du 29 mai 2015 au 31 octobre 2018, sur pied des articles 44, 45 et 71 de l’arrêté royal organique, les cent-cinquante dernières allocations étant à récupérer. Un avertissement est donné, vu que la carte de contrôle n’aurait pas été complétée conformément aux directives de l’ONEm.

L’ONEm expose dans sa motivation concernant la décision d’exclusion que l’intéressé, tout en percevant des allocations de chômage complet, est engagé par contrat de travail depuis 2013 par une société à raison de dix heures par semaine et que cet emploi à temps partiel n’a pas été déclaré en temps requis. Il ne peut dès lors être considéré comme étant privé de travail et de rémunération.

Pour ce qui est de l’exclusion sur la base de l’article 71 de l’arrêté royal, il est reproché au chômeur de ne pas avoir respecté les directives de l’ONEm, étant mentionné sur sa carte de contrôle qu’il devait être en possession de celle-ci dès le premier jour de chômage effectif du mois jusqu’au dernier jour et la conserver sur lui, celle-ci devant par ailleurs être complétée à l’encre indélébile.

Pour la récupération, la bonne foi est reconnue et l’avertissement est expliqué comme lié au fait que, au cours des deux années précédentes, aucune sanction n’a été appliquée sur la base des articles 153, 154 ou 155 de l’arrêté royal. L’ONEm expose que, dès qu’un travailleur est lié par un contrat de travail à temps partiel, il n’a plus la qualité de chômeur complet et qu’il ne peut donc plus se contenter de noircir les cases de sa carte de contrôle les jours de travail pour conserver son droit aux allocations. Il doit demander le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits, l’allocation de garantie de revenus et faire usage de la carte de contrôle spécifique prévue pour cette catégorie de travailleurs (C3 temps partiel). Pour l’ONEm, toutes allocations de chômage perçues durant la période couverte par le contrat de travail en qualité de chômeur complet sont des allocations indues et doivent être remboursées. La limitation de la récupération aux cent-cinquante dernières allocations, qui implique la bonne foi de l’intéressé, est fondée sur le fait qu’il a complété ses cartes de contrôle le jour où il travaillait, suite à une information qu’il aurait reçue en février 2016.

L’ONEm introduit une demande reconventionnelle en remboursement des allocations correspondant aux cent-cinquante derniers jours d’indemnisation réclamés.

Position du demandeur devant le tribunal

Le demandeur expose avoir fait l’objet d’une sanction en 2016, faisant référence à l’article 71, alinéa 1er, 3° et 4°, de l’arrêté royal, et précise que, suite à cette décision, il a complété sa carte conformément aux instructions de l’ONEm et qu’il a noirci les cases correspondant aux journées prestées. Il reproche à l’ONEm de ne pas avoir été informé quant aux démarches à accomplir auprès de l’organisme de paiement, vu qu’il prestait dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel. Il expose que, lors de ses demandes d’allocations de chômage postérieures à la décision de 2016, l’ONEm a statué sur ses droits en connaissance de cause. Il y a dès lors une erreur de la part de l’ONEm, un manque de vigilance, une négligence à son devoir d’information et de traitement du dossier. Il sollicite en conséquence l’annulation de la décision elle-même et, subsidiairement, celle de l’exclusion et de la récupération.

La décision du tribunal

Un rappel est fait des conditions d’octroi des allocations fixées aux articles 44 et 45 de l’arrêté royal, le tribunal soulignant qu’outre l’indemnisation des chômeurs complets, les travailleurs occupés à temps partiel ayant sollicité le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits (article 29, §§ 2 et 2bis, de l’arrêté royal organique) ou demandé le bénéfice de l’allocation de garantie de revenus (dans le respect de l’article 131bis, § 1er, de celui-ci) sont couverts par la réglementation, mais que ces deux régimes supposent le respect d’obligations distinctes.

Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.17.0004.F), ainsi qu’à l’arrêt sur renvoi de la Cour du travail de Mons du 27 octobre 2021 (C. trav. Mons, 27 octobre 2021, R.G. 2019/AM/315), jurisprudence en vertu de laquelle le travailleur à temps partiel volontaire ne peut être tenu pour un chômeur complet au sens de l’article 27, 1°, b), de l’arrêté royal chômage et qu’il ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement.

Le tribunal reprend encore les règles relatives à la carte de contrôle, ainsi que celles en matière de récupération.

