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Règlement n° 1408/71 : activité exercée dans deux Etats membres

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 janvier 2022, R.G. 2017/AB/391

Mis en ligne le mardi 13 septembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 14 janvier 2022, R.G. 2017/AB/391

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 janvier 2022, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles de la coordination en matière de sécurité sociale prévues par le Règlement n° 1408/71, s’agissant en l’espèce de la législation applicable en cas d’activité salariée aux Pays-Bas et d’activité non salariée en Belgique, cette dernière étant exercée dans le cadre de mandats d’administrateur.

Les faits

Un ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas y travaille depuis 1989 en qualité de directeur-grand actionnaire d’une société dont il est actionnaire unique et administrateur. Depuis 1988, il a également des mandats d’administrateur dans des sociétés situées en Belgique.

En 2001, l’I.N.A.S.T.I. l’invite à s’affilier à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants en Belgique. Il fait parvenir à l’I.N.A.S.T.I. le formulaire E101 NL. L’I.N.A.S.T.I. lui oppose qu’il a la qualité de travailleur salarié pour son activité exercée sur le territoire néerlandais depuis le 1er janvier 1999 et que ce formulaire ne peut dès lors être pris en considération. L’I.N.A.S.T.I. demande alors à une des sociétés belges dont l’intéressé est administrateur de payer des cotisations de sécurité sociale et des majorations en qualité de responsable solidaire.

Une fiduciaire comptable mandatée par l’intéressé demande la fin de l’assujettissement à la Caisse nationale au motif que celui-ci a le statut d’indépendant aux Pays-Bas à partir de septembre 2012. Il est fait droit à cette demande. Un courrier est alors adressé par le conseil du travailleur, demandant le remboursement des cotisations sociales payées depuis le 1er mai 2010, en application du Règlement européen n° 883/2004 (article 13). L’I.N.A.S.T.I. revoit par la suite partiellement sa décision, acceptant une cessation à la date du 30 avril 2010, et un remboursement intervient en faveur de l’intéressé.

Celui-ci introduit alors une procédure en justice, estimant n’avoir jamais exercé d’activité salariée aux Pays-Bas, aucun assujettissement comme travailleur indépendant en Belgique ne devant dès lors intervenir. Il demande remboursement des cotisations sociales indûment payées pour la période antérieure (2009 et les deux premiers trimestres 2010) ainsi que des dommages et intérêts correspondant aux sommes indûment payées depuis le 1er janvier 1999.

Par jugement du 21 novembre 2016, le tribunal du travail a fait droit à la demande, tenant compte de la prescription quinquennale.

Appel est interjeté par l’I.N.A.S.T.I. et la C.N.A.A.S.T.I.

La décision de la cour

Dans son rappel des principes, la cour reprend la finalité des deux Règlements (CEE) n° 1408/71 et (CE) n° 883/2004, qui est de ne soumettre les personnes auxquelles ils s’appliquent qu’à la législation d’un seul Etat membre. C’est le principe de l’unicité de la législation nationale applicable. Celui-ci vaut à la fois pour les prestations et pour les cotisations. Il vise à éviter qu’un travailleur ne soit soumis à deux systèmes nationaux de sécurité sociale ou qu’il ne soit privé de toute protection sociale au motif qu’aucune législation ne lui serait applicable.

Le litige concerne la situation de l’intéressé pendant la période entre le 1er janvier 1999 et le 30 avril 2010. Il s’agit dès lors de se référer au Règlement n° 1408/71. Celui-ci dispose que, si une personne exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs Etats membres, elle est soumise à la législation de l’Etat de résidence si elle exerce une partie de son activité sur celui-ci. En cas d’exercice simultané d’une activité salariée et non salariée sur le territoire de deux Etats, elle est soumise en principe à la législation de l’Etat membre où elle exerce son activité salariée. Dans certains cas (Annexe VII du Règlement n° 1408/71), elle est soumise à deux législations différentes, celle du lieu de l’activité salariée d’une part et celle de l’activité non salariée de l’autre. Ainsi, comme repris dans l’Annexe VII, pour l’hypothèse de l’exercice d’une activité non salariée en Belgique et d’une activité salariée dans un autre Etat membre. Il faut dès lors vérifier si l’activité exercée aux Pays-Bas était une activité salariée ou non.

L’organisme néerlandais compétent en ce qui concerne l’activité exercée aux Pays-Bas est la Sociale Verzekeringsbank (SVB), soit la Banque d’assurances sociales. La cour relève qu’en 2002, cet organisme (ou plus exactement celui auquel la SVB a succédé) indiquait déjà à l’intéressé qu’il devait être considéré comme salarié depuis le 1er janvier 1999 pour l’application du Règlement n° 1408/71, vu son activité de directeur-grand actionnaire, et ce même si, pour l’application de la législation interne de sécurité sociale néerlandaise, il était considéré comme indépendant. En conséquence, la détermination du type d’activité ne pouvait revenir à l’I.N.A.S.T.I.

La cour rappelle également que l’Annexe VI du Règlement n° 1408/71 a été modifiée pour prévoir qu’un directeur-grand actionnaire d’une société à responsabilité limitée qui exerce aux Pays-Bas une activité autre que dans le cadre d’une relation de travail est considéré, pour l’application des dispositions du Titre II du Règlement, comme une personne exerçant une activité salariée. L’I.N.A.S.T.I. est tenu de se fonder sur les déclarations transmises par l’institution hollandaise, ceci valant pour la cour également pour la période du 1er janvier 2009 au 30 avril 2010. Rien ne permet donc de penser que celui-ci a mal apprécié la situation. Dès lors qu’il a suivi les déclarations de la SVB, il n’a commis aucune faute. La cour en conclut que la demande de dommages et intérêts correspondant aux cotisations payées entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2008 doit être déclarée non fondée.

Elle note que, subsidiairement, l’intéressé conteste à la fois l’article 14quater, sous b), et l’Annexe VI du Règlement, car contraires au principe de la libre circulation, et plaide que cette Annexe le soumet au paiement de cotisations sociales en Belgique alors qu’il ne bénéficie pas de droits sociaux afférents à celles-ci. La cour rétorque que tel n’est pas le cas, vu que le montant des cotisations à payer (vu la hauteur des revenus perçus comme travailleur indépendant en Belgique) est identique aux cotisations dues à titre principal. Il bénéficie dès lors de droits additionnels en matière de pension, assurance maladie-invalidité et prestations familiales (la cour renvoyant à C. trav. Bruxelles, 8 mai 2017, R.G. 2017/AB/286).

L’assujettissement au statut social belge des travailleurs indépendants à titre complémentaire est dès lors confirmé et la cour accueille l’appel, condamnant l’intimé aux dépens, l’indemnité de procédure par instance étant de 3.300 euros.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle le principe de l’unicité de la législation applicable voulue par les Règlements européens de coordination.

Si la présente affaire se réfère à une période couverte par le Règlement n° 1408/71, les principes sont actuellement contenus au Titre II du Règlement n° 883/2004, relatif à la détermination de la législation applicable.

L’article 11, qui contient les règles générales, confirme la règle. Il précise, sous réserve de règles particulières contenues aux articles 12 et 16 du même titre, que la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de celui-ci et que les personnes autres sont soumises à la législation de l’Etat de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du Règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres Etats membres.

L’article 13 contient les règles relatives aux activités exercées dans deux ou plusieurs Etats membres. En cas d’activité salariée (dans plusieurs Etats), elle est soumise à la législation de l’Etat de résidence si elle exerce une partie substantielle de son activité dans celui-ci ou si elle dépend de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs qui ont leur siège social ou leur siège d’exploitation dans différents Etats membres. Si elle n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’Etat de résidence, elle est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur qui l’emploie a son siège ou son domicile.

Pour ce qui est de l’activité non salariée dans deux ou plusieurs Etats membres, la règle est la même si elle exerce une partie substantielle de son activité dans l’Etat de résidence (la législation de celui-ci lui étant applicable) ou, si elle ne réside pas dans l’un des Etats membres où elle exerce une partie substantielle de son activité, à la législation de l’Etat membre dans lequel se situe le centre d’intérêt de ses activités.

Enfin, la personne qui exerce une activité salariée et non salariée dans différents Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel elle exerce une activité salariée.


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