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Infraction à la réglementation en matière de titres-services

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 avril 2022, R.G. 2020/AB/477

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 29 avril 2022, R.G. 2020/AB/477

Terra Laboris

Dans un arrêt du 29 avril 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’interdiction légale pour les travailleurs d’une société de titres-services d’avoir un lien familial, de sang ou par alliance jusqu’au deuxième degré inclus, avec l’utilisateur ou un membre de sa famille, ou encore d’avoir la même résidence que celui-ci. Outre que des amendes administratives peuvent intervenir, l’autorité peut exiger le remboursement complet des titres.

Les faits

Une entreprise, active dans le secteur des titres-services, a fait l’objet d’une amende administrative. A l’occasion d’un contrôle en mars 2018, un inspecteur de l’autorité flamande (Département Travail et Economie sociale – W.S.E.) constate qu’une travailleuse au service de cette société effectue des prestations pour sa famille directe et/ou à l’adresse de son domicile. Il s’agit d’une infraction à l’article 3, alinéa 4, de la loi du 20 juillet 2011 relative aux emplois et services de proximité, ainsi qu’à son article 2quater, § 4, 15°. Un deuxième contrôle révèle un autre manquement à la réglementation (article 10sexies, § 1er, 2°, de la loi sur les titres-services et articles 1er, 2°, a), et 6, 3e alinéa, de son arrêté royal d’exécution), étant que le lieu de certaines prestations ne correspondait pas avec l’adresse de l’utilisateur mais que celles-ci avaient été effectuées au domicile d’un tiers.

Après un échange de correspondance avec la société, l’administration réclama, le 28 octobre 2018, un montant de plus de 40.000 euros. Le Département Amendes administratives fit ensuite savoir à la société que le Ministère public avait envisagé de renoncer aux poursuites pénales, moyennant paiement d’une amende administrative. La société eut l’occasion de s’expliquer dans ses moyens de défense.

Il fut en fin de compte décidé, après avoir pris connaissance des moyens de défense, de ne pas appliquer d’amende administrative, et la société, à qui le remboursement était demandé, introduisit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles. Elle y sollicitait l’annulation de la sanction, celle-ci n’étant pas, selon elle, appropriée. A titre subsidiaire, elle contestait le montant, développant une argumentation comprenant deux positions à titre principal et trois positions à titre subsidiaire.

Par jugement du 24 février 2020, le tribunal considéra la demande très partiellement fondée, limitant le remboursement à un montant de l’ordre de 30.500 euros.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

Dans un premier temps, la cour acte l’absence de contestation des parties quant aux constatations de l’inspecteur social, celles-ci étant d’accord sur la circonstance, en outre, que les faits constatés constituent des infractions aux dispositions de la loi du 20 juillet 2001 et à son arrêté d’exécution.

Elle constate également que le débat porte sur la question de savoir si l’administration peut exiger le remboursement des montants reçus par la société de la part de la société éditrice des titres-services, à savoir le prix d’achat et l’intervention fédérale.

Renvoi a été fait par le tribunal à l’arrêté royal d’exécution du 12 décembre 2001. En son article 10bis, § 5, celui-ci dispose en effet que, si les travaux ont été effectués sans que les conditions légales ou réglementaires aient été respectées, l’ONEm peut récupérer entièrement l’intervention et le montant du prix d’acquisition des titres-services, si ceux-ci ont été indûment accordés.

A cet égard, la société plaide que le remboursement ne peut intervenir sur la base de cette disposition, les titres-services étant, à partir du 1er mai 2015, de la compétence des Régions, et ce en application de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la sixième réforme de l’Etat.

Pour la cour, rien n’empêche les entités fédérées de continuer à travailler sur la base de la réglementation fédérale qui valait avant le transfert de compétences en la matière, qui reste applicable en l’absence de modification par le législateur régional. La cour précise qu’admettre le contraire ne pourrait que conduire à un vide législatif inacceptable.

Les dispositions de la loi fédérale n’ont pas été modifiées par le législateur flamand, de telle sorte qu’elles continuent à être applicables, la cour notant que, si le législateur flamand a modifié l’article 10septies/3, cette modification n’a pas d’incidence en la cause. Le même constat est fait pour l’article 3bis du décret du 10 décembre 2021, qui a remplacé l’article 3bis de la loi fédérale.

Pour la cour, ce que la société doit démontrer c’est (i) qu’elle n’a pas reçu de titres-services pour des prestations effectuées pour un parent du travailleur ou pour un usager qui habite avec celui-ci et (ii) qu’elle n’a pas reçu de titres-services pour des prestations qui n’entrent pas dans la notion de « services de proximité ». Elle fait, comme le tribunal, la distinction entre la pénalité (la sanction administrative) et le remboursement d’indemnités ou de montants indûment perçus.

Si le Ministère public a estimé qu’aucune suite ne devait intervenir, ceci n’empêche pas qu’un remboursement puisse être exigé. Le but de la sanction ou de l’amende administrative est de punir le contrevenant pour une infraction commise et qui peut être qualifiée d’infraction de nature sociale. Le remboursement, par contre, est une pure mesure de rétablissement : celui qui a reçu à tort une indemnité ou un subside doit le restituer.

La cour rejette encore d’autres arguments soulevés par la société, notamment sur pied de l’article 1235, alinéa 1er, du Code civil, relatif à l’indu.

Sur le point précis du montant pouvant faire l’objet de la demande de remboursement (montant complet comprenant la part fédérale ou uniquement montant de l’intervention de l’utilisateur), la cour renvoie à l’article 3bis du décret du 10 décembre 2021 (qui a remplacé l’article 3bis de la loi du 20 juillet 2001), qui permet dans certaines circonstances de réclamer à l’utilisateur le remboursement de l’intervention. Cette nouvelle disposition autorise l’autorité à se tourner vers l’utilisateur mais n’exclut pas que celle-ci a également la possibilité de s’adresser à l’entreprise de titres-services. Cette disposition nouvelle n’influence pas l’application de l’article 10bis, § 5, de l’arrêté d’exécution, qui permet à l’ONEm de récupérer entièrement l’intervention et le montant du prix d’acquisition des titres-services dès lors que les travaux ont été effectués sans que les conditions légales ou réglementaires aient été respectées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend quelques conditions mises par la loi sur les titres-services. La cour a mis en exergue qu’il s’agit d’argent de la collectivité, investi dans cette activité et donc soumis à des règles strictes.

Les sociétés de titres-services jouent un rôle important dans le système et doivent veiller à ce que aussi bien les utilisateurs que leurs propres travailleurs soient attentifs à respecter les conditions légales. Telle est la raison de la surveillance des inspecteurs de l’autorité. En l’occurrence, il s’agit de l’Autorité flamande, Département Travail et Economie sociale (W.S.E.).

La loi prévoit notamment, en son article 3, alinéa 4, que le travailleur ne peut avoir de lien familial, de sang ou par alliance jusqu’au deuxième degré inclus, avec l’utilisateur ou un membre de la famille de celui-ci, ni avoir la même résidence que lui. C’est une des infractions principales constatées en l’espèce et le remboursement, étant la récupération entière de l’intervention et du prix d’acquisition, peut être exigé, en vertu de l’article 10bis, § 5, de la loi.

L’arrêt rappelle également la distinction entre la procédure de remboursement elle-même et la sanction (qui peut prendre la forme d’une amende administrative). Ces deux mécanismes sont distincts et, comme en l’espèce, le fait que le Ministère public renonce aux poursuites ne prive pas l’Autorité de son droit à récupérer les montants indûment versés à la société.


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