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Plan de réintégration : importance de la concertation entre les parties

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 24 juin 2022, R.G. 20/103/A

Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 24 juin 2022, R.G. 20/103/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 juin 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) examine le respect d’une procédure de réintégration à la lumière des exigences de l’article I.4-74 du Code du bien-être au travail, rappelant les exigences de la concertation prévues à cette disposition.

Les faits

Une employée a été occupée par un hôpital de la région du Centre de 1988 à fin 1999, le contrat de travail étant à ce moment rompu d’un commun accord aux fins de permettre à l’intéressée de signer un contrat avec un autre hôpital à partir du 1er janvier 2020. Son ancienneté contractuelle lui est reconnue.

Elle tombe en incapacité de travail en 2016 et entreprend, en septembre 2018, un trajet de réintégration. Le conseiller en prévention-médecin du travail prend comme décision une conclusion d’inaptitude définitive au travail convenu, mais avec possibilité d’effectuer un travail adapté ou un autre travail auprès de son employeur. Dans ses recommandations et propositions, il précise que, si l’intéressée est définitivement inapte à toute prestation au sein du bloc opératoire où elle preste, elle reste apte à un travail d’employée dans un autre service.

Un an plus tard, le contrat de travail est rompu à l’initiative de l’employeur pour force majeure médicale, celui-ci se fondant sur les conclusions du conseiller en prévention-médecin du travail. Il rappelle que l’intéressée avait fait à l’époque une demande de réintégration. La direction de l’hôpital ajoute qu’elle est dans l’impossibilité technique et objective de proposer un plan de réintégration, l’intéressée ayant cité comme fonctions des postes légalement réglementés et exigeant des formations, connaissances et compétences spécifiques.

Suite à la rupture du contrat, l’organisation syndicale défendant les intérêts de l’employée contacte l’employeur, constatant qu’aucune proposition de poste vacant n’a jamais été faite. La force majeure médicale est contestée.

L’employeur expose, dans un courrier circonstancié, les problèmes liés aux fonctions et souligne, comme il l’avait déjà fait dans la lettre de rupture, que l’intéressée suivait une formation dans laquelle elle se sentait pleinement épanouie et qui était sans aucun lien avec les activités de l’hôpital (décoration d’intérieur).

Chaque partie campant sur ses positions, l’employée introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Hainaut.

Position des parties devant le tribunal

L’intéressée sollicite le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

En ce qui concerne le premier poste, elle fait valoir que la procédure n’a pas été respectée, aucune concertation en vue de la réussite du trajet de réintégration n’ayant été organisée pendant la période entre la date du formulaire d’évaluation de la réintégration et la date du licenciement pour force majeure médicale (cette période étant d’une année). La seule réunion qui serait intervenue n’est pas conforme au prescrit légal, celle-ci ayant eu lieu avant même l’introduction du trajet de réintégration.

Elle en conteste par ailleurs le contenu, celle-ci ne pouvant s’assimiler à une concertation au sens légal. Elle conteste encore le grief qui lui est fait de ne pas avoir suivi de formation spécifique, dans la mesure où aucun poste particulier ne lui a été proposé, qui permettrait de déterminer une formation correspondante.

Pour ce qui est des possibilités de reclassement, celles-ci ne comportent par ailleurs pas les tâches logistiques, alors que, ainsi que l’intéressée le rappelle, pendant les dix premières années de son engagement, elle était chargée de telles fonctions ainsi que de tâches administratives. Par ailleurs, des offres d’emploi ont été publiées pour de telles fonctions (secrétaire médicale, employée d’accueil). Si elles concernent des contrats à durée déterminée ou de remplacement, à temps plein ou à temps partiel, celles-ci confirment l’existence de possibilités de reclassement.

Enfin, elle relève que l’employeur n’a pas fait de rapport constatant l’impossibilité objective ou technique de lui offrir un poste de travail (manquement à l’article I.4-74, § 4, alinéa 2, du Code du bien-être au travail). Si ce rapport a été joint au courrier de licenciement, ceci n’est pas conforme, dans la mesure où celui-ci aurait dû lui être communiqué, ainsi qu’au conseiller en prévention, et qu’elle aurait dû avoir l’opportunité d’émettre des observations. Elle conteste également la teneur de ce rapport, qui doit contenir des raisons techniques et objectives rendant le reclassement impossible. Enfin, il ne fait pas état des concertations qui auraient dû intervenir.

