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Recouvrement de cotisations au statut social des travailleurs indépendants : régularité de la contrainte

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 janvier 2022, R.G. 2021/AL/83

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 11 janvier 2022, R.G. 2021/AL/83

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 janvier 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle l’étendue de la saisine du juge dans le cadre du contentieux relatif au recouvrement de cotisations au statut social des travailleurs indépendants : même si la contrainte est nulle, sa contestation par voie d’opposition saisit le juge dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.

Les faits

L’I.N.A.S.T.I. est informé par les services de l’Auditorat du travail de Liège de l’exercice d’une activité professionnelle de la part d’une personne physique, activité dans le secteur de la ferraille. L’I.N.A.S.T.I. lui demande, en conséquence, de s’affilier volontairement à une caisse d’assurances sociales. Après l’envoi infructueux d’un recommandé contenant mise en demeure, l’intéressé fait l’objet d’une affiliation d’office le 29 novembre 2016. En outre, une amende administrative est envisagée et il est convoqué.

Son conseil fait alors valoir qu’il conteste les conditions de l’assujettissement comme travailleur indépendant (la période allant du 31 janvier 2011 au 12 août 2013). Une discussion intervient et, suite à celle-ci, des explications complémentaires sont données par l’avocat, qui fait valoir l’impossibilité matérielle pour son client d’avoir effectué les prestations de dépôt de ferraille auprès d’une société spécialisée, conformément aux relevés établis par cette dernière. Les discussions se poursuivent et l’I.N.A.S.T.I. persiste dans sa position. Il notifie également une amende administrative de 200 euros avec sursis.

Un recours est introduit le 29 décembre 2017 devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). Vu l’absence de paiement, une contrainte est décernée par l’I.N.A.S.T.I. Une opposition à contrainte intervient. Les causes sont jointes devant le tribunal du travail, qui dit l’opposition non fondée et confirme la contrainte en toutes ses dispositions, de même que la décision litigieuse. Il condamne le demandeur originaire au paiement de cotisations pour un montant de l’ordre de 13.700 euros, à majorer des dépens.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelant conteste avoir exercé une activité impliquant son assujettissement au statut social, considérant les éléments déposés par la société de collecte de ferraille non fiables (absence de carte d’identité, d’extraits de compte, d’accusés de réception, etc.). Les quelques dépôts admis n’ont pas, pour lui, de but de lucre, ceux-ci ayant été effectués dans le cadre de la rénovation de l’habitation qu’il avait achetée. Il conteste également le fondement de la contrainte ainsi que l’amende administrative.

Pour l’I.N.A.S.T.I., qui n’a pas interjeté d’appel incident, l’assujettissement se justifie, l’activité ayant été exercée pour compte propre et étant susceptible d’être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services. Il demande à la cour de rejeter les contestations de l’appelant en ce qui concerne les éléments de fait et conclut à la confirmation du jugement.

La décision de la cour

Sur l’activité exercée, la cour fait un rappel des conditions d’assujettissement au statut social, reprenant l’arrêté royal n° 38 du 27 juin 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants et les principes dégagés en doctrine et en jurisprudence quant à la notion d’activité professionnelle.

Sur le plan des faits, elle constate que l’intéressé a procédé à trente-six dépôts auprès de la société en cause et que, vu le nombre de ceux-ci ainsi que le gain qui en a été retiré, il y a lieu de confirmer la position de l’I.N.A.S.T.I., qui dispose d’indices suffisants permettant de conclure à l’existence d’une activité qui doit être considérée comme une activité professionnelle, présentant un caractère habituel. Cette activité a été exercée en personne physique, en Belgique et en-dehors de tout contrat de travail ou de statut.

Se pose cependant la question de savoir s’il s’agit d’une activité exercée à titre principal ou à titre complémentaire. L’intéressé était à l’époque bénéficiaire du revenu d’intégration sociale et la cour s’interroge sur les éventuelles autres ressources perçues pendant la période litigieuse.

Examinant ensuite la question de la contrainte, elle reprend les obligations mises à charge des caisses d’assurances sociales par l’arrêté royal n° 38, dont celle, avant de procéder au recouvrement judiciaire ou au recouvrement par voie de contrainte, d’envoyer à l’assujetti un dernier rappel par lettre recommandée à la poste mentionnant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement. La disposition légale précise les conditions de ce dernier rappel. Celui-ci n’étant pas produit, la cour s’interroge sur la régularité formelle de la contrainte litigieuse et invite les parties à s’expliquer quant aux conséquences qui en découlent eu égard à la possible nullité de l’acte.

