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Accident du travail dans le secteur public et délai de récupération d’un indu

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 octobre 2023, R.G. 2023/AL/20

Mis en ligne le lundi 27 mai 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 26 octobre 2023, R.G. 2023/AL/20

La cour du travail de Liège (division Liège) a rappelé dans un arrêt du 26 octobre 2023 le débat relatif au délai de récupération d’un montant indu, en l’occurrence traitements payés par l’employeur public dans le décours d’un accident du travail.

Les faits

Une travailleuse au service d’une commune (avec statut A.P.E.) eut un accident du travail le 19 août 2013, accident qui fut reconnu.

L’employeur contesta le lien entre les absences consécutives à l’accident et celui-ci à partir du 22 octobre 2013. Il continua cependant à verser intégralement la rémunération, et ce jusque janvier 2014.

Le 31 janvier 2014, il annonça qu’une régularisation de la situation pécuniaire allait intervenir dès que l’arrêté serait signé. Cette décision confirmait le refus de son assureur d’admettre le lien entre l’incapacité et l’accident. L’employeur exposait que l’indemnité d’incapacité de travail devait dès lors être imputée à une maladie. La prolongation de l’incapacité elle-même n’était pas contestée mais devait être indemnisée par la mutuelle.

Un courrier ultérieur réclama un montant de l’ordre de 1 800 €. Ce montant fut porté par courrier recommandé du 26 mai à 4 700 €.

Entre-temps, l’intéressée avait introduit une procédure devant le tribunal du travail de Liège (division Liège) aux fins de faire fixer les séquelles de l’accident.

Rétroactes de procédure

Le tribunal statua par jugement du 8 décembre 2016, fixant des périodes d’incapacité temporaire totale et partielle entre le 19 août 2013 et le 14 août 2014. La date de consolidation était fixée au 15 août avec un taux d’IPP de 5 %.

Suite au jugement rendu, l’employeur régularisa la situation pécuniaire de l’intéressée en lui versant un montant de l’ordre de 11 000 € sans tenir compte des indus réclamés précédemment et sans procéder à une compensation.

Un courrier recommandé fut adressé un an et demi plus tard, le 17 septembre 2018, invitant l’intéressée à rembourser un montant de l’ordre de 6 600 € toujours pour la période d’octobre 2013 à janvier 2014.

Le syndicat de l’intéressée intervint et un échange de courrier ne clarifia pas la situation à telle enseigne que – l’indu étant maintenu – la travailleuse introduisit une nouvelle procédure en contestation de celui-ci.

Les parties se sont ainsi retrouvées opposées devant le premier juge sur l’indu, la demanderesse contestant en outre une compensation réalisée d’office par la Ville sur son pécule de vacances qui devait être payé en juin 2019 et celle-ci introduisant par conclusions une demande de remboursement d’un indu fixé à deux montants, selon que le tribunal retiendrait ou non la légalité de la compensation avec le pécule de vacances.

Le tribunal a statué par jugement du 20 septembre 2022.

Il a rejeté la demande de l’intéressée de déclarer l’action prescrite, au motif qu’il faut retenir la prescription de 10 ans prévue à l’article 2262bis du Code civil et a accueilli la demande reconventionnelle de la Ville admettant la régularité de la compensation avec le pécule de vacances, retenant, ainsi, un montant de 5 760 € environ.

La décision de la cour

La cour note quant à la détermination de l’indu qu’il y a trois montants indument versés, et ce vu des doubles paiements.

La première question tranchée est celle de la prescription, question à laquelle elle réserve de longs développements.

À défaut de dispositions spécifiques dans la législation sur les accidents du travail, l’action en récupération de l’indu par l’employeur public est soumise au délai de prescription de droit commun, étant l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1 du Code civil. C’est un délai de 10 ans (la cour citant ici Cass., 21 mai 2001, S.00.0164.N).

Elle renvoie cependant aussitôt aux lois coordonnées le 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État, dont l’article 106, § 1er, dispose que sont définitivement acquises à ceux qui les ont reçues les sommes indument payées par l’État en matière de traitements, d’avances sur celles-ci ainsi que d’indemnités ou d’allocations accessoires ou similaires au traitement lorsque le remboursement n’a pas été réclamé dans un délai de 5 ans à partir du 1er janvier de l’année du paiement (délai porté à 30 ans en cas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes). La même disposition en son § 2 précise que la réclamation doit pour être valable être notifiée au débiteur par lettre recommandée et contenir certaines mentions. À partir du dépôt de cette lettre recommandée, la répétition de l’indu peut être poursuivie pendant 30 ans.

La cour reprend l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 mai 2011 (n° 76/2011), où celle-ci a constaté une différence de traitement entre les actions intentées par les communes et les Zones de police pluricommunales en vue du remboursement de traitements indument payés à leurs agents, différence ayant des effets disproportionnés, s’agissant de sommes d’argent versées périodiquement et dont le montant augmente au fil du temps et auquel devrait dès lors s’appliquer en cas de remboursement le délai de prescription abrégé de l’article 2277 du Code civil.

Pour la Cour constitutionnelle, le recouvrement intervenant dans un délai aussi long peut à terme porter sur des montants qui se seraient transformés en une dette à ce point importante qu’elle pourrait causer la ruine du débiteur. Elle a cependant dû constater que la discrimination ne trouve pas sa source dans une disposition légale mais dans l’absence de disposition législative applicable à ce type d’employeur (commune et Zone de police pluricommunale) prévoyant une prescription quinquennale.

D’autres décisions de la Cour constitutionnelle sont également rappelées, étant l’arrêt du 16 février 2012 (n° 23/2012 – concernant un C.P.A.S.), dont l’enseignement est identique, la Cour renvoyant au législateur, ainsi que celui du 14 décembre 2017 (n° 143/2017 – concernant une commune).

La Cour de cassation est également intervenue dans un arrêt du 23 mai 2016 (Cass., 23 mai 2016, C.14.0570.F), où elle a également, après le renvoi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 mai 2011, dû constater la nécessité de l’intervention du législateur.

La Cour du travail de Liège rappelle également un arrêt qu’elle a rendu (autrement composée) le 7 avril 2023 (C. trav. Liège (div. Liège), Ch. 2-E, 7 avril 2023, R.G. 2019/AL/43), confirmant que le juge ne peut se substituer au législateur si la lacune est telle qu’elle exige nécessairement un régime procédural totalement différent, l’instauration d’une nouvelle règle qui doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux ou qui requiert une modification d’une ou de plusieurs dispositions légales.

Elle souligne cependant que, dans son arrêt du 14 décembre 2017, la Cour constitutionnelle a ajouté qu’il appartient au juge dans l’attente de l’intervention du législateur de mettre fin aux conséquences de la discrimination. La cour du travail cite un extrait de cet arrêt selon lequel « il revient aux juridictions saisies de l’action en répétition de traitements et allocations accessoires à ces traitements versés indument par une commune de soumettre celle-ci à un délai de prescription de cinq ans ».

La cour du travail dit ne pas suivre cette position de la Cour constitutionnelle, précisant avec la doctrine (M. MARCHANDISE, « Article 2277 du Code civil et répétition de l’indu : la Cour constitutionnelle un pas trop loin ? », J.T., 2018, page 456) que celle-ci soulève des critiques.

La cour renvoie à un arrêt de la Cour d’appel de Mons du 6 septembre 2018 (Mons, 6 septembre 2018, R.G. 2017/RG/708) dont elle reproduit un très large extrait, cette dernière ayant souligné que la lacune constatée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 14 décembre 2017 est extrinsèque et n’est réparable que par une intervention du législateur. La lacune ne réside donc pas dans une disposition légale mais dans l’absence d’une telle disposition.

Dès lors, pour la Cour du travail de Liège, c’est la prescription de 10 ans prévue par l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1 du Code civil qui s’applique. Il n’y a pas de prescription.

La cour aborde ensuite un argument tiré de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, ce qui l’amène à conclure rapidement que les conditions de cet article ne sont pas réunies. Le double paiement effectué par la Ville ne peut pas être considéré comme une décision au sens de l’article 2, 8°, de la Charte mais comme un paiement en exécution d’une décision judiciaire. En outre, le fait que la nouvelle décision ne puisse pas rétroagir et ne vaudrait que pour l’avenir n’a aucun sens, le paiement en cause n’ouvrant aucun droit et la Ville n’ayant pris aucune décision de révision d’initiative avec effet rétroactif aux fins de rectifier une décision prise erronément.

Intérêt de la décision

La discussion est ancienne, comme l’a d’ailleurs rappelé la Cour du travail de Liège par le renvoi à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

Rappelons que le premier arrêt du 18 mai 2011 a été rendu suite à une question préjudicielle posée par le tribunal de première instance de Gand, aux fins de savoir si l’article 7, § 1er, de la loi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ou au profit de l’Etat et des provinces violait les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition prévoit que ‘ Sont définitivement acquises à ceux qui les ont reçues les sommes payées indument par l’Etat en matière de traitements, (…) d’avances sur ceux-ci ainsi que d’indemnités ou d’allocations qui sont accessoires ou similaires aux traitements (…) lorsque le remboursement n’en a pas été réclamé dans un délai de cinq ans à partir du 1er janvier de l’année du paiement ’, alors que la prescription prévue ne s’applique pas aux montants de même nature qui sont payés par une zone de police pluricommunale, lesquels ne sont définitivement acquis à ceux qui les ont reçus que par l’expiration du délai de prescription de droit commun en matière d’actions personnelles (article 2262bis, § 1er, du Code civ.).

La Cour n’a pu que constater – comme elle le fit d’ailleurs dans ses arrêts ultérieurs et comme l’a également jugé la Cour de cassation – que la question nécessite l’intervention du législateur. La position de la Cour constitutionnelle est ferme à cet égard, au point que – la solution tardant – elle est allée dans son arrêt du 14 décembre 2017 jusqu’à inviter les juges à faire preuve de proactivité. Ainsi que ceci a été relevé dans la doctrine citée par l’arrêt commenté, il n’appartient cependant pas au pouvoir judiciaire de remédier à une lacune extrinsèque de la loi, dès lors que celle-ci suppose un régime procédural totalement différent, l’instauration d’une nouvelle règle qui doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux ou qui requiert une modification d’une ou de plusieurs dispositions légales.


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