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Chômage temporaire pour force majeure Covid, paiement des allocations par la CAPAC avant la décision de l’ONEm sur la base d’un barème erroné et obligation de remboursement du chômeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2021/AB/858

Mis en ligne le mercredi 15 mai 2024


C. trav. Bruxelles, 9 novembre 2023, R.G. 2021/AB/858

Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 novembre 2023 rappelle les dérogations intervenues dans le règlement administratif des demandes de chômage temporaire pour force majeure Covid, ainsi que les rôles respectifs de l’ONEM et des caisses de paiement.

Faits de la cause

L’employeur de M. D. a introduit, le 26 mars 2020, auprès de la CAPAC une demande d’allocations de chômage temporaire Covid via la procédure électronique.

L’organisme de paiement a fait application de l’article 14 de l’arrêté royal du 30 mars 2020 permettant aux organismes de paiement de payer le travailleur avant la réception de la carte d’allocations C2 et l’a indemnisé sur la base du barème 02/72NO les 28 avril et 5 mai 2020.

Le 26 juillet 2020, l’ONEm a accordé le droit aux allocations de chômage sur la base du barème 02/50NO à partir du 14 mars 2020. Il a en conséquence rejeté les dépenses de la CAPAC à concurrence de la différence entre les deux barèmes, soit 215,76€ pour mars et 455,54€ pour avril.

La CAPAC a réclamé le remboursement de ces montants.

M. D. a refusé ce remboursement et a saisi le tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre par une requête du 25 mai 2021.

Par un jugement du 19 novembre 2021, prononcé par défaut à l’égard de la CAPAC, ce tribunal a dit sa demande recevable et fondée et a annulé les demandes de remboursement contestées, mettant l’ONEm hors cause.

La CAPAC a introduit contre ce jugement un appel recevable.

L’arrêt commenté

La cour du travail rappelle tout d’abord les règles relatives au paiement des allocations et de la vérification des paiements effectués tel que prévues par les articles 24, §2, al.2, 26, 142, §1er, 160, §§ 1er et 2, 164 et 165 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Il ressort de ces dispositions que c’est l’ONEm qui prend les décisions relatives aux allocations de chômage, que les organismes de paiement sont responsables des sommes avancées par l’ONEm, que leurs paiements sont soumis à vérification par cet organisme et qu’en principe, si leurs dépenses sont rejetées, elles doivent être recouvrées auprès du chômeur.
Sur cette récupération, la règle de l’article 169, al 1er de l’arrêté royal est la récupération intégrale mais des limitations sont prévues par les alinéas suivants et sont également applicables aux organismes de paiement. L’arrêt cite M. SIMON « Récupération des allocations de chômage » in Le Chômage, Larcier 2021, p.446.

La cour du travail rappelle ensuite le contenu de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, qui protège en règle l’assuré social contre les erreurs de l’ONEm et est repris par l’article 149, §1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et relève que cette disposition n’est pas applicable aux organismes de paiement.

L’arrêt examine ensuite les articles 18bis de la Charte et 166 de l’arrêté royal, dont il ressort que l’article 17 de la Charte ne peut être invoqué pour refuser à l’organisme de paiement le droit de récupérer les allocations indûment payées ayant donné lieu à une décision de l’ONEm de rejet des dépenses. L’arrêt cite M. SIMON : « Erreur de l’organisme de paiement des allocations de chômage : récupération de l’indu et responsabilité », J.T.T., 2017, p.197-198.

La cour précise que la Cour constitutionnelle a été invitée à statuer sur la compatibilité de cet article 18bis avec les articles 10 et 11 de la Constitution et qu’elle a constaté que cette disposition n’opérait en soi aucune différence entre les assurés sociaux, précisant que, si le Roi en établissait, il reviendrait aux juridictions du travail de vérifier la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution (arrêt du 2 juin 2010, n°67/2010).

La cour du travail aborde ensuite l’article 167 de l’arrêté royal, qui précise (§1er) les diverses hypothèses dans lesquelles l’organisme de paiement est responsable des paiements effectués et, qui, au §2, règle les conséquences de ses erreurs, ne prévoyant qu’une hypothèse dans laquelle la récupération ne peut être poursuivie à charge du chômeur, étant celle des paiements rejetés exclusivement en raison d’une faute ou d’une négligence imputable à cet organisme.

Selon plusieurs arrêts de la Cour de cassation « Le rejet d’une dépense est, au sens de cette disposition, exclusivement dû à une faute ou à une négligence imputable à l’organisme de paiement lorsque le droit du travailleur aux allocations de chômage auxquelles correspond cette dépense existe indépendamment de cette faute ou de cette négligence ». L’arrêt cite les arrêts de la Cour de cassation du 6 juin 2016 (S.12.0028.F sur Juportal avec les conclusions de l’Avocat général Genicot) et du 27 septembre 2010 (S.09.0055.F sur Juportal avec les conclusions du Procureur général Leclercq), tout en précisant que cette jurisprudence a fait l’objet de critiques par la doctrine et la jurisprudence (cfr réf.7 et 8 p.10).

L’arrêt aborde ensuite l’application de ces principes en l’espèce.

Après avoir relevé que la décision de l’ONEm fixant le montant des allocations n’est critiquée ni par le chômeur ni par la CAPAC, l’arrêt met cet office hors cause.

Il aborde alors le contexte particulier dans lequel le paiement des allocations est intervenu, étant un chômage temporaire pour force majeure imputable au coronavirus.

Plusieurs dispositions temporaires ont été prévues notamment au niveau de la simplification administrative. Ainsi, l’arrêté royal du 30 mars 2020 a, en son article 14, permis aux organismes de paiement de payer anticipativement des allocations provisoires. Le Rapport au Roi précédant cet arrêté justifie la mesure par la volonté d’éviter que les travailleurs se retrouvent sans revenu et de faciliter les suspensions de contrat pour les employeurs, dans un contexte de manque de personnel dans les organismes de paiement. Ceux-ci ont donc été amenés à payer des montants provisoires sur la base de documents parfois incomplets et sans carte d’allocations C2, donc sans vérification préalable par l’ONEm.

La CAPAC n’a commis aucune faute ou négligence en payant ces allocations.

Compte tenu de l’arrêté royal du 30 mars 2020, la cour estime que l’on se situe dans le cadre de l’article 167, §1er, 1°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et que les allocations peuvent être récupérées.

Intérêt de la décision

Avant d’aborder la problématique spécifique au chômage temporaire pour force majeure coronavirus, l’arrêt expose les règles générales applicables à la récupération des allocations auprès du chômeur en cas de rejet par l’ONEm des dépenses d’un organisme de paiement au regard des articles 17 et 18 bis de la Charte de l’assuré social et des dispositions pertinentes de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

L’arrêt contient de nombreuses références à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation et des juges du fond ainsi que des références doctrinales.

La synthèse, dans le cadre de la gestion des conséquences économiques et sociales du Covid 19, des dispositions prises en matière de chômage temporaire présente également un intérêt qui dépasse le cadre du litige puisque la cour du travail expose non seulement les mesures de simplification administrative mais également celles prises en matière d’admissibilité (pas de condition de stage) et d’indemnisation (70 % au lieu de 65%).


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