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Accident du travail dans le secteur public : effet de la fixation rétroactive de la date de consolidation des lésions

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 29 juin 2023, R.G. 2021/AN/126

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 29 juin 2023, R.G. 2021/AN/126

Dans un arrêt du 29 juin 2023, la cour du travail de Liège (division Namur) rappelle l’article 22quater de la loi du 3 juillet 1967, disposition qui protège dans le secteur public la victime d’un accident du travail contre le risque d’un remboursement de paiements indus en cas de fixation ultérieure de la date de consolidation des lésions avec effet rétroactif.

Les faits

La demanderesse originaire, appelante, a subi un accident du travail en mars 2012.

Elle a été en incapacité de travail totale jusqu’au 30 septembre 2012, soit pendant six mois. Elle a alors repris ses prestations à mi-temps - tout en continuant à être rémunérée à temps plein.

Le médecin-conseil de l’assureur de l’employeur public (C.P.A.S.) consolida les lésions au 1er janvier 2014, le Medex, pour sa part, retenant la date du 1er septembre 2015 et transmettant cette information à l’employeur le 26 janvier 2016.

Contact fut pris avec Fedris vu sa mission légale d’information et de contrôle de l’application de la réglementation. L’Agence répondit que le Medex était le seul compétent pour déterminer la date de consolidation ainsi que le taux d’incapacité permanente, celle proposée par l’assureur de l’employeur n’ayant pas de valeur légale.

Pour Fedris, l’assureur était tenu de prendre en charge le mi-temps salarial non presté par l’intéressée jusqu’à la date de consolidation établie par le Medex. Il s’agit de la période du 1er janvier 2014 au 1er septembre 2015. En outre, l’indu ne pouvait non plus être réclamé à l’intéressée à partir de la consolidation des lésions car ce n’est qu’au moment où la victime est informée de celle-ci (en l’espèce par lettre du 26 janvier 2016) que ceci pouvait être fait, conformément à l’article 22quater de la loi du 3 juillet 1967. Ce n’est donc qu’à partir du 27 janvier 2016 que l’indu pouvait être réclamé.

L’intéressée ayant marqué accord sur l’évaluation du Medex, l’employeur procéda alors à l’indemnisation sur la base d’une consolidation au 1er septembre 2015.

L’employeur décida ensuite de ne plus rémunérer l’intéressée qu’à concurrence du temps réellement presté et de récupérer les sommes indûment perçues depuis le 1er janvier 2014.

Cette demande fut limitée dans la décision contestée à la période du 27 janvier 2016 au 31 janvier 2017. Pour l’employeur, les deux périodes précédentes n’étaient pas à récupérer vu que du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2015, les indemnités devaient être prises en charge par l’assureur dans le cadre du contrat « accident du travail » et que, pour la période du 2 septembre 2015 au 26 janvier 2016, en application de l’article 22quater de la loi du 3 juillet 1967, l’éventuel indu ne pouvait être réclamé que si la victime était informée de la décision de consolidation du Medex, ce qui n’intervint que le 26 janvier 2016.

Une procédure fut introduite par l’intéressée contre son employeur.

Les relations professionnelles prirent fin d’un commun accord le 30 juin 2017.

La décision du tribunal du travail

Par jugement du 6 mars 2020, le tribunal du travail considéra que l’intéressée savait ou aurait dû savoir qu’elle n’était plus reconnue inapte à l’emploi et qu’elle devait reprendre le travail à temps plein ou solliciter un mi-temps médical auprès de la mutuelle à partir du 26 janvier 2016. En conséquence, pour le tribunal, la décision du C.P.A.S. devait être confirmée.

L’intéressée ayant introduit une demande incidente tendant à la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts équivalents aux sommes qu’elle devait rembourser, le tribunal considéra que celui-ci avait commis une erreur grossière mais non constitutive d’une faute, s’agissant d’un « petit C.P.A.S. rural » sans service juridique et, s’il fallait considérer qu’il y avait faute, celle-ci existait dans le chef des deux parties, l’intéressée s’étant abstenue de signaler l’erreur alors qu’elle savait dès réception de l’avis de consolidation qu’elle n’avait plus droit au paiement de l’intégralité de son salaire.

