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Accident du travail dans le secteur public : action subrogatoire de l’organisme assureur AMI

C. trav. Liège (div. Liège), 6 février 2023, R.G. 2018/AL/386

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 6 février 2023, R.G. 2018/AL/386

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 février 2023, la cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que la mutuelle peut exercer son action subrogatoire contre le débiteur de la réparation de l’accident du travail et qu’un accord intervenu entre la victime et son employeur ne lui est pas opposable, à défaut d’accord marqué par elle sur celui-ci.

Les faits

Un ouvrier communal fut victime d’un accident du travail le 10 décembre 2012 (douleur au dos suite au chargement d’un câble pesant une quarantaine de kilos).

L’accident fut reconnu et indemnisé, une IPP de 3 % étant proposée.

Avant la date de consolidation, il eut une nouvelle période d’incapacité de travail, que l’employeur ne prit pas en charge comme conséquence de l’accident.

Il porta à la connaissance de la mutuelle la période d’indemnisation admise ainsi que le refus de la rechute. La mutuelle indemnisa l’intéressé pour celle-ci.

Rétroactes de procédure

L’organisme assureur AMI introduisit une procédure devant le tribunal du travail de Liège (division Verviers) afin d’obtenir le remboursement de ses débours correspondant à son intervention pendant cette période d’incapacité, la commune ayant refusé de rembourser.

Le tribunal du travail rendit un jugement en date du 29 mars 2018, dans lequel d’une part il limita la période litigieuse à trois mois environ et d’autre part déclara la demande non fondée vu l’absence de motivation de la décision du médecin-conseil justifiant la rechute et la circonstance que l’intéressé n’avait pas contesté la décision de la commune fixant les séquelles de son accident.

L’appel

L’organisme assureur fait grief au jugement (I) d’avoir considéré que l’accord indemnité conclu entre le travailleur et son employeur lui était opposable, (III) d’avoir jugé qu’il était en défaut d’apporter la preuve de l’imputabilité de la période d’incapacité à l’accident du travail et (III) d’avoir estimé que la demande devait être déclarée non fondée vu les termes de l’article 136 § 2 de la loi.
L’organisme assureur rappelle la subrogation prévue à l’article 136 § 2 de la loi coordonnée, en vertu de laquelle il n’a pas besoin de l’accord de son affilié pour introduire son action. Il considère que l’accord intervenu entre le travailleur et la commune ne lui est pas opposable, puisqu’il n’a pas marqué accord sur celui-ci. Admettre le contraire est, pour lui, d’une part contra legem et d’autre part discriminatoire selon qu’il s’agit de l’indemnisation de travailleurs du secteur privé ou du secteur public. Il développe encore divers arguments relatifs à la période d’incapacité et à son imputabilité à l’accident du travail. Enfin, il plaide que l’article 295 § 2 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 ne concerne pas sa relation avec la commune, puisqu’il est intervenu à titre provisionnel.
À titre subsidiaire, il sollicite la désignation d’un expert afin de se prononcer sur la cause de l’incapacité de travail pendant la période considérée, étant de savoir si celle-ci était une suite de l’accident du travail. Par ailleurs, il a cité le travailleur en intervention forcée.

La commune demande pour sa part la confirmation du jugement. Elle conteste la recevabilité de la citation en intervention forcée (justifiée par l’organisme assureur à titre conservatoire dans l’hypothèse où une expertise serait ordonnée). Elle plaide qu’il appartient à l’organisme assureur de démontrer qu’il a accordé des avances et, par conséquent, que le travailleur a respecté les obligations imposées par l’article 295 § 2 de la loi. Sur l’accord indemnité, elle considère que l’article 136 § 2 n’est pas applicable, dans la mesure où il n’y a pas eu de convention mais une décision de l’employeur.

La décision de la cour

Sur la question de la recevabilité de l’intervention forcée du travailleur, la cour considère que l’organisme assureur a un intérêt à cette action et que la citation est une citation en déclaration d’arrêt commun, son objectif étant d’empêcher que le travailleur considère que l’arrêt ne lui est pas opposable. En outre, vu la subrogation (l’organisme assureur n’exerçant pas d’autre action que celle de la victime), la citation intervenue à titre conservatoire pour la première fois en degré d’appel peut être admise.

La cour aborde ensuite le fond, reprenant les dispositions pertinentes de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (personnel local), en ce compris les compétences et la procédure administrative.

Elle rappelle ensuite les dispositions de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et de son arrêté royal d’exécution du 3 juillet 1996 et s’attarde particulièrement sur l’action subrogatoire. Pour que celle-ci puisse être exercée, l’assuré doit informer sa mutuelle que le dommage peut être couvert par une autre législation. L’organisme assureur, qui agit contre le débiteur de la réparation, n’exerce pas une action distincte de celle de la victime mais, par une demande distincte, il intente l’action de la victime elle-même.

