Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 28 avril 2022, R.G. 21/325/A
Mis en ligne le mardi 29 novembre 2022
Tribunal du travail de Liège (division Namur), 28 avril 2022, R.G. 21/325/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 28 avril 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) déclare irrecevable une demande d’indemnité d’éviction introduite pendant un délai de préavis. Il statue également sur les mesures adoptées par le législateur dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, précisant les règles nouvelles en cas de chômage temporaire pour force majeure.
Les faits
Un employé, engagé en 1994, voit ses fonctions précisées sur le plan contractuel en 2004, lui étant à ce moment soumis un contrat de représentant de commerce avec règle de commissionnement, secteur géographique, prospects, etc.
Une fusion intervient avec une autre société en 2005.
Des difficultés surgissent par la suite, le travailleur n’atteignant pas ses objectifs et sa fonction étant modifiée. Il reçoit un avertissement en avril 2019, vu ses performances. Cet avertissement est contesté. Il sera licencié en décembre 2019 avec préavis de vingt mois et dix-huit semaines à prester.
Son conseil adresse une mise en demeure à l’employeur, contestant le licenciement et demande une indemnité d’éviction. A ce moment, le délai de préavis vient de commencer à courir. L’intéressé postule à ce titre le paiement d’une somme de l’ordre de 52.000 euros.
Les motifs du licenciement ayant été demandés, conformément à l’article 5 de la C.C.T. n° 109, la société y répond, exposant ceux-ci, dans la ligne de l’exposé des faits ci-dessus.
Une procédure est introduite le 6 mai 2021.
La décision du tribunal
Plusieurs chefs de demande sont portés devant le tribunal. Celui-ci examine ne premier lieu la question de l’indemnité d’éviction, dont la société conteste la recevabilité au motif qu’elle est prématurée.
Le tribunal relève que le contrat n’est pas terminé, puisque le préavis est presté. L’article 102 de la loi du 3 juillet 1978 dispose que le paiement de l’indemnité d’éviction s’examine à la fin définitive du contrat de travail, et ce sur la base de l’ancienneté au moment de celle-ci, les commissions obtenues au cours des douze mois précédant la fin définitive du contrat devant intervenir (article 101).
Il rappelle qu’il est de jurisprudence que la qualité de représentant de commerce qui ouvre le droit à l’indemnité d’éviction doit toujours exister à la date de la fin du contrat (renvoyant à C. trav. Bruxelles, 22 février 2019, J.T.T., 2019, p. 348). La qualité de représentant est en effet appréciée au moment de la rupture effective du contrat de travail. Même en préavis, si le travailleur perd la qualité de représentant de commerce et se voit attribuer une nouvelle fonction, il perdra également le droit à cette indemnité. Se pose dès lors la question de la recevabilité de la demande.
Le tribunal reprend la doctrine de H. BOULARBAH (H. BOULARBAH, Droit judiciaire privé – Première année du grade master en droit – 1re éd., 2007-2008, pp. 19 et s.) sur l’intérêt à agir.
Celui-ci s’apprécie au moment où la demande est introduite et doit présenter certaines caractéristiques. Il faut un avantage matériel ou moral effectif, celui-ci ne pouvant être théorique. Si l’article 18, alinéa 2, du Code judiciaire autorise l’action intentée à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé, il faut ici que deux conditions soient remplies, étant que le demandeur doit établir l’existence de cette menace grave et sérieuse au point de créer un trouble précis et que la décision déclaratoire ait une utilité concrète.
En l’espèce, le tribunal ne peut que conclure à l’absence de toute menace grave et actuelle quant à ce droit éventuel. Il déclare dès lors ce chef de demande non recevable.
Le demandeur postule également l’octroi d’une indemnité forfaitaire fondée sur un licenciement discriminatoire. Il vise trois critères, étant l’âge, l’affiliation syndicale et son état de santé.
Après un rappel de quelques principes, le tribunal envisage en premier lieu la question des convictions syndicales, le demandeur se fondant sur des démarches qu’il aurait faites pour se porter candidat aux élections sociales, démarches en lien évident selon lui avec son licenciement.
Outre qu’aucune preuve n’est apportée que l’employeur aurait été informé de la candidature avant le licenciement, le tribunal s’étonne de cette candidature intervenant après vingt-cinq ans de prestations dans l’entreprise, un avertissement et une évaluation négative. Il rejette dès lors l’argument.
Il en va de même pour les deux autres critères, pour lesquels aucun élément de fait n’est apporté.
Davantage de commentaires sont réservés au chef de demande fondé sur la C.C.T. n° 109, le tribunal ne pouvant que constater sur la base des chiffres que les objectifs n’ont pas été atteints, le chiffre d’affaires étant calculé non sur la base des contrats signés, mais sur celle des factures établies. Ce poste est dès lors rejeté, de même qu’un autre chef de demande fondé sur la théorie classique de l’abus de droit, le tribunal faisant ici grief au demandeur de mélanger motif de licenciement et circonstances entourant celui-ci et rappelant que seules ces dernières peuvent être constitutives d’un abus de droit.
Reste un point spécifique, étant une demande de paiement de la rémunération à 100% pour les périodes pendant lesquelles le chômage temporaire force majeure n’était pas justifié.