La rupture pour force majeure est dès lors, selon elle, irrégulière. Dans le même sens, elle estime que l’institution ne prouve pas les motifs invoqués, dans la mesure où il existait des postes vacants pour lesquels elle était compétente et que la tenue de la concertation exigée lui aurait permis de faire valoir ses compétences pour tout poste disponible. L’indemnité fixée par la C.C.T. n° 109 doit dès lors être payée, l’intéressée sollicitant le montant maximal de celle-ci, vu son âge et son ancienneté, l’absence totale de concertation et l’absence de preuve de motif légitime.

Quant à l’hôpital, il expose avoir pris en considération le profil et les compétences de l’intéressée ainsi que les possibilités et besoins de l’organisation, mais soutient qu’aucun poste d’employé administratif n’a pu être retenu, qui aurait pu lui convenir. Il détaille les postes devenus vacants et revient encore sur la question des compétences, les fonctions en cause nécessitant la détention d’un diplôme. Il précise que les postes purement administratifs et de support sont minoritaires en son sein.

Il conteste par ailleurs l’absence de concertation, une réunion s’étant tenue en présence de la déléguée syndicale. En outre, il estime avoir justifié à suffisance de droit sa position, la loi n’imposant par ailleurs aucun formalisme particulier pour établir le rapport concluant à l’impossibilité de dresser un plan de réintégration. Le fait que celui-ci figure dans le même écrit que la notification de la rupture pour force majeure n’entache pas sa validité. Il précise que ce rapport a été soumis au conseiller en prévention-médecin du travail et qu’il est à disposition des fonctionnaires chargés de la surveillance.

Enfin, sur la C.C.T. n° 109, il estime que ses dispositions ne sont pas applicables, l’intéressée n’ayant pas été licenciée. Subsidiairement, il considère que la demanderesse n’établit pas que le licenciement est manifestement déraisonnable, dès lors que les postes vacants ne pouvaient lui convenir.

La position du tribunal

Après le rappel de l’article 34, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ainsi que des dispositions pertinentes du C.B.E. relatives au trajet de réintégration, le tribunal entreprend l’examen des faits et en vient assez rapidement à la question de savoir si la réunion intervenue entre les parties répond aux exigences de la concertation prévue par l’article I.4-74, § 1er, du C.B.E.

Il constate l’absence du conseiller en prévention-médecin du travail à cette réunion, alors que ceci est expressément prévu à la disposition légale. En outre, le compte rendu de cette réunion étant contesté par l’intéressée, il relève qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir l’objet exact de cette réunion ainsi que la teneur des échanges intervenus entre les parties. Enfin, celle-ci a eu lieu avant l’évaluation de réintégration par le conseiller en prévention-médecin du travail et avant même la demande de réintégration de la travailleuse.

Il ne peut dès lors, selon le jugement, être raisonnablement soutenu que cet entretien a été suffisant et qu’il a permis d’identifier concrètement les besoins et possibilités des deux parties, d’autant que le conseiller en prévention-médecin du travail ne s’était pas encore prononcé quant à la réintégration de l’employée. Il ne s’agit pas de la concertation exigée par le texte légal. En outre, l’employeur n’établit pas avoir pris contact avec l’employée entre la réception du formulaire d’évaluation de réintégration et la notification de la rupture du contrat de travail.

L’obligation d’établir le plan de réintégration repose sur l’employeur, qui doit procéder à la concertation requise, et celui-ci est malvenu de reprocher à l’employée de ne pas avoir manifesté de l’intérêt pour des offres d’emploi ou de ne pas l’avoir informé de possibilités/envies de formation, etc.

A cet égard, communiquer, comme le fait l’employeur, la liste des postes déclarés vacants ne suffit pas à établir qu’au cours de la période concernée, il a pris les mesures nécessaires avant de notifier la rupture du contrat et qu’il a tenté d’établir un plan de réintégration.

Il ne peut dès lors s’agir d’une force majeure médicale et l’indemnité compensatoire de préavis est due.

Pour ce qui est du motif de licenciement, le tribunal constate que celui-ci est indiscutablement lié à l’aptitude de l’employée. Il écarte l’argument lié à l’existence d’autres postes, eu égard à la publication des emplois vacants, constatant que ceux-ci visent à pallier un besoin temporaire et qu’ils ne peuvent convenir à réintégrer l’intéressée. Il admet qu’il y avait impossibilité de proposer un poste correspondant à son profil, entre l’évaluation de réintégration et la rupture du contrat, et ce à partir de cette liste. L’indemnité spéciale n’est en conséquence pas due.

Intérêt de la décision

Le Code du bien-être au travail contient, de manière détaillée, la procédure à respecter dans le cadre du trajet de réintégration (articles I.4-73 et suivants).

La concertation est un point important de la procédure, l’employeur devant établir le plan de réintégration avec le travailleur, le conseiller en prévention-médecin du travail et, le cas échéant, avec d’autres personnes pouvant contribuer à la réussite de la réintégration. Par ailleurs, des exigences particulières sont posées pour ce qui est du plan de réintégration lui-même, celui-ci devant contenir des informations reprises « de la façon la plus concrète et détaillée possible » quant aux adaptations raisonnables du poste de travail.

Dans l’espèce tranchée par le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) dans le jugement annoté, l’employeur n’a pas respecté la procédure légale, étant qu’il a omis d’avoir égard à cette exigence essentielle. Une simple réunion ne peut valoir concertation, d’autant que, comme en l’espèce, elle s’est tenue avant l’évaluation de réintégration par le conseiller en prévention-médecin du travail et avant même la demande de réintégration elle-même. Le tribunal souligne que l’objectif, qui est de permettre d’identifier concrètement les besoins et possibilités de chacune des parties, n’a pas été rencontré par cette seule réunion, d’autant qu’à l’époque, le conseiller en prévention-médecin du travail ne s’était pas encore prononcé quant à la réintégration de l’employée.

Le respect de la procédure est dès lors primordial pour qu’il puisse être conclu à une force majeure médicale.

Relevons sur la question un arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 octobre 2020 (R.G. 2019/AM/311), qui a rappelé que l’article I.4-74 du C.B.E., qui régit le cas du refus de l’employeur de soumettre un plan de réintégration, indique que l’employeur n’établit pas le plan parce qu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible, ou que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés. Quant au contrôle de la preuve de l’impossibilité (technique ou objective) ou de motifs justifiés, il ne s’agit pas de vérifier si une justification peut être présentée ex post dans le cadre du débat judiciaire, mais si une recherche effective, substantielle et appropriée a bien été menée in tempore et qu’elle a abouti à un constat rationnel d’impossibilité. L’impossibilité alléguée doit donc être effectivement démontrée, être cohérente au regard de l’ensemble des éléments du dossier et du contexte et, enfin, ressortir d’une recherche (substantielle et sérieuse) menée effectivement au moment des faits.

Rappelons encore, sur le délai, un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Verviers) du 3 février 2021 (R.G. 20/78/A – précédemment commenté), qui a rappelé que ni le Code du bien-être ni le Code pénal social ne prévoient de sanction à l’égard de l’employeur qui n’a pas remis le plan de réintégration dans le délai prévu par l’article I.4-74, § 3, du C.B.E. Si la demande est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, il appartient à l’intéressé d’établir le dommage et le lien de causalité avec la faute.

Illustre également la procédure à respecter un jugement du Tribunal du travail de Gand (division Gand) du 26 mars 2020 (R.G. 19/358/A), qui a jugé qu’en vertu de l’article I.4-74, § 4, du C.B.E., un employeur qui, après la concertation visée au § 1er de la même disposition, n’établit pas de plan de réintégration parce qu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible, ou que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés, le justifie dans un rapport. Il découle de cette disposition qu’avant que l’employeur n’invoque l’impossibilité technique ou objective d’établir le plan de réintégration, l’entretien tel que prévu à l’article I.4-74, § 1er, doit avoir eu lieu, en présence de l’employeur, du conseiller en prévention-médecin du travail et, le cas échéant, d’autres personnes qui peuvent contribuer à la réussite de la réintégration. Il appartient à l’employeur d’établir que cette concertation a eu lieu. La force majeure médicale ne peut être invoquée que lorsque la totalité du trajet de réintégration est terminée. Dans la mesure où aucun plan de réintégration n’a été établi alors qu’il aurait dû l’être et que les motifs invoqués par l’employeur pour ne pas établir celui-ci ne résistent pas à l’analyse, il peut être conclu que le trajet de réintégration ne s’est pas déroulé correctement et donc qu’il n’a pas pu y être mis fin.


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