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Résolution judiciaire du contrat de travail à l’initiative du travailleur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mars 2024, R.G. 2020/AB/582

Mis en ligne le lundi 10 juin 2024


Cour du travail de Bruxelles, 5 mars 2024, R.G. 2020/AB/582

Terra Laboris

La Cour du travail de Bruxelles rappelle, dans un arrêt du 5 mars 2024, les modalités et conditions de la résolution judiciaire d’un contrat de travail par le travailleur.

Les faits

Une pharmacienne a été engagée en 2000 dans le cadre d’un contrat de travail en qualité de pharmacienne adjointe suivant un régime de travail à temps partiel.

L’employeur est une société, dont l’administratrice est domiciliée dans le bâtiment où est située l’officine.

En juillet 2017, l’employée a informé l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) des conditions d’hygiène dans le local où elle effectuait les préparations magistrales.

Une enquête est intervenue, dont le rapport a confirmé l’existence de diverses déficiences. Une nouvelle inspection a été annoncée et un avertissement a été donné à la société.

La pharmacienne est tombée en incapacité de travail dans les jours suivant cette enquête et elle l’a été, de manière continue, jusqu’au 31 mai 2018.

Elle demanda en septembre 2017 le paiement de son salaire garanti, ainsi que le renvoi de l’attestation de vacances à destination de sa mutuelle.

Vu l’absence de réponse, elle chargea son assureur « protection juridique » de faire un rappel à la société.

Le salaire garanti fut en fin de compte payé mais l’attestation de vacances ne put être obtenue que grâce à l’intervention de la mutuelle auprès du secrétariat social.

L’intéressée saisit l’Ordre des pharmaciens, ainsi que le SPF Emploi en décembre 2017, à propos des conditions d’hygiène et formula d’autres plaintes.

En mars 2018, le problème de vacances n’étant toujours pas réglé, elle prit contact avec son employeur, demandant le paiement par lui-même des jours de vacances, ainsi que le lui avait indiqué sa mutuelle. Elle demandait également ses feuilles de paie depuis juillet 2017.

Son conseil intervint en avril 2018, constatant un manque d’égards et de respect envers sa cliente, étant un manquement à l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978. Il indiquait que la reprise du travail dans les conditions dénoncées n’était pas possible. Il demandait également les mesures que l’employeur comptait entreprendre pour remédier aux manquements existants.

Il ne fut pas répondu à ce courrier, les fiches de paie – toujours manquantes – étant envoyées en avril 2018 par l’intervention des services du Contrôle des lois sociales.

Vu l’absence de réponse, l’intéressée, toujours par le biais de son conseil, dénonça la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur en date du 21 mai, la rupture intervenant le jour même.

Elle réclamait un pécule de vacances pour l’année 2016, des dommages et intérêts équivalents à l’indemnité compensatoire de préavis ainsi que pour licenciement manifestement raisonnable et pour préjudice moral.

Le courrier de l’employeur adressé en réponse, par la voie de son conseil, contesta les dénonciations intervenues, au motif que la pharmacie fonctionnait toujours normalement et n’avait fait l’objet d’aucune sanction ni de mesures administratives ou professionnelles. Il considérait que l’intéressée avait mis au point « patiemment et savamment » un scénario pour réclamer une indemnité de rupture après 17 ans d’une « collaboration fructueuse » et bénéficier d’allocations de chômage.

Le pécule de vacances fut payé.

La procédure

L’employée introduisit une procédure judiciaire devant le tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre, dans laquelle elle demandait au tribunal de prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur et de condamner la société au paiement des sommes déjà réclamées dans le courrier dénonçant la rupture.

Dans le cadre de la procédure, l’employeur introduisit une demande reconventionnelle, tendant à obtenir une indemnité compensatoire de préavis de trois mois de rémunération.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 13 juin 2020, la demanderesse fut déboutée de sa demande et condamnée au paiement de l’indemnité de rupture ainsi qu’aux dépens.

Elle interjette appel, demandant à la cour de confirmer la résolution anticipée de son contrat de travail et de condamner l’employeur à verser des dommages et intérêts couvrant son préjudice matériel ainsi que son préjudice moral.

La décision de la cour

Dans son rappel des principes applicables, la cour reprend les articles 1184 de l’ancien Code civil ainsi que 32 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Cette dernière disposition prévoit que le contrat de travail peut être dissous selon les modes généraux d’extinction des obligations, la résolution judiciaire étant par ailleurs expressément visée à l’article 1184 de l’ancien Code civil.

