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Chômage : conditions d’octroi des allocations provisoires

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 13 octobre 2021, R.G. 2020/AU/63

Mis en ligne le mardi 23 août 2022


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 13 octobre 2021, R.G. 2020/AU/63

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 octobre 2021, la Cour du travail de Liège rappelle les conditions d’octroi des allocations de chômage provisoires, étant que le travailleur licencié doit s’engager à introduire une action contre son ex-employeur devant la juridiction compétente, et ce dans l’année du licenciement.

Les faits

Après son licenciement pour motif grave, un employé introduit une procédure au Luxembourg, devant le tribunal compétent en vertu du contrat de travail signé entre les parties. Cette procédure a été initiée dans le délai d’un an après la rupture (le point de départ du délai étant selon le droit luxembourgeois non la rupture elle-même mais la réclamation du travailleur). Dans le cadre de la procédure, il est apparu que l’employeur (initial) avait changé, à la suite d’un apport de branche d’activité. L’employeur au moment de l’engagement n’était dès lors plus celui qui occupait la travailleuse au moment du licenciement. La procédure luxembourgeoise s’est clôturée par une radiation. Une nouvelle requête a été déposée devant les mêmes juridictions, ceci étant cependant intervenu hors délai. Est pris en compte un courrier adressé cinq jours après le licenciement par l’organisation syndicale de l’intéressé (courrier dont il déclara ne pas avoir connaissance), lui-même ayant contesté par une lettre adressée deux mois plus tard. Selon la loi luxembourgeoise, si celle-ci avait constitué le premier acte de contestation, la procédure aurait été déclarée recevable.

Entre-temps, il avait été admis au bénéfice des allocations provisoires par l’ONEm. Il avait été informé, lors de cet octroi, de ce qu’il devait exiger de l’employeur le paiement de l’indemnité suite à la rupture ou de dommages et intérêts, ceux-ci devant être versés à l’ONEm à concurrence des allocations provisoires perçues. Il devait également prendre l’engagement d’informer immédiatement les services administratifs de chaque reconnaissance de dette effectuée par l’employeur ou de toute décision judiciaire relative à l’indemnité ou aux dommages et intérêts.

Deux ans plus tard, en juin 2017, l’ONEm demanda à l’intéressé de lui faire connaître les suites réservées à l’action introduite et des rappels lui furent envoyés. En décembre, celui-ci précisait que son dossier n’avait toujours pas été jugé.

Un an et demi plus tard, fut transmis par l’organisation syndicale le jugement luxembourgeois déclarant l’action irrecevable car introduite en dehors du délai légal (tel qu’exposé ci-dessus). L’ONEm décida alors d’exclure l’intéressé du droit aux allocations et de récupérer celles indument perçues. La période concerne quatre mois.

Suite au recours introduit, le Tribunal du travail de Liège (division Arlon) considéra par jugement du 13 octobre 2020 que l’intéressé n’avait pas utilement introduit l’action contre son employeur et qu’il ne démontrait pas l’existence d’un cas de force majeure. La décision de l’ONEm fut confirmée.

Appel fut interjeté en vue d’obtenir la réformation du jugement. Dans le cadre de la procédure, le travailleur avait appelé son conseil en intervention forcée, en vue d’obtenir paiement de dommages et intérêts. Cette demande fut maintenue en degré d’appel.

La décision de la cour

La cour statue essentiellement sur la décision d’exclusion et de récupération d’indu. Renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2016 (Cass, 6 juin 2016, n° S.16.0003.F), elle reprend le principe selon lequel le tribunal du travail, saisi d’une contestation entre l’ONEm et le chômeur relative au droit aux allocations pendant la période d’exclusion (celle-ci étant contestée par ledit chômeur), est tenu, dans le respect des droits de la défense et sans modifier l’objet de la demande, d’appliquer aux faits régulièrement soumis à son appréciation les règles de droit qui leur sont applicables. Il ne peut reconnaître le droit aux allocations que dans le respect des dispositions légales et réglementaires relatives au chômage.

En matière de récupération d’indu, la Cour de cassation a par ailleurs considéré, dans un arrêt du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.16.00.94.F) que, lorsque la décision d’exclusion ordonnant également la récupération des allocations indues est annulée par la juridiction compétente parce qu’elle est illégale et que, comme l’avait fait le directeur, le juge dénie au chômeur le droit aux allocations, il ne peut ordonner la récupération des sommes payées indûment que s’il est saisi d’une demande à cette fin.

La cour considère en conséquence qu’elle doit se substituer à l’ONEm en ce qui concerne le droit de l’intéressé aux allocations provisoires et, de même, pour la récupération d’indu.

