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Force majeure : le mécanisme de l’article 72 de l’arrêté royal du 28 mai 2003

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 6 avril 2009, R.G. 2.347/07

Mis en ligne le lundi 3 août 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 6 avril 2009, R.G. n° 2.347/07

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 6 avril 2009, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles un contrat de travail peut être dissous pour force majeure vu l’état de santé du travailleur.

Les faits

Un mécanicien voit, le 31 janvier 2006, son employeur lui annoncer la rupture du contrat de travail pour force majeure, en raison de son état de santé, qui le mettrait dans l’incapacité définitive d’effectuer le travail pour lequel il a été engagé. L’employeur se fonde sur un formulaire d’évaluation de santé du 8 août 2005. Dans ce formulaire d’évaluation de santé, le conseiller en prévention-médecin du travail d’une part a conclu à l’inaptitude définitive au poste de mécanicien et d’autre part a fixé la validité de son constat à un an. Il a émis des recommandations relatives aux contre-indications médicales (position et port de charges). Suite à la notification de cette évaluation, l’employeur a affecté le travailleur à des tâches de réassort, précisant attendre le retour d’un membre de la direction, aux fins de mieux traiter la situation en cause. Lors de ce retour, les relations du travail se poursuivent jusqu’à la survenance d’un accident du travail en octobre 2005. L’intéressé fait alors un faux mouvement et force sur ses genoux.

Une nouvelle évaluation de santé est effectuée le 23 janvier 2006, dans lequel la fonction est modifiée (magasinier réceptionniste), l’évaluation précisant que le travailleur a les aptitudes suffisantes pour le poste ou l’activité précitée. Des recommandations sont également ajoutées en ce qui concerne les positions interdites. Trois jours plus tard, le médecin traitant de l’intéressé confirme dans un certificat médical que celui-ci a des douleurs chroniques au niveau des genoux et que les positions agenouillées ou accroupies lui sont déconseillées.

Une réunion est alors organisée, où la direction lui expose que la fonction qu’il souhaitait n’était pas possible (caissier), que la seule fonction possible exige des compétences qu’il n’a pas et que, de ce fait, le contrat doit être rompu. L’employeur fait état de l’impossibilité technique et objective d’affecter le travailleur à un poste de travail compatible avec son état de santé après avoir « envisagé toutes les différentes hypothèses ».

La position du tribunal

Le tribunal rappelle les principes gouvernant la notion de force majeure, qui trouve son siège dans l’article 1148 du Code civil. Il faut qu’il y ait impossibilité absolue d’exécution. Pour la Cour de cassation, en matière de contrat de travail, il faut une incapacité permanente de travail qui empêche définitivement le travailleur de reprendre le travail convenu (Cass., 8 octobre 1984, Pas. 1985, I, p. 186). Peut seule entraîner la rupture du contrat la force majeure qui rend définitivement impossible toute exécution ultérieure de celui-ci (Cass., 10 janvier 1994, Larcier Cass., 1994, n° 319). Le tribunal cite encore la jurisprudence de fond, abondante, sur la question et rappelle que l’article 72 de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs est le siège de la matière, en l’occurrence, puisqu’il dispose que l’employeur est tenu d’occuper le travailleur qui a été déclaré définitivement inapte par une décision définitive du conseiller en prévention-médecin du travail conformément aux recommandations de ce dernier, en l’affectant à un autre poste de travail sauf si cela n’est pas techniquement ou objectivement possible ou si cela ne peut être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés.

Le tribunal rappelle la controverse relative à l’obligation de réaffectation inscrite à l’arrêté royal du 28 mai 2003 : d’une part il est admis que les termes plus contraignants utilisés par l’article 72 (l’employeur est tenu de continuer à occuper le travailleur) par rapport à ceux repris dans le texