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Allocations aux personnes handicapées et condition de nationalité

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 novembre 2021, R.G. 2020/AB/655

Mis en ligne le mardi 23 août 2022


Cour du travail de Bruxelles, 8 novembre 2021, R.G. 2020/AB/655

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 novembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend la position des hautes cours sur la condition de nationalité exigée en matière d’octroi des prestations aux personnes handicapées, et particulièrement sur la distinction opérée entre l’inscription au registre de la population et au registre des étrangers.

Les faits

Un jeune marocain est arrivé en Belgique avec ses parents à l’âge de cinq ans, en 1974. Il a par la suite bénéficié d’une carte d’identité pour étranger (carte C) et a été inscrit au registre de la population en 1982.

Il a été radié en juin 2005 suite à des contrôles à son adresse négatifs.

Entre-temps, il s’est marié au Maroc et son mariage a ultérieurement été dissous.

En 2009, il a introduit une demande d’autorisation de séjour basée sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. Il a été mis en possession d’une carte B, étant autorisé au séjour illimité, en décembre 2010. Il a été réinscrit au registre des étrangers à ce moment. Il a bénéficié, de manière intermittente, du revenu d’intégration du C.P.A.S. de Koekelberg.

En avril 2018, il a introduit une demande d’allocations aux personnes handicapées. Les conditions médicales ont été constatées pour l’allocation de remplacement de revenus ainsi que pour une allocation d’intégration de sept points.

Ces allocations ont cependant été refusées par décision du 2 juillet 2019 au motif de nationalité.

Il a, en 2020, introduit une demande d’autorisation d’établissement, celle-ci ayant été rejetée par une décision de l’Office des étrangers du 26 août 2020, pour des raisons d’ordre public. Un recours a été introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers et celui-ci semble toujours ouvert au moment où la cour statue.

Les antécédents de la procédure

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles contre la décision de l’Etat belge refusant l’octroi des allocations.

Par jugement du 7 octobre 2020, la demande a été déclarée non fondée.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour examine très longuement et avec force détails les éléments de la discussion juridique. Les dispositions légales en cause sont l’article 4 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, celui-ci reprenant, en son § 1er, les diverses catégories de nationalité admises par la loi (ainsi que les réfugiés et autre hypothèse non visée ici) et l’article 1er de l’arrêté royal du 17 juillet 2006 portant exécution de l’article 4 ci-dessus, en son § 2, qui prévoit que le Roi peut étendre l’application de la loi à d’autres catégories de personnes.

La jurisprudence des hautes cours est importante et la cour du travail rappelle les dernières décisions de la Cour constitutionnelle. Par son arrêt du n° 108/2012 du 9 août 2012 (où sont reprises ses décisions antérieures), celle-ci a considéré (B.5.) qu’il n’est pas déraisonnable que le législateur réserve les efforts et moyens spécifiques qu’il entend mettre en œuvre pour favoriser l’autonomie, l’assistance et l’intégration des personnes handicapées à des personnes qui sont supposées, en raison de leur statut administratif, être installées en Belgique de manière définitive ou, à tout le moins, pour une durée significative. Dans un autre arrêt de la même année (n° 114/2012 du 4 octobre 2012), elle a rappelé les raisons pour lesquelles la conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt KOUA POIRREZ n’était pas applicable au cas d’espèce d’une personne handicapée inscrite au registre des étrangers et non au registre de la population et se voyant refuser le bénéfice des allocations aux personnes handicapées. La différence importante est que l’étranger privé d’allocations peut, en Belgique, le cas échéant, revendiquer le bénéfice d’une aide sociale qui prend son handicap en considération. Il s’agissait en l’espèce d’un étranger qui avait été autorisé à séjourner – non à s’établir – sur le territoire du Royaume et qui, par conséquent, était inscrit au registre des étrangers et non au registre de la population.

Un nouvel arrêt est intervenu le 21 mai 2015 (n° 59/2015), confirmant cette jurisprudence, la Cour se prononçant négativement dans l’hypothèse particulière d’une personne étrangère qui séjournait légalement en Belgique sur la base d’une autorisation de séjour obtenue dans le cadre de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. La Cour constitutionnelle a retenu dans cet arrêt l’existence d’un critère objectif et pertinent permettant de traiter différemment les réfugiés et la personne disposant d’une autorisation de séjour (9ter) en retenant également un critère objectif et permanent, étant que les réfugiés ont obtenu la reconnaissance de leur qualité de réfugié après avoir fait la preuve de ce qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés dans leur pays du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, ce qui oblige la Belgique à les traiter comme les ressortissants belges en matière de sécurité sociale. Les étrangers autorisés à séjourner sur le territoire belge pour une raison de santé ont obtenu cette autorisation sans devoir satisfaire à de telles exigences.

La cour du travail rappelle encore plusieurs arrêts de la Cour de cassation, qui a la même jurisprudence que la Cour constitutionnelle (étant notamment cités Cass., 10 mars 2014, n° S.13.0002.N et Cass., 16 juin 2014, n° S.11.0074.F). La cour du travail pointe l’arrêt du 16 juin 2014, qui a pris en compte l’arrêté royal du 9 février 2009 (qui avait complété l’arrêté royal du 17 juillet 2006 par un 3° pour étendre l’application de la loi du 27 février 1987 aux personnes inscrites au registre de la population), la Cour de cassation ayant jugé qu’il n’est pas contraire à l’article 14 de la Convention de sauvegarde en traitant différemment les personnes inscrites au registre de la population ou au registre des étrangers.

En l’espèce, ce que l’intéressé plaide est qu’il présente des attaches extrêmement fortes et durables avec la Belgique, étant le nombre d’années qu’il y a passé, et ce en séjour légal, et qu’il serait injustifié de le discriminer par rapport à une personne étrangère inscrite au registre de la population, celui-ci revenant sur la possibilité d’une violation de l’article 14 de la Convention européenne.

La cour examine les éléments de fait et conclut que ni la longue durée du séjour, ni la présence en Belgique de certains membres de sa famille, ni encore d’autres éléments de fait invoqués ne permettent de considérer qu’il remplit les conditions pour l’obtention des allocations en cause.

Elle réserve encore quelques développements à la non-violation de l’article 14 de la C.E.D.H., en renvoyant à l’arrêt KOUA POIRREZ c. FRANCE du 30 septembre 2003 (Req. n° 40.892/98) et à l’arrêt DHAHBI c. ITALIE du 8 avril 2014 (Req. n° 17.120/09).

Pour la cour du travail, la différence de traitement entre les catégories d’étrangers visées est justifiée. La distinction opérée par le législateur entre les personnes inscrites au registre de la population et celles inscrites au registre des étrangers, mais aussi entre les conjoints de certaines catégories d’étrangers, permet de conclure à l’existence de considérations très fortes au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a par ailleurs admis que, dans certaines circonstances, un Etat peut opérer des distinctions justifiées entre diverses catégories d’étrangers résidant sur son territoire. Les allocations ne peuvent être accordées et la décision de l’Etat belge doit être confirmée. Cependant, la cour constate que l’intéressé sollicite également l’octroi des avantages sociaux et fiscaux et que celui-ci ne requiert pas de démontrer réunir les conditions de nationalité. Il désigne dès lors un expert sur la question.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait un beau rappel des décisions intervenues sur la question. La distinction entre l’inscription au registre de la population et celle au registre des étrangers est un critère justifié.

L’on peut à cet égard renvoyer en outre à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 20 avril 2016, R.G. 2015/AM/75). Celle-ci y a également considéré que l’inscription au registre de la population ou au registre des étrangers est un critère justifié pour accorder ou refuser les allocations aux personnes handicapées. Elle a souligné que, dans son contrôle de proportionnalité, la Cour constitutionnelle tient compte du filet de protection de l’aide sociale lorsqu’elle admet cette distinction et que, même pour la Cour de cassation, qui se réfère à cette jurisprudence, les personnes inscrites au registre des étrangers présentent un lien avec la Belgique que le législateur a pu juger insuffisant pour justifier l’octroi des allocations prévues dans le régime des personnes handicapées.

La même cour a admis, dans un autre arrêt du même jour (C. trav. Mons, 20 avril 2016, R.G. 2015/AM/103), que la jurisprudence des cours supérieures a confirmé à diverses reprises que l’article 4 de la loi du 27 février 1967 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec son article 191, ainsi qu’avec l’article 14 de la C.E.D.H. et l’article 1er du Premier Protocole additionnel à celle-ci, en ce qu’il n’octroie pas à l’étranger inscrit au registre des étrangers par suite d’une autorisation à séjourner dans le Royaume pour une durée illimitée le bénéfice des allocations aux personnes handicapées. Les circonstances de fait invoquées en l’espèce (arrivée en Belgique il y a plus de dix ans et autorisation au séjour illimité pour raison médicale) ne justifient pas que soient écartés les principes dégagés par cette jurisprudence.

L’on notera enfin que cette exigence de nationalité n’existe pas pour les avantages sociaux et fiscaux relatifs à la réduction de capacité de gain.


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