Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juillet 2022, R.G. 2019/AB/366
Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022
Cour du travail de Bruxelles, 28 juillet 2022, R.G. 2019/AB/366
Terra Laboris
Dans un arrêt du 28 juillet 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’interprétation à donner à l’article 10 de l’arrêté royal du 26 novembre 1991 : celui-ci vise l’hypothèse où la rémunération est liée non à un nombre d’heures mais à des journées de prestations, le volume horaire de celles-ci n’étant pas fixé et la rémunération étant forfaitaire.
Les faits
Un comédien effectue des prestations artistiques de différents types (tournage d’œuvres télévisuelles, représentations théâtrales et doublage de films). Ses activités font l’objet d’une rémunération soit horaire, soit « au cachet » ou « à la tâche ». Dans ce système de cachet ou de tâche, la rémunération perçue couvre un certain nombre de jours (ou demi-jours) identifiés, correspondant généralement aux jours de tournage ou de représentation, et ce indépendamment du nombre d’heures effectivement prestées ces jours, de même que des prestations en dehors de ceux-ci (répétitions, essayages, etc.).
Il sollicite le bénéfice des allocations de chômage le 5 juin 2017, ayant précédemment été indemnisé dans le cadre du régime des allocations d’insertion.
L’ONEm refuse l’admission par décision du 5 décembre 2017, le motif du refus étant qu’il ne prouverait pas un nombre suffisant de journées de travail. Selon l’ONEm, ne pourraient être prises en compte que quatre-vingt-neuf journées pendant la période de référence, alors que celle-ci en suppose trois-cent-douze. Parmi les prestations artistiques invoquées, certaines ne pourraient se voir appliquer la règle « du cachet » visée à l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. La décision administrative précise que, tenant compte des conventions collectives applicables et des activités exercées, il y a un lien entre le montant des rémunérations perçues et la durée du temps de travail. Ces rémunérations ne peuvent dès lors correspondre à la définition de la rémunération « à la tâche » au sens de l’article 10 de l’arrêté ministériel, de sorte que le nombre de journées de travail et de journées assimilées doit être calculé conformément aux articles 7 et 8 du même arrêté.
Cette décision a été contestée par requête déposée le 5 décembre 2017 devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.
La décision du tribunal
Le tribunal a débouté le demandeur par jugement du 3 avril 2019, au motif que l’arrêté royal organique dispose en son article 30, alinéa 1er, que, pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, le travailleur à temps plein doit accomplir un stage comportant un certain nombre de journées de travail variant en fonction de l’âge et, notamment, trois-cent-douze jours au cours des vingt-et-un mois précédant la demande d’allocations si le demandeur est âgé de moins de vingt-six ans. Il s’agit de faire le total des jours de prestations, qui, en l’espèce, est de trois-cent-cinq. Ce nombre de jours n’est dès lors pas suffisant.
Appel est interjeté.
La décision de la cour
La cour circonscrit le litige comme portant uniquement sur la détermination du nombre de jours de travail pendant la période de référence, étant entendu que le nombre de trois-cent-cinq n’est, en lui-même, pas contesté. La cour renvoie au même article 30 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Elle dégage, cependant, à partir de la définition de l’article 37, la question des règles spécifiques en matière de prestations artistiques rémunérées « à la tâche ». Cette disposition ayant renvoyé au ministre le soin de préciser ces règles, elles sont contenues à l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.
Pour ces artistes, le nombre de journées pris en compte est obtenu à partir de la rémunération perçue. Il s’agit de diviser le brut perçu pour l’ensemble des occupations par 1/26e du salaire mensuel de référence (visé à l’article 5 de l’arrêté). Le nombre de journées de travail obtenu par trimestre est limité à un nombre de journées de travail égal à (n x 26), majoré de septante-huit, « n » étant le nombre de mois calendrier situés dans le trimestre calendrier dans la période de référence auquel les activités se rapportent (activités assujetties à la sécurité sociale des travailleurs salariés). Pour l’application de cette règle, il faut entendre par « rémunération à la tâche » le salaire versé par l’employeur au travailleur qui a effectué une activité artistique lorsqu’il n’y a pas de lien direct entre ce salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans l’activité.
La cour relève que l’ONEm refuse de prendre en compte certaines des prestations comme étant rémunérées « à la tâche », au motif qu’en raison de conventions collectives de travail sectorielles, il y aurait un lien entre la rémunération perçue et la durée du temps de travail. La cour relève avec l’appelant que cette interprétation est contraire à l’article 10 de l’arrêté ministériel. Celui-ci ne contient en effet aucune référence aux règles sectorielles.
En outre, l’ONEm soutient que, pour de nombreuses prestations, l’intéressé n’a pas perçu de rémunération « à la tâche ». Il expose que les jours prestés sont presque systématiquement repris, ainsi que le montant de la rémunération par jour. Il y a ainsi un lien évident entre la rémunération et le temps de travail. A partir du moment où le nombre de jours de prestations est clairement délimité et qu’une rémunération fixe est prévue pour chacun des jours, il ne s’agirait pas de rémunération « à la tâche ».