Pour ce qui est de la récupération, le tribunal ordonna la réouverture des débats, aux fins de fixer le montant de celle-ci.

L’appel

À titre principal, l’appelante demande à la cour de conclure au non-fondement de la demande en répétition des salaires introduite par le C.P.A.S. À titre subsidiaire, elle plaide l’existence d’une faute engageant la responsabilité de ce dernier et, par conséquent, sollicite sa condamnation à un euro à titre provisionnel au titre de dommages et intérêts.

Le C.P.A.S. sollicite la confirmation du jugement entrepris, réclamant un montant de l’ordre de 17 000 €.

Les arrêts de la cour

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt interlocutoire du 29 août 2022

Par arrêt du 29 août 2022, la cour a demandé la production du dossier complet de l’intéressée par le service du personnel du C.P.A.S. (certificats médicaux, courriers, examen médical, éventuels avenants au contrat,…) ainsi que l’éventuel statut du personnel s’appliquant aux travailleurs contractuels ou toute autre forme d’information quant au fondement de la décision de l’occupation de l’appelante à mi-temps. D’autres explications étaient également requises (raison pour laquelle l’intéressée a été rémunérée à temps plein alors qu’elle ne prestait qu’à mi-temps, courrier adressé à celle-ci l’invitant à se tourner vers sa mutuelle, ainsi que toutes démarches accomplies par elle en vue d’être indemnisée dans le secteur AMI).

L’arrêt du 29 juin 2023

La cour reprend la position des parties à ce stade de la procédure avant de trancher le fond du litige.

Position des parties devant la cour après l’arrêt interlocutoire

L’appelante expose avoir été régulièrement couverte par des certificats médicaux et avoir été rémunérée à temps plein alors qu’elle prestait à mi-temps. Elle précise qu’il ne lui a jamais été signalé qu’elle devait se tourner vers sa mutuelle ou vers le responsable de l’accident. Vu la longueur de la période en cause, elle considère qu’il y a erreur dans le chef du C.P.A.S. et que le premier juge ne pouvait exonérer celui-ci de sa responsabilité alors qu’elle-même est totalement ignorante en la matière et que la rémunération a continué à être payée sans interruption pendant cinq ans. Elle souligne que dès qu’elle a été informée de la décision de son employeur elle était hors délai pour solliciter l’intervention de la mutuelle. Elle conteste dès lors que les conditions de l’indu soient réunies. À titre subsidiaire, elle plaide que la faute du C.P.A.S. l’a privée de l’indemnisation de sa mutuelle et que le préjudice équivaut à l’indû réclamé.

Le C.P.A.S. se borne quant à lui à demander la confirmation du jugement et considère qu’il n’a commis aucune faute, l’intéressée ayant omis de faire les démarches vis-à-vis de sa mutuelle. Pour ce qui est des documents demandés dans l’arrêt interlocutoire, il n’en dépose aucun et ne fournit aucune explication sur les motifs qui l’ont conduit à rémunérer l’intéressée à temps plein dans le contexte ci-dessus.

La décision de la cour

La cour examine le droit, dans le secteur public, à l’indemnisation de la victime d’un accident du travail pendant la période d’incapacité temporaire. L’article 3bis, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 dispose à cet égard que sous réserve de dispositions plus favorables, la victime bénéficie des dispositions prévues par la législation sur les accidents du travail dans le secteur privé. La cour constate qu’il n’y a pas de telles dispositions plus favorables en l’espèce.

