Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 8 juin 2022, R.G. 2021/AL/506
Mis en ligne le mardi 21 février 2023
Cour du travail de Liège (division Liège), 8 juin 2022, R.G. 2021/AL/506
Terra Laboris
Dans un arrêt du 8 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que, dans l’évaluation de l’incapacité permanente, l’appréciation des facteurs socio-économiques doit accorder une place non négligeable à l’âge, qui, par lui-même, restreint le marché du travail du travailleur victime de la maladie professionnelle.
Les faits
Un travailleur a introduit une procédure afin de contester deux décisions prises par FEDRIS en matière de maladies professionnelles, deux demandes ayant été introduites en vue de la reconnaissance de maladies reprises sous deux codes différents (1.605.01 et 1.606.22). FEDRIS a admis 17% (12% + 5%) pour la première et 10% (9% + 1%) pour la seconde.
La contestation porte uniquement sur les facteurs socio-économiques, pour lesquels 10% sont demandés pour la première maladie et 7% pour la seconde.
FEDRIS a introduit une demande reconventionnelle devant le tribunal. Celle-ci concerne la première maladie (code 1.605.01), l’Agence considérant qu’il y a lieu, vu les récentes avancées scientifiques et le caractère d’ordre public de la matière, de désigner un expert sur la question de savoir s’il peut être établi que les vibrations mécaniques sont susceptibles d’entraîner des lésions ostéo-articulaires aux épaules, en ventilant le taux de 12% d’incapacité permanente partielle par régions anatomiques.
FEDRIS précise qu’une nouvelle décision a par ailleurs été prise, mettant un terme à l’indemnisation accordée à l’intéressé pour les épaules dans le cadre de ce code et ayant en conséquence réduit le taux d’incapacité permanente partielle à 7% (5% + 2%). Reste ainsi prise en compte une atteinte localisée au niveau des coudes. Cette nouvelle décision a fait l’objet d’un recours devant le tribunal (qui n’est pas examiné ici).
La décision du tribunal
Dans un jugement du 18 mai 2021, le tribunal a conclu, pour le code 1.605.01, qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause la reconnaissance de la maladie professionnelle et a, pour ce qui est de la demande principale, majoré le taux des facteurs socio-économiques de 2% (soit un total de 19%). Pour la maladie reprise sous le code 1.606.22, il a fait de même, les facteurs socio-économiques étant portés à 4% (soit un total de 13%).
L’appel
Appel est interjeté par FEDRIS, qui persiste à considérer qu’il y a absence d’exposition au risque professionnel dans le code 1.605.01 pour l’affection constatée, étant une arthrose acromio-claviculaire. Il maintient le taux retenu par lui dans la dernière décision administrative prise. Il propose également – si un expert devait être désigné – d’adapter la mission en faisant une distinction entre « la cause prépondérante » et « une cause secondaire ou accessoire à d’autres ».
Pour ce qui est du code 1.606.22, il rejoint la conclusion du tribunal sur les 4% de facteurs socio-économiques, eu égard au profil de l’intéressé (fonction de monteur-soudeur-chaudronnier depuis trente-cinq ans et âge de cinquante-trois ans).
En ce qui concerne l’incapacité purement physique, FEDRIS estime que le taux retenu doit être confirmé, vu la poursuite de l’exercice des activités professionnelles, et ce en l’absence de toute adaptation du poste de travail (horaire, modification des tâches, etc.).
Le travailleur introduit un appel incident sur les mêmes facteurs socio-économiques, et ce dans les deux codes. Il fait valoir qu’il était âgé de cinquante-trois au début de l’incapacité et que l’enseignement de la Cour du travail de Liège recommande d’octroyer un complément « sensiblement supérieur » aux travailleurs âgés par rapport aux travailleurs plus jeunes, et non l’inverse, dans la mesure où c’est pour le travailleur le plus âgé que le marché général du travail sera le moins favorable.
Il reprend également les études faites (études primaires et une partie des études secondaires), ainsi que l’activité professionnelle exercée, qui sollicite les membres supérieurs. Quant au critère de FEDRIS selon lequel il y aurait lieu de tenir compte de la poursuite des activités professionnelles pour réduire (minimiser) le pourcentage d’incapacité physique, il voit là une manière de pénaliser les personnes les plus courageuses qui poursuivent leurs activités malgré la maladie, et ce peut-être parce qu’elles sont contraintes et forcées de travailler.