Elle renvoie d’ores et déjà à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 8 février 2019 (C. trav. Mons, 8 février 2019, R.G. 2017/AM/166), où celle-ci a précisé que la saisine du juge n’est pas limitée à un contentieux objectif de légalité de la contrainte, mais concerne aussi l’examen des obligations et droits subjectifs sous-jacents, de telle sorte qu’il y a lieu d’examiner le fond du litige à mettre en relation avec le bien-fondé de la réclamation de cotisations : la contrainte n’est pas un mode d’introduction de la cause car c’est sa contestation qui l’est, avec pour conséquence que, même si la contrainte est nulle, sa contestation par voie d’opposition, quel que soit l’objet de celle-ci, saisit par la même occasion la juridiction sociale dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.

La cour ordonne dès lors une réouverture des débats.

Intérêt de la décision

La jurisprudence relative aux effets d’une contrainte irrégulière/nulle est assez abondante.

La Cour du travail de Liège n’a pas tranché dans cet arrêt du 11 janvier 2022 le sort à réserver à celle-ci, même si elle a rappelé que le juge est saisi, du fait de la contestation de la contrainte elle-même – et ce même si celle-ci est nulle – dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction. Il va ainsi examiner les obligations et droits subjectifs sous-jacents, étant que le contrôle judiciaire portera sur le fond du litige.

L’on peut revenir, sur la question de la contrainte régulière, à quelques décisions importantes.

La Cour du travail de Bruxelles a repris, dans un arrêt du 17 juin 2020 (C. trav. Bruxelles, 17 juin 2020, R.G. 2018/AB/617 – précédemment commenté), les modalités légales de contestation. La contestation prévue à l’article 46 de l’arrêté royal d’exécution de l’arrêté royal n° 38 doit se faire par lettre recommandée à la poste, dans le mois de la signification ou de la notification du rappel. Il en va de même de la demande de termes et délais. La contestation ne doit pas avoir un contenu particulier, n’étant notamment pas requis qu’elle vise des montants ou que soient indiqués les moyens à l’appui de celle-ci. Dès lors qu’elle a été faite conformément aux articles 46 et 47bis de l’arrêté royal, la caisse ne peut procéder à la mesure de contrainte. La contrainte irrégulière produit néanmoins certains effets, pouvant être considérée comme une mise en demeure ayant fait naître une contestation et pouvant, dans le cours du recours judiciaire, aboutir à une condamnation.

L’irrégularité de la contrainte ne fait donc pas obstacle à l’examen du fond, comme repris dans l’arrêt de la Cour du travail de Liège annoté. Cette règle a été rappelée dans un arrêt précédent de la Cour du travail de Bruxelles du 10 novembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 10 novembre 2017, R.G. 2016/AB/542) : l’irrégularité d’une contrainte n’a pas pour conséquence que le tribunal n’a pas pu être valablement saisi de la contestation portant sur la prétention de la Caisse d’obtenir paiement des cotisations sociales dues. Même irrégulière, une contrainte vaut, à tout le moins, comme mise en demeure ayant fait naître une contestation que le débiteur pouvait prendre l’initiative de soumettre au tribunal par le biais d’une citation, procédure dans le cadre de laquelle le créancier peut, par le biais des conclusions qu’il dépose, demander que, dans l’hypothèse où l’opposition à contrainte ne serait pas déclarée irrecevable, le débiteur soit condamné au paiement d’une somme déterminée à titre de cotisations sociales. Ainsi, indépendamment de la régularité de la contrainte, la juridiction saisie doit-elle se prononcer sur le fondement de la demande reconventionnelle qui a le même objet que la contrainte.

Soulignons également que, précisé par cette même cour (C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2017, R.G. 2017/AB/82), délivrer contrainte ne peut se faire que dans le respect de la loi relative à la motivation formelle des actes administratifs. Cela implique référence aux dispositions légales applicables et mention de toutes les données de fait nécessaires : montant des cotisations réclamées, trimestres auxquels elles se rapportent ainsi que revenus de référence.


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