Il résulte de son examen du dossier que l’intéressé a travaillé à temps partiel et n’a ni demandé le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits ni réclamé le bénéfice de l’allocation de garantie de revenus. Il a dans le même temps bénéficié d’allocations de chômage complet, sauf pour les jours où il travaillait.

Or, il n’avait pas la qualité de chômeur complet et la décision de l’ONEm est dès lors fondée, tant sur le plan de l’exclusion que sur celui de la sanction et de la récupération.

Cependant, si le chômeur a commis une erreur, la situation n’est pas récente et elle était pour le tribunal bien connue de l’ONEm, puisqu’en 2016, cette situation lui avait déjà été reprochée. Or, l’ONEm s’était limité à l’époque à lui expliquer ce qu’il devait faire par rapport à ses cartes de contrôle, ce qu’il a fait.

Le tribunal relève également que les deux décisions concernent non seulement le même contexte, mais également la même période et qu’il faut apprécier la position de l’ONEm aujourd’hui par rapport à ce qu’elle était en 2016. Il y a effectivement une erreur dans le chef de l’Office et celle-ci a pu induire la personne en erreur sur la portée de ses droits et sur les démarches à accomplir, d’autant que le droit aux allocations de chômage complet a été rouvert après la sanction de 2016, et ce sans réserves. Cette erreur a causé un préjudice au travailleur et, en réparation de celui-ci, le tribunal rejette la demande reconventionnelle de remboursement. Il rappelle également à l’ONEm le respect des principes de bonne administration, le devoir de minutie, ainsi que l’obligation d’information et de proactivité incombant à toutes les institutions de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

Le point essentiel de ce jugement est le rappel de l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.17.0004.F – précédemment commenté). Celui-ci a été rendu sur pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 octobre 2016 (C. trav. Bruxelles, 19 octobre 2016, R.G. 2015/AB/275).

La cour du travail avait considéré que l’intéressé avait été admis sur la base d’une activité à temps plein et qu’il avait droit aux allocations de chômage pour tous les jours de la semaine, sauf pour ses jours de travail. Elle considéra qu’il n’y avait pas lieu, eu égard au texte des articles 44, 45 et 71 de l’arrêté royal, de faire une distinction parmi les chômeurs complets qui exécutent des prestations de travail en les mentionnant sur leur carte de contrôle entre ceux qui disposent d’un contrat de travail à temps partiel écrit et ceux qui travaillent sans contrat de travail, concluant sur ce point qu’il serait particulièrement inéquitable de soumettre les chômeurs qui travaillent dans le cadre d’un contrat écrit à un régime plus strict que ceux qui travaillent dans un cadre « informel », en imposant aux premiers et non aux seconds de solliciter le statut de chômeur à temps partiel avec maintien des droits et demander d’allocation de garantie de revenus.

Le pourvoi faisant valoir que, dès lors qu’un chômeur est occupé dans les liens d’un contrat de travail à temps partiel, il ne lui suffit plus de compléter les cases de sa carte de contrôle en faisant apparaître les jours où il a effectué un travail. Il faut distinguer deux situations : soit il remplit les conditions de l’article 29, §§ 2 et 2bis, et peut obtenir le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits (hypothèse dans laquelle il peut prétendre à une allocation de garantie de revenus s’il satisfait aux conditions réglementaires), soit il ne remplit pas ces conditions et il est réputé travailleur à temps partiel volontaire, conformément à l’article 29, § 4, et il ne peut prétendre à aucune allocation pendant la durée de son occupation, ne pouvant bénéficier de demi-allocations pour les heures où il était habituellement occupé qu’à la fin de son occupation s’il devient chômeur complet. A défaut d’avoir sollicité le statut de travailleur à temps partiel avec maintien des droits et le bénéfice de l’allocation de garantie de revenus, le chômeur à temps partiel perd pendant cette occupation la qualité de chômeur complet.

La Cour de cassation a censuré la cour du travail, reprenant les principes contenus aux articles 44, 27, 1°, 29, §§ 2 et 2bis, ainsi que § 4, et 131bis, de l’arrêté organique pour conclure qu’il suit du rapprochement de ces dispositions que, durant la durée de son occupation, le travailleur à temps partiel volontaire ne peut être tenu pour un chômeur complet au sens de l’article 27, 1°, b), de l’arrêté royal et qu’il ne peut prétendre à aucune allocation pour les heures pendant lesquelles il ne travaille pas habituellement.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be