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Réduction groupes-cibles « premiers engagements » : période de référence

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 mai 2022, R.G. 2021/AL/64

Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 27 mai 2022, R.G. 2021/AL/64

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend, dans la réglementation relative à la réduction de cotisations de sécurité sociale pour engagement « premier emploi », les règles relatives à la période de référence à prendre en compte pour la détermination de la condition d’absence de remplacement dans l’unité technique d’exploitation.

Les faits

Une société de promotion immobilière (S.P.R.L.) est active depuis 2014. Elle fait partie de la même unité technique d’exploitation qu’une autre. L’unité en question a engagé ses deux premiers travailleurs en 2016 et a obtenu une réduction groupes-cibles « premiers engagements ». Deux ans plus tard, l’O.N.S.S. a annulé ces réductions, considérant que les deux travailleurs engagés devaient être considérés comme remplaçants de travailleurs occupés dans les quatre trimestres précédents dans la même unité technique d’exploitation. Pour l’Office, il n’y avait pas d’augmentation d’effectif réellement constatée.

Un avis rectificatif de près de 26.000 euros de cotisations a été envoyé et une procédure a été introduite par la société.

La procédure devant le tribunal

Un premier jugement du 18 novembre 2019 a ordonné la réouverture des débats et le tribunal a vidé sa saisine par un second jugement du 23 novembre 2020, accueillant le recours et annulant la décision de l’O.N.S.S., qui a été condamné à rembourser les montants versés ainsi que les intérêts calculés au taux légal depuis la date de chaque paiement jusqu’à complet remboursement. La condamnation à rembourser ces montants vise également toutes cotisations payées pour les trimestres suivant ceux ayant fait l’objet des rectifications contestées.

Appel a été interjeté.

La décision de la cour

La cour rappelle l’évolution de la réglementation en la matière, dont le siège est toujours la loi-programme (I) du 4 décembre 2002, en ses articles 342 à 345.

Elle reprend ensuite la question de l’unité technique d’exploitation, qui est distincte de celle admise dans le cadre de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie. Les critères d’une matière ne sont pas transposables dans l’autre, la cour renvoyant à une abondante jurisprudence.

Elle renvoie ensuite à la notion d’unité technique d’exploitation telle qu’elle a été définie par les arrêts successifs de la Cour de cassation.

Elle aborde également la question du non-remplacement de travailleurs et celle de l’augmentation de personnel. S’agissant de prendre en compte les travailleurs qui étaient effectifs dans la même unité technique d’exploitation dans les quatre trimestres précédant l’engagement, elle rappelle qu’il faut tenir compte, au niveau de l’effectif, du nombre maximal de personnel occupé dans l’unité technique d’exploitation à laquelle appartient l’employeur pour les quatre trimestres précédant l’engagement et celui de cette même unité technique d’exploitation après cet engagement.

Renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2019 (Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N), elle expose que seul le nombre total de travailleurs compte, et ce indépendamment de leur statut, de la nature de leurs prestations ou d’autres critères, tels que le temps de travail, l’évolution de la masse salariale ou celle du volume de travail.

Il faut qu’il y ait, comme exigé dans la jurisprudence de la Cour de cassation, une réelle création d’emploi « mathématique » au sein de l’unité technique d’exploitation. Si le second chiffre (étant l’effectif après l’engagement) n’excède pas le premier (effectif maximum occupé pendant la période de référence), la condition de non-remplacement n’est pas remplie.

La cour se penche ensuite sur la période de référence elle-même, le texte légal renvoyant aux « quatre trimestres » précédant l’engagement. Sur ce point, elle rappelle que la Cour de cassation a considéré qu’il faut entendre par là les douze mois précédant le nouvel engagement (voir notamment Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N). Cette décision de la Cour de cassation confirme son enseignement antérieur, mais celui-ci concernait le texte qui a précédé la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, étant la loi-programme du 30 décembre 1988. La confirmation de cette position se retrouve dans l’arrêt de la Cour suprême du 11 septembre 2017 (Cass., 11 septembre 2017, n° S.16.0082.N).

Suite à cet arrêt, les instructions aux employeurs rédigées par l’O.N.S.S. ont été modifiées, celles-ci visant les quatre trimestres précédant le trimestre de l’entrée en service.

Actuellement, le texte est que « (…) le premier travailleur ne peut pas remplacer un travailleur qui a été occupé dans la même unité technique d’exploitation au cours des douze mois (jour pour jour) qui précèdent l’engagement » (la cour souligne).

La question se pose, en conséquence, de l’atteinte au principe de légitime confiance pour les employeurs qui voient ainsi un décalage de la période de référence dans le temps. La cour rappelle qu’en qualité d’autorité administrative, l’O.N.S.S. est tenu de conformer son action aux principes de bonne administration et que ceux-ci comprennent notamment le principe de sécurité juridique et celui de confiance légitime. Par « principe de confiance légitime », il faut comprendre celui en vertu duquel l’administré doit pouvoir se fier à ce qui ne peut être raisonnablement considéré par lui que comme une pratique constante de l’autorité (la cour renvoyant à la doctrine de V. SCORIELS, « Le principe de confiance légitime en matière fiscale et la jurisprudence de la Cour de cassation », J.T., 2003, p. 302).