Elle reprend la procédure de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (applicable au personnel des C.P.A.S.), qui confie au Medex l’examen médical de la victime, celui-ci ayant pour mission de fixer la date de consolidation et le pourcentage d’incapacité permanente. Les décisions prises présentant régulièrement un caractère rétroactif, l’article 22quater de la loi du 3 juillet 1967 dispose que dans cette hypothèse la rétroactivité ne peut porter préjudice à la victime ni entraîner des obligations à sa charge. Il en découle, selon la doctrine (la cour renvoyant à B. GRAULICH, " La révision, récupération de l’indû et la prescription », in Regards croisés sur la sécurité sociale, dir., F. Étienne et M. Dumont, Anthémis, 2012, page 73), que la rémunération qui a continué à être payée au titre d’incapacité temporaire ne peut faire l’objet d’une répétition d’un indu depuis la date de consolidation finalement fixée rétroactivement, cette disposition empêchant la constitution d’un indu lorsque l’employeur a continué à payer le traitement sur la base des dispositions en matière d’incapacité temporaire jusqu’à la décision de l’instance compétente.

La cour rappelle ce qu’il faut entendre par « instance compétente » au sens de la disposition légale, étant non seulement le service médical désigné pour fixer la date de consolidation mais également l’autorité chargée, lorsqu’il y a une incapacité permanente, de vérifier les conditions d’octroi des indemnités, c’est-à-dire en l’espèce le C.P.A.S., et ce en vertu de l’article 3 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.

Il ne peut dès lors être question d’un indû.

La cour renvoie en outre à l’article 5.133 du Code civil qui définit l’indû, à savoir le paiement fait (i) en l’absence de dette, (ii) par le débiteur au profit d’une personne qui n’était pas créancière ou (iii) au profit du créancier par une personne autre que le débiteur pour autant que le paiement ait été fait par ignorance ou sous la contrainte.

La cour donne également le texte de l’article 5.124 du Code civil, rappelant que les deux dispositions remplacent les anciens articles 1376 et 1377. Ce n’est, autant au regard des anciennes dispositions que de celles actuellement applicables, que si le C.P.A.S. a payé par erreur qu’il peut demander la répétition de l’indu. La même doctrine est encore évoquée sur la question, celle-ci précisant que celui qui paie sciemment ce qu’il ne doit pas ne peut exercer l’action en répétition et elle y ajoute que si le solvens avait payé ce qu’il savait ne pas devoir dans l’unique but d’éviter des poursuites ou sous l’emprise de l’intimidation, de tels paiements devraient être mis sur le même pied que des paiements faits par erreur.

Aucune contrainte ni intimidation ne pouvait exister dans le chef du C.P.A.S., qui a en l’espèce, pour la cour, payé sciemment ce qu’il ne devait pas – et celle-ci de se référer aux termes des conclusions prises par celui-ci dans le cadre de la procédure.

Les conditions légales de l’indu n’étant pas réunies, l’appel est fondé et le C.P.A.S. est débouté de sa demande de remboursement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Liège contient deux enseignements.

Le premier est relatif à la compétence du Medex dans le cadre de l’A.R. du 13 juillet 1970, dont la cour a rappelé que ce service médical est le seul compétent pour déterminer la date de consolidation ainsi que le taux d’incapacité permanente. À cet égard, l’évaluation de l’assureur de l’employeur n’a pas d’effet sur le plan légal. La discordance en l’espèce entre les dates de consolidation retenues par l’un et l’autre aboutit à l’application de l’article 22quater de la loi du 3 juillet 1967, disposition qui permet d’éviter les effets négatifs pour la victime de l’accident en cas de fixation ultérieure avec effet rétroactif, qui aurait pu la préjudicier (rappelons que cette disposition prévoit que lorsque l’instance compétente pour fixer la date de consolidation des lésions physiologiques résultant de l’accident du travail la fixe avec effet rétroactif, la rétroactivité ne peut porter préjudice à la victime, ni entraîner des obligations à sa charge).

L’arrêt vient également préciser la notion de « instance compétente » au sens de la disposition. Il s’agit, pour la cour, non seulement du service médical mais également de l’autorité chargée de vérifier en cas d’incapacité permanente si les conditions d’octroi des indemnités sont réunies. Il s’agit en l’espèce du Conseil du C.P.A.S., et ce vu la définition de l’autorité à l’article 3 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.


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