Cette action peut être formée aux côtés de la victime contre l’assureur-loi lorsque celui-ci procède à la consolidation des lésions et ce, dès lors que le médecin-conseil de l’organisme assureur estimerait qu’elles ne peuvent être consolidées. Il peut également agir lorsque l’indemnisation par l’assureur-loi est inférieure aux prestations AMI et que son médecin-conseil estime le taux reconnu en loi insuffisant. Renvoyant à la doctrine de O. DE LEYE (O. DE LEYE, « Les actions subrogatoires de l’organisme assureur contre l’assureur-loi », J.T.T., 1994, page 185), la cour conclut sur ce point que l’action subrogatoire contre l’assureur-loi peut donc être intentée en dehors de la présence de la victime ou conjointement avec elle.

Si un expert est désigné, la victime ne peut refuser de subir l’expertise, dans la mesure où elle revendique les indemnités d’incapacité de travail (la cour renvoyant à la doctrine de Ph. GOSSERIES, " L’interdiction du cumul de la réparation pour un même dommage selon l’article 70, § 2, de la loi du 9 août 1963 », J.T.T., 1989, page 172).

Enfin, sur le plan des principes, la cour rappelle que la convention prévue à l’article 136 s’entend de l’accord-indemnité conclu dans le secteur privé mais également de l’accord de la victime sur la proposition de la rente faite par l’employeur, même si la volonté de celui-ci est partiellement liée par la décision du service médical sur le pourcentage d’incapacité permanente et si, dans ce cas d’accord, la proposition de rente est reprise dans une décision notifiée à la victime. Cette convention est inopposable à l’organisme assureur s’il n’a pas marqué son accord sur celui-ci. La décision qui la met en œuvre est, de même, sans effet à son égard (la cour renvoyant ici à Cass., 17 mai 2021, S. 20.0066.F).

En l’espèce, la cour examine l’incidence d’un éventuel non-respect de l’article 295 de l’arrêté royal. Celui-ci impose à la victime une obligation d’information à l’égard de l’organisme assureur et prévoit que l’octroi des prestations visées à l’article 136, § 2, de la loi coordonnée est subordonné aux conditions que l’assuré social permette à son organisme assureur d’exercer son action subrogatoire et l’informe sur plusieurs points (étant que le dommage peut être couvert autrement, qu’il communique tous les éléments et circonstances de nature à établir le mode de réparation possible ainsi que l’existence de toute procédure engagée en vue d’obtenir la réparation). La cour souligne que cette disposition prévoit que l’information requise peut être donnée par le certificat médical par lequel le travailleur informe de son incapacité, lorsqu’il s’agit d’indemnités d’incapacité travail. Elle précise que l’information peut également être donnée au moyen du formulaire ad hoc.

Dans la mesure où la mutuelle ignorait si la commune prendrait le cas en charge, elle n’avait pas le choix et devait intervenir à titre provisionnel. Le prescrit de l’article 136 § 2 a dès lors été respecté. La cour note encore que la convention est inopposable à l’organisme assureur, le fait que l’accord se soit concrétisé dans une décision de l’autorité n’ayant pas pour effet de le rendre inopposable.

La cour en vient ainsi à l’imputabilité de la rechute à l’accident du travail et conclut, éléments médicaux à l’appui, qu’il y a une discordance d’avis médicaux. Cependant, elle n’estime pas nécessaire de recourir à une mission d’expertise, vu l’ancienneté des faits. Elle estime que l’ensemble des éléments produits par l’employeur ne permet pas de douter avec suffisamment de vraisemblance du lien entre l’accident et la persistance de séquelles.

Intérêt de la décision

Dans l’arrêt commenté, la cour du travail de Liège reprend très clairement les spécificités de la subrogation de l’organisme assureur en cas d’accident du travail survenu à un travailleur du secteur public.
Dans un précédent arrêt, la cour (autrement composée) avait également considéré qu’en vertu de l’article 136, § 2, alinéa 5, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, la convention entre le débiteur de la réparation et le bénéficiaire n’est pas opposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier. Ceci vaut également dans le secteur public pour la décision de l’autorité contenant l’accord de la victime. La circonstance que la proposition d’indemnité soit reprise dans une décision de l’autorité n’a pas pour effet de rendre cette convention opposable. Il s’agit d’un simple acte administratif individuel. C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 12 février 2020, R.G. 2018/AU/96 – précédemment commenté)

Un accord, même homologué par le tribunal du travail, étant inopposable à l’organisme assureur AMI, elle a en l’espèce admis que c’était à juste titre que l’action de celui-ci avait été déclarée recevable, celui-ci pouvant l‘introduire dans le délai de 3 ans prenant cours à la notification de la proposition de rente.
Un pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 2021, qui a jugé que l’accord de la victime sur la proposition de rente du centre public d’action sociale qui l’occupait au moment de l’accident forme une convention entre ce débiteur de la réparation et le bénéficiaire des prestations de l’assurance soins de santé et indemnités, au sens de l’article 136, § 2, alinéa 5, précité, même si la volonté du centre est partiellement liée par la décision du service médical sur le pourcentage d’incapacité permanente et si, dans ce cas d’accord, la proposition de rente est reprise dans une décision du centre notifiée à la victime. Cette convention est inopposable à l’organisme assureur sans l’accord de ce dernier et la décision du centre qui la met en œuvre est, de même, sans effet à l’égard de l’organisme assureur. (Cass., 17 mai 2021, n° S.20.0066.F – également précédemment commenté).


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