La doctrine (idem, ainsi que notamment J.-Fr. NEVEN et D. DE ROY, « Principes de bonne administration et responsabilités de l’O.N.S.S. », La sécurité sociale des travailleurs salariés – assujettissement, cotisations, sanctions, Larcier, 2010, p. 538) considère que trois conditions sont exigées pour asseoir une prétention relative à une atteinte à ce principe, étant (i) une erreur de l’administration, (ii) une attente légitime suscitée à la suite de cette erreur et (iii) l’absence d’un motif grave permettant de revenir sur cette reconnaissance.

La question n’est pas neuve par rapport à l’O.N.S.S., la cour soulignant que ce principe est régulièrement invoqué pour contester la suppression tardive de certaines réductions de cotisations de sécurité sociale lorsque l’O.N.S.S. revient sur une situation qu’il a accréditée durant une longue période.

Une application de ce principe se trouve reprise à l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social. Celle-ci n’est cependant pas applicable en l’espèce, s’agissant d’un litige entre l’O.N.S.S. et un employeur.

Cependant, il y a lieu de rappeler, pour la cour, une jurisprudence constante et ancienne de la Cour de cassation comme du Conseil d’Etat, qui consacre la primauté du principe de légalité, selon lequel un principe général de droit ne peut prévaloir sur une disposition législative contraire, la chose ayant été confirmée dans un arrêt du 29 novembre 2004 de la Cour de cassation au sujet d’une décision de l’O.N.S.S. (Cass., 29 novembre 2004, n° S.03.0057.F). Dès lors que l’O.N.S.S. fait une juste application des textes légaux et réglementaires, la décision ne peut être annulée, même s’il a manqué à son obligation de se conformer au principe de confiance légitime.

Ceci permet néanmoins de mettre en cause le principe de bonne administration, qui peut engager la responsabilité de l’Office sur la base de l’article 1382 du Code civil, la cour du travail reprenant un extrait du même arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 2004, qui a constaté que le dommage subi résultait du délai anormalement long mis par l’O.N.S.S. à réagir à propos d’une situation pourtant bien connue de ses services et que le juge du fond avait pu décider que son comportement s’analysait en une erreur de conduite pouvant engager sa responsabilité sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil.

En outre, se pose la question du dommage et la cour rappelle que la preuve de l’existence de celui-ci incombe au demandeur en responsabilité. Quant à l’évaluation du dommage en cas de violation d’un principe général de droit par l’O.N.S.S., il est admis qu’il appartient aux parties de s’expliquer sur ce qui se serait passé sans la faute, la coïncidence entre le dommage et le montant des cotisations ne pouvant être qu’exceptionnelle (J.-Fr. NEVEN et D. DE ROY, cité).

En l’espèce, la cour constate que la société démontre que, selon l’application de la méthode reprise dans les anciennes instructions aux employeurs de l’O.N.S.S., elle remplissait les conditions d’octroi des réductions litigieuses (quatre trimestres), alors que, conformément aux nouvelles, elle ne les remplit pas (douze mois).

Passant en revue les conditions exigées (ci-dessus), la cour constate qu’elles sont remplies, étant (i) une erreur de l’administration, (ii) une attente légitime suscitée à la suite de cette erreur et (iii) l’absence de motif grave permettant de revenir sur la reconnaissance.

Il y a dès lors eu violation du principe en l’espèce mais, la décision de l’O.N.S.S. étant conforme au texte légal, la primauté du principe de légalité impose à la cour de déclarer la demande d’annulation non fondée.

La société demandant à titre subsidiaire des dommages et intérêts, la cour considère qu’il faut, dans cette hypothèse, démontrer le dommage résultant de la faute et donc, concrètement, prouver qu’il ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit si l’O.N.S.S. n’avait pas commis cette faute. Or, cette preuve ne peut être apportée en l’espèce, dans la mesure où la société n’avait tout simplement pas droit aux réductions en cause, et ce que l’O.N.S.S. ait ou non commis une faute.

Intérêt de la décision

Comme relevé par la Cour du travail de Liège dans cet arrêt, si, suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2017 (Cass., 11 septembre 2017, n° S.16.0082.N – non publié sur Juportal), la période de référence de quatre trimestres a été précisée comme courant les douze mois précédant le nouvel engagement et que c’est suite à cette décision que les instructions de l’O.N.S.S. ont été modifiées, la règle était déjà bien acquise auparavant.

Ainsi, dans son arrêt du 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), l’on peut lire que : « Pour l’application de l’article 344 de la loi-programme (précitée), il y a lieu d’examiner à la lumière de critères socio-économiques s’il y a unité d’exploitation technique. Cela implique qu’il y a lieu d’examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec l’entité qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau travailleur ».

La modification des instructions de l’O.N.S.S. n’entraîne dès lors pas nécessairement un dommage, puisque la règle est claire et supposée connue.


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