L’intéressé a en effet été placé en chômage temporaire pour cause de force majeure à partir du 24 mars 2020. Le demandeur considère qu’il ne s’agit pas d’un cas de force majeure mais d’un chômage économique, pour lequel l’employeur n’a pas respecté l’article 77/4 de la loi du 3 juillet 1978.
Le tribunal considère que ceci procède d’une confusion entre chômage temporaire pour force majeure et chômage temporaire « Corona ». La suspension du contrat de travail pour force majeure est prévue à l’article 26 de la loi du 3 juillet 1978. Le chômeur temporaire est celui visé dans cette disposition, selon laquelle les événements de force majeure n’entraînent pas la rupture du contrat lorsqu’ils ne font que suspendre momentanément son exécution. Dans ces hypothèses, aucune rémunération n’est due par l’employeur.
Le chômage temporaire économique est quant à lui visé par l’article 30quinquies de la loi du 3 juillet 1978, celui-ci disposant que l’exécution du contrat de travail est suspendue en cas de manque de travail résultant de causes économiques telles que visées aux articles 51 et 77/1 à 77/8 de la loi. La cause du manque de travail doit ici être indépendante de la volonté de l’employeur. En cas de non-respect de ces dispositions, l’employeur est tenu de payer au travailleur sa rémunération normale pour les jours pendant lesquels il aurait sous-traité le travail habituellement exécuté par ce travailleur. Si les causes économiques ne sont pas définies par le législateur, le tribunal expose que, de manière générale, l’on admet que cette situation est rencontrée lorsqu’il est impossible à l’employeur de maintenir le rythme normal de travail existant dans l’entreprise.
C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 37 du 24 juin 2020, qui, en son article 10, s’inscrivant dans le cadre de l’article 26, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978, a pris des mesures en lien avec une situation de force majeure temporaire résultant de la pandémie de Covid-19. Les mesures d’urgence prises suite à l’arrêté ministériel du 23 mars 2020, en vue de limiter la propagation du virus Covid-19, ont entraîné la fermeture de tous les secteurs d’activités, sauf exceptions, et, depuis lors, l’ONEm a accepté une application souple de la notion de force majeure, instaurant une procédure simplifiée et une conception élargie de la notion.
Toutes les situations de chômage temporaire liées au Covid-19 ont ainsi été considérées comme du chômage temporaire pour des raisons de force majeure, et ce même s’il était par exemple encore possible de travailler certains jours ou de faire travailler une partie du personnel. Le tribunal précise que, dans ce contexte, il n’était pas nécessaire que l’entreprise en question ait cessé toute activité, certains travailleurs pouvant se trouver en chômage temporaire tandis que d’autres travaillaient normalement. Du travail en alternance était dès lors également possible.
L’intéressé s’est ainsi trouvé dans une situation de force majeure Covid-19 et a très logiquement été indemnisé par l’ONEm.
Le tribunal examine dans ce contexte une réclamation de l’intéressé relative à la suspension du délai de préavis par les périodes de chômage temporaire, estimant que la société doit en tirer les conséquences en termes de date de fin de contrat ou de son droit au paiement à une indemnité compensatoire. Il rejette cette dernière prétention, renvoyant à la loi du 15 juin 2020 visant à suspendre les délais de préavis des congés donnés avant ou durant la période de suspension temporaire de l’exécution du contrat de travail pour cause de force majeure en raison de la crise sanitaire du Covid-19. En cas de congé donné par l’employeur, le délai de préavis ne court pas pendant la suspension, mais il court si le délai de préavis avait été entamé avant le 1er mars 2020. L’objectif de cette loi est d’éviter que les employeurs ne profitent de la situation pour licencier des travailleurs à des coûts réduits.
Intérêt de la décision
S’il est fréquent – et parfois hasardeux, comme le démontre la présente espèce – de voir des demandes introduites, en licenciement discriminatoire, en licenciement manifestement déraisonnable et en abus de droit, encore faut-il rappeler que chaque chef de demande doit s’inscrire dans le cadre juridique correspondant.
Dès lors que la demande est manifestement peu étayée, chaque chef de demande risque ainsi de faire l’objet d’un examen rapide, l’absence d’éléments de preuve ne permettant pas au tribunal de procéder au contrôle judiciaire requis.
L’espèce comprend cependant, outre ces questions relatives à la contestation du licenciement lui-même, deux points spécifiques intéressants. Le premier concerne l’indemnité d’éviction, qui ne peut être réclamée qu’à partir de la fin du contrat, la demande n’étant ainsi pas recevable si elle est introduite en justice alors que le travailleur preste toujours son préavis. Un tel chef de demande doit dès lors faire l’objet d’une action ultérieure ou une extension de la demande doit intervenir aux conditions légales.
L’on notera également que le jugement permet de revenir sur certains aspects de la réglementation relative à la pandémie de Covid-19, et notamment sur la loi du 15 juin 2020 entrée en vigueur le même jour, aux fins de corriger le sort différent de l’écoulement du préavis en cas de chômage pour raisons économiques ou de chômage temporaire.
L’article 37/7, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 dispose en effet que les délais de préavis des congés donnés par l’employeur avant ou durant une période de suspension de l’exécution du contrat de travail pour raisons économiques sont suspendus pendant cette période de suspension. La loi du 15 juin 2020 a prévu qu’il en va de même en cas de congé donné pour cause de force majeure temporaire résultant des mesures prises par le Gouvernement pour limiter la propagation du Covid-19.