Le manquement reproché au cocontractant doit être suffisamment important pour entraîner la résolution du contrat et donc revêtir un caractère sérieux ou une certaine gravité, ne pouvant consister en un manquement anodin ou un manquement à une obligation secondaire.

La cour précise également que l’envoi d’une mise en demeure préalable est souhaitable mais n’est pas en tant que telle une condition de l’action en résolution judiciaire, renvoyant ici notamment à un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 1980 (Cass., 24 avril 1980, 74/347) et à la doctrine de S. DELOOZ et X. VLIEGHE, « La résolution judiciaire », in Le droit du travail dans tous ses secteurs, coll. CUP, Liège, Anthémis, 2008, page 223).

En cas de résolution judiciaire, des dommages et intérêts peuvent être accordés, la cour soulignant cependant que celle-ci n’est pas subordonnée à l’existence d’un dommage. Ces dommages et intérêts peuvent correspondre à l’indemnité compensatoire du préavis (la cour rappelant ici la doctrine de P. CRAHAY, « Modification des conditions de travail et résolution du contrat », J.T.T., 1985, page 47). Ils peuvent cependant être évalués autrement et être inférieurs ou supérieurs à cette indemnité.

Quant à la rupture elle-même, la cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2019 (Cass., 23 mai 2019, C.16.0254.F), qui enseigne que l’article 1184, al. 3, de l’ancien Code civil ne fait pas obstacle à ce qu’en cas d’inexécution suffisamment grave pour justifier la résolution judiciaire, le créancier décide à ses risques et périls de résoudre le contrat par une notification au débiteur. Cet acte unilatéral de résolution produit effet tant qu’il n’a pas été déclaré inefficace par un juge.

La cour constate en l’espèce l’existence de manquements qui, dans leur ensemble, ont atteint un degré de gravité suffisant pour justifier la résolution du contrat de travail par une notification unilatérale.

Elle énumère les manquements en cause (paiement de la rémunération et du pécule de vacances avec retard, et ce pendant plusieurs années - manquements qui ne peuvent être considérés, même si ce retard n’est que de quelques jours, de faible importance – le délai étant beaucoup plus important pour la rémunération garantie -, absence de suite réservée à la demande d’attestation de vacances nécessaire pour la mutuelle, déficiences critiques ou majeures constatées lors de la première inspection de l’AFMPS, ambiance de travail devenue délétère).

Pour la cour, le caractère intentionnel ou non des manquements est sans incidence.

Elle retient encore l’absence de réponse aux demandes de l’employée, qui ne lui permettait pas d’envisager une reprise de travail dans des conditions normales.

Le dommage subi suite à la résolution judiciaire est la perte de l’emploi et, à défaut d’autres éléments d’appréciation, la cour fixe ces dommages et intérêts à l’indemnité compensatoire de préavis. L’aspect moral est inclus, n’étant pas un préjudice distinct dans tous ses éléments de celui qui est réparé par les dommages et intérêts équivalents à l’indemnité compensatoire de préavis, qui est censée réparer forfaitairement l’ensemble du préjudice découlant de la perte de l’emploi.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation enseigne qu’une partie à un contrat synallagmatique peut décider de sa propre autorité et à ses propres risques de ne plus exécuter ses obligations et de notifier à son co-contractant qu’elle considère le contrat résolu.

Si, en effet, la résolution d’un contrat synallagmatique pour cause de manquement doit être demandée en justice, ceci n’empêche pas qu’une partie à un tel contrat peut décider, de sa propre autorité et à ses propres risques, de faire le constat de la rupture (avec renvoi à Cass., 2 mai 2002, C.99.0277.N et Cass., 2 mai 2002, C.01.0185.N).

L’appréciation de la régularité de cette décision sera soumise au contrôle du juge par l’introduction ultérieure d’une demande tendant à la résolution judiciaire et la condamnation du co-contractant à des dommages-intérêts.

Le juge peut alors décider qu’eu égard au manquement constaté, l’auteur de la rupture n’a pas commis de faute en considérant unilatéralement le contrat comme résolu.

Le contrôle judiciaire intervient donc postérieurement, l’auteur de la rupture ayant notifié celle-ci à ses propres risques, puisque la résolution du contrat peut ne pas être retenue par le juge. Dans cette hypothèse, il a engagé sa responsabilité contractuelle, non seulement vu que sa prétention est mal fondée mais également vu l’inexécution injustifiée de ses propres obligations durant la période précédant la décision judiciaire, ... et s’expose dès lors à des dommages et intérêts.


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