Sur le droit de l’intéressé de percevoir des allocations provisoires, la cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 juin 2020 (C. trav. Mons, 11 juin 2020, R.G. 2019/AM/ 271), qui a repris l’origine de la disposition visée, étant l’article 47 de l’arrêté royal organique. Celle-ci y a souligné qu’il résulte de la transposition partielle dans l’arrêté royal chômage de l’article 7, § 12, de l’arrêté loi du 28 décembre 1944 introduit par la loi-programme du 30 décembre 1988. Il s’est agi de donner une base légale à la pratique administrative en vertu de laquelle l’ONEm octroyait des allocations à titre provisoire aux travailleurs qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, n’avaient pas effectivement perçu l’indemnité de rupture (ou les dommages et intérêts correspondants).

La Cour du travail de Liège souligne qu’une des conditions est pour le chômeur d’être privé pour des raisons indépendantes de sa volonté des indemnités auxquelles il peut prétendre. Dès lors que le travailleur n’a pas respecté son engagement de réclamer à son employeur les sommes auxquelles il avait droit, il doit être considéré comme s’étant privé volontairement de rémunération.

En l’espèce, la cour constate de la chronologie des faits que l’intéressé a entrepris les démarches requises en vue de tente d’obtenir les indemnités en cause. Il a respecté l’esprit des dispositions réglementaires applicables et il en a aussi respecté la lettre. Le texte prévoit en effet du chômeur qu’il intente une action en justice « dans l’année qui suit la cessation de son contrat de travail, et ce devant la juridiction compétente, aux fins d’obtenir l’indemnité ou des dommages et intérêts ». En l’espèce, l’action a été intentée devant la juridiction luxembourgeoise, celle-ci étant compétente et l’objet de l’action était d’obtenir les indemnités de rupture éventuellement dues. Ceci a été fait dans l’année de la rupture.

Les avatars ultérieurs ne peuvent être compris comme une privation volontaire dans le chef de l’intéressé de ses indemnités. La cour souligne qu’une procédure a été réintroduite immédiatement, ce qui témoigne de la volonté du travailleur de ne pas renoncer à celles-ci. Il y a eu un concours de circonstances qui a débouché sur une décision d’irrecevabilité et il n’y a pas lieu de donner à celle-ci des conséquences plus défavorables qu’une décision de non-fondement, la cour soulignant que celle-ci n’a pas pour conséquence automatique que l’ONEm réclame le remboursement des allocations. Elle fait dès lors droit à l’appel.

Intérêt de la décision

La cour rappelle ici les obligations exactes mises à charge du chômeur qui sollicite le bénéfice des allocations provisoires, n’ayant pas obtenu l’indemnité de rupture. Elle a repris les conditions légales, qui sont au nombre de trois : le travailleur droit intenter une action, ceci devant la juridiction compétente, et ce dans l’année du licenciement.

Que l’action soit, comme en l’espèce, déclarée non recevable ne doit pas donner lieu à des conséquences plus défavorables que si le travailleur avait été débouté au motif du non-fondement de l’action.

Il peut être utile de rappeler que, dans un arrêt du 21 février 2020 (C. trav. Liège, div. Liège, 21 février 2020, R.G. 2018/AL/455), la Cour du travail de Liège s’est penchée sur la situation où l’action n’avait pas été introduite. Elle y souligna que l’issue de l’action est ici sans incidence, puisque l’article 47 de l’arrêté royal ne prévoit pas de sanction si une action est introduite mais qu’elle n’a pas débouché sur une condamnation de l’employeur. Il n’y a, dans cette hypothèse, pas lieu à rembourser les allocations provisoires, dans la mesure où la procédure a été entamée, ce qui amène la cour à conclure que l’intéressée ne prenait aucun risque en lançant cette action, l’obligation en cause étant une obligation de moyen.

Il résulte de ce mécanisme qu’une action, même périlleuse, a intérêt à être introduite devant les juridictions du travail aux fins de maintenir le droit aux allocations provisoires. L’octroi de celles-ci intervient en effet du simple fait de l’engagement pris par le travailleur d’introduire l’action en cause (dans les conditions ci-dessus).

En ce qui concerne les conditions du maintien lui-même, l’on peut citer l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 juin 2020 (C. trav. Mons, 11 juin 2020, R.G. 2019/AM/271), qui a repris sur la question les obligations de l’ONEm, étant non seulement celles des articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, mais en outre les articles 24 et 25bis de l’arrêté royal organique, ceux-ci contenant des dispositions relatives à l’obligation d’information et de conseil. En la matière, cette obligation n’est mise à charge de l’ONEm qu’à titre résiduaire, étant confiée principalement aux organismes de paiement.


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