La décision de la cour
Pour ce qui est de la maladie 1.605.01 (vibrations mécaniques), la cour rappelle que plusieurs expertises sont en cours au sein de la juridiction, la question se posant dans deux autres dossiers et un collège d’experts ayant été désigné pour chacun d’eux. Elle renvoie dès lors la question au rôle.
Elle statue cependant sur la maladie professionnelle reprise sous le code 1.606.22. Dans les principes d’indemnisation de l’incapacité permanente, elle rappelle les critères d’appréciation, parmi lesquels figure l’âge du travailleur. Celui-ci fait partie des facteurs socio-économiques propres à la victime, au même titre que sa qualification professionnelle, sa faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle et sa capacité concurrentielle sur le marché général de l’emploi. Ce critère doit être apprécié en ce qu’il a de l’influence sur les capacités concurrentielles de la victime et non dans sa dimension d’accès effectif au marché du travail compte tenu de la conjoncture économique.
La cour renvoie à la doctrine (D. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? », in Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012, Anthémis, pp. 352 et s.), qui a relevé que plus l’âge avance, plus l’incidence de ce critère impactera l’incapacité de travail. Ceci est dû au fait que la faculté d’adaptation, de rééducation professionnelle, ainsi que la capacité de concurrence se réduisent avec celui-ci.
Elle confirme dès lors le jugement sur ce point précis. Elle relève que la formation scolaire est minimale et que le travailleur a toujours exercé la même fonction depuis 1986, de telle sorte que son marché général du travail est celui d’un travailleur manuel lourd. Ce marché est restreint, vu l’absence de formation ainsi que de polyvalence, de même que vu la faculté d’adaptation limitée par l’âge. Le pourcentage retenu va donc correspondre aux efforts accrus que la victime doit fournir à la suite de sa remise au travail, son marché général du travail n’étant pas davantage restreint par l’impossibilité totale d’exercer une tâche manuelle lourde.
La cour souligne encore qu’il faut distinguer l’hypothèse d’une victime dont l’incapacité ne lui permet d’emblée plus d’exercer son métier ou un type de métier accessible de celle où l’emploi est resté accessible moyennant la fourniture d’efforts. Les deux hypothèses vont porter atteinte à la capacité concurrentielle du travailleur, mais différemment.
Intérêt de la décision
Diverses décisions ont été rendues sur l’importance du critère de l’âge en tant qu’élément à prendre en compte dans l’évaluation de l’incapacité permanente. Le rétrécissement du marché du travail entraîné par l’avancement de l’âge a été souligné par D. DESAIVE et M. DUMONT dans la contribution citée dans l’arrêt. Un accident du travail ou une maladie professionnelle survenant à un travailleur âgé doit donc tenir compte de cet aspect particulier des facteurs socio-économiques intervenant dans la réparation. La cour a très justement souligné que l’âge a une place importante dans ces facteurs, dans la mesure où il affecte la capacité concurrentielle du travailleur et que d’autres facteurs s’y ajoutent (limitation du marché du travail, exercice pendant de très nombreuses années d’une activité professionnelle dans le secteur des travailleurs manuels lourds, etc.).
La Cour du travail de Liège (division Liège) avait rendu un arrêt important sur la question le 7 décembre 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 7 décembre 2018, R.G. 2018/AL/72 – précédemment commenté). Elle avait considéré qu’il faut comparer un travailleur (en l’espèce âgé) victime d’une maladie professionnelle générant un certain taux d’incapacité physiologique avec un autre travailleur du même âge et de même formation mais ne présentant pas ce handicap, ceux-ci allant se trouver tous deux en concurrence sur un marché du travail réduit, qui est celui des travailleurs de leur âge, de leur formation et de leur expérience professionnelle. Les chances d’embauche sont objectivement moindres pour le premier travailleur que pour le second, qui a – lui – un avantage concurrentiel indéniable résultant du fait qu’en dépit de son âge, il a conservé intacte sa capacité de travail. Si l’évaluation des facteurs socio-économiques procède d’une appréciation forfaitaire, il faut qu’elle reflète l’impact économique de l’incapacité physiologique.
Dans son arrêt du 8 juin 2022, la cour a également fait, au niveau des séquelles sur le plan de la réduction de la capacité concurrentielle du travailleur, la distinction entre la situation où la victime du risque professionnel peut conserver son emploi avec difficultés accrues et celle où elle ne le peut pas (circonstance qui va encore réduire son marché du travail).