Terralaboris asbl

Chômeur ressortissant d’un autre Etat membre et condition d’admissibilité aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Liège, 24 avril 2007, R.G. 7.353/2003

Mis en ligne le jeudi 31 juillet 2008


Cour du travail de Liège, 24 avril 2007, R.G. 7.353/2003

Asbl Terra Laboris - Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 24 avril 2007, la Cour du travail de Liège met un terme à une longue procédure, admettant une travailleuse française au bénéfice des allocations de chômage, sur la seule base des prestations effectuées en France.

Rétroactes

Mme C., de nationalité française, épouse un ressortissant belge en octobre 1994. Le couple s’installe en Belgique, où Mme C. demande le bénéfice des allocations de chômage à partir du 11 octobre 1994.

Deux formulaires C1 sont rentrés auprès de son organisme de paiement, l’un indiquant une nationalité française et le second une nationalité belge. C’est ce dernier qui est introduit auprès du bureau de chômage. L’Onem fait droit à la demande (décision du 1er février 1995).

Ultérieurement, en octobre 1995, à l’occasion d’un changement d’adresse, un nouveau formulaire C1 est introduit au bureau de chômage, mentionnant une nationalité française.

Constatant qu’il n’y a pas eu au moins un jour de travail en Belgique, l’Onem prend une décision d’exclusion des allocations à partir du 18 décembre 1995 (décision du 15 décembre). Quoique le bureau de chômage avait évoqué, dans un courrier adressé à un député permanent qui l’avait interpellé sur la situation de Mme C., l’absence de récupération des allocations perçues, leur restitution sera réclamée par décision du 10 mai 1996.

Entre-temps, Mme C. effectue un jour de travail en Belgique, le 9 décembre 1995, et demande à nouveau les allocations. Elles lui seront accordées, à dater du 11 décembre 1995, par décision du 29 avril 1996.

Contestant la décision de récupération d’indu (et l’absence de droit aux allocations à dater de la première demande), Mme C. introduit un recours devant le Tribunal du travail de Namur. Devant cette juridiction, le débat se focalise sur les conditions d’une revision avec effet rétroactif, Mme C. contestant avoir fourni de faux renseignements quant à sa nationalité et impute l’erreur à son organisme de paiement et au Forem (qui lui aurait indiqué qu’elle possédait la nationalité belge automatiquement par le mariage).

La décision du tribunal

Le Tribunal rejette les arguments de Mme C. et, constatant que la décision administrative est conforme au droit national et européen, confirme la décision querellée.

La décision de la cour

Suite à l’appel de Mme C., la Cour du travail de Liège prononce différents arrêts, contenant réouverture des débats. Elle confirme le jugement sur la question de la rétroactivité de la décision de revision et rejette toute responsabilité de l’organisme de paiement dans les renseignements communiqués au bureau de chômage (arrêt du 2 novembre 2004).

La position de la Cour, exprimée dans ses arrêts antérieurs à celui annoté, peut être résumée comme suit :

  • L’article 37, § 2, de l’A.R. du 25 novembre 1991 autorise la prise en considération des périodes de travail à l’étranger pour autant qu’il s’agisse d’un emploi qui, en Belgique, aurait donné lieu à des retenues de sécurité sociale, y compris pour le secteur chômage ;
  • cette disposition est cependant subordonnée à une condition visée par l’article 43, § 1, de l’A.R., étant l’existence d’une convention internationale réglant la question. En l’espèce, s’agissant d’une ressortissante française (état membre de l’U.E.), la « convention » applicable est le règlement n°1408/71, qui, en son article 63, § 3, autorise l’exigence d’une journée de travail au moins en Belgique pour l’assimilation des prestations effectuées dans un autre état membre ;
  • l’article 43, § 1er de l’A.R. est cependant inconstitutionnel, les seules dérogations au principe de non discrimination entre Belge et étranger inscrites à l’article 191 de la Constitution sont celles prévues par une loi alors que la dérogation est instituée par un arrêté royal (Cass., 25 mars 2002, J.T.T., 2002, 440 – à la suite de cet arrêt, le contenu de l’article 43 sera repris dans l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 et règle donc la question à partir du 29 août 2002) ;
  • en conséquence, sur la base du droit interne applicable (c’est-à-dire non compris l’article 43), Mme C. pouvait obtenir le bénéfice des allocations de chômage sur la base de ses prestations en France sans que l’on puisse exiger l’accomplissement d’un moins une journée de travail en Belgique ;
  • l’article 63 du règlement européen, dont l’Onem demandait application à défaut de règle en droit interne, apparaît plus restrictif que le droit national, ce qui aurait pour conséquence de désavantager le travailleur ressortissant d’un état membre par rapport au travailleur d’un pays tiers. En effet, contrairement à ce dernier, le citoyen européen ne peut valider la période de travail accomplie dans son pays d’origine que s’il justifie d’au moins un jour de travail en Belgique.

En conséquence, par arrêt du 6 septembre 2005, la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés européennes, portant sur la conformité au traité (article 39, § 2) de l’article 63, § 3, du règlement européen, interprété comme imposant au ressortissant d’un état membre une obligation d’accomplissement d’un stage dans l’état de résidence.

La Cour de justice répond par arrêt du 9 novembre 2006 que les articles 39, § 2, du traité CE et 3, § 1 du règlement n°1408/71 s’opposent à une législation nationale permettant à l’institution compétente de l’état de résidence de refuser à un ressortissant d’un autre état membre le droit aux allocations de chômage au motif de l’absence d’accomplissement sur le territoire de l’état de résidence d’une période déterminée de stage lorsqu’une telle condition n’est pas exigée pour les ressortissants de cet état (c’est-à-dire les Belges qui souhaitent faire valoir les périodes de travail effectuées à l’étranger).

Suite à cette réponse, la Cour du travail, dans son arrêt du 24 avril 2007, annule la décision du 10 mai 1996 de l’Onem, validant ainsi le droit de Mme C. aux allocations dès sa première demande, quoiqu’à l’époque, aucune prestation n’avait été effectuée en Belgique.

Intérêt de la décision

Il est à noter que, pour asseoir sa décision, la Cour du travail note qu’il résulte de la réponse de la Cour de Justice que «  … le droit communautaire moins favorable à un ressortissant d’un état Etat membre que la législation nationale applicable tant aux ressortissants belges qu’aux non-européens doit être écarté au profit du droit interne, le principe de l’égalité de traitement devant être respecté ».

En tout état de cause, l’affaire tranchée par la Cour du travail par ce dernier arrêt d’avril 2007 permet de considérer que, dès lors que le travailleur belge peut faire valoir des prestations effectuées à l’étranger sans devoir justifier d’une occupation en Belgique, une telle condition ne peut être imposée aux ressortissants d’un autre état membre.


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