Répondant à cette argumentation, la cour rappelle que, par « rémunération à la tâche » (qui a sa définition à l’article 10 de l’arrêté ministériel), il faut entendre le salaire versé lorsqu’il n’y a pas de lien direct entre ce salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans l’activité.
Elle examine les éléments du dossier avec les tableaux de prestations qui ont été faits. Elle constate que les contestations de l’ONEm portent essentiellement sur les prestations dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou pour un travail déterminé (ou encore nettement défini), l’ONEm faisant ici valoir que le travailleur a été engagé pour un certain nombre de jours, avec un salaire journalier (ou horaire) fixé et que la notion de « rémunération à la tâche » ne trouverait dès lors pas à s’appliquer.
La cour rejette cette position. La disposition réglementaire exige en effet que la rémunération soit liée non à nombre d’heures mais à des journées de prestations. Le volume horaire exact des prestations n’est dans ce cas pas fixé et la rémunération est forfaitaire.
La cour reprend la position de l’appelant, qui considère que ceci s’applique également lorsque, pour des raisons étrangères à la nature de l’activité et à la réalité des prestations, certains documents sociaux (fiches de paie) mentionnent un nombre d’heures de prestations. L’appelant renvoie ici à d’autres décisions de la même cour du travail (C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2017, R.G. 2016/AB/384 et C. trav. Bruxelles, 3 janvier 2018, R.G. 2016/AB/430).
En l’espèce, les contrats prévoient une rémunération par jour ou par cachet et sans aucune référence à un nombre d’heures de travail. Il n’y a dès lors pas de lien direct entre le salaire et le nombre d’heures, tel qu’exigé par l’article 10.
L’existence d’un contrat de travail à durée déterminée (ou encore pour un travail déterminé) n’est pas de nature à établir un tel lien. L’existence d’un tel contrat signifie simplement que l’étendue dans le temps des prestations est limitée mais celui-ci ne définit pas leur volume horaire, de même qu’il n’implique pas que la rémunération des prestations est fixée en fonction de ce volume horaire. Il s’agit cependant du seul critère de l’arrêté royal.
Le jugement est dès lors réformé et le droit aux allocations admis.
Intérêt de la décision
Le premier point discuté, étant le lien avec les conventions collectives sectorielles, n’a pas fait l’objet de développements particuliers, l’ONEm ayant abandonné cet argument en cours de procédure.
Il y a lieu de relever que, depuis 2017, l’ONEm avait mis en œuvre une nouvelle interprétation de la réglementation, rendant plus ardu l’accès au régime chômage, ainsi que ceci a été souligné en doctrine (voir Ch. MENIER, « Artistes et chômage (partie 1) : le contrat de commande garantit-il une application automatique de la ‘règle du cachet’ ? », B.J.S., mars 2021, p. 6). La Direction Réglementation et Contentieux du SPF Emploi a cependant précisé, en mars 2018, que le lien avec une convention collective de travail n’était plus à retenir comme motif de refus. L’interprétation précédente a dès lors été abandonnée.
La question du lien avec les prestations était cependant au cœur du débat, l’ONEm soutenant qu’à partir du moment où le nombre de jours est clairement délimité et qu’une rémunération fixe est prévue pour chacun des jours de travail, il ne peut s’agir de rémunération « à la tâche ».
Le demandeur avait rappelé le caractère d’ordre public de la réglementation, l’article 10 ne visant que l’absence de lien direct entre le salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans l’activité en cause. Il considérait en conséquence que, lorsque la rémunération est liée à des journées de travail, l’article 10 trouvait à s’appliquer, le caractère de cette rémunération étant alors forfaitaire.
Le renvoi avait alors été fait à l’arrêt de la même cour du 12 juillet 2017 (C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2017, R.G. 2016/AB/384), qui avait jugé, dans l’hypothèse de prestations d’un organiste assurant deux fois par semaine (au moins), et pendant certaines cérémonies supplémentaires, l’accompagnement musical de liturgies religieuses, que, la rémunération étant payée selon un fixe par cérémonie et couvrant tant la présence sur place que la préparation (toutes deux de durée variable), un tel contrat, même si pour une partie, qui s’exécutait à des heures et intervalles déterminés, devait s’analyser comme un contrat pour un travail déterminé au sens de la législation sur le contrat de travail et comme un contrat « à la tâche » au sens de la réglementation du chômage.
Pour la cour, le seul fait, dans les documents sociaux, que cette réalité ait été « traduite » dans un travail pour un nombre d’heures déterminé et un salaire horaire – et ce pour un motif que la cour estimait ne pas être en mesure de vérifier – ne pouvait avoir pour conséquence d’écarter les dispositions chômage en cause.
La même jurisprudence avait été appliquée pour des prestations d’un graphiste, la cour considérant, dans un arrêt du 3 janvier 2018 (C. trav. Bruxelles, 3 janvier 2018, R.G. 2016/AB/430 – précédemment commenté), que les salaires étaient sans lien avec un quelconque horaire de travail, l’intéressé percevant une rémunération pour une ou plusieurs journées de travail sans indication dans le contrat d’un horaire précis. La cour y avait encore précisé que, lorsque l’on ne convient pas à l’avance du nombre d’heures prestées chaque jour, il n’existe pas de lien entre la rémunération journalière convenue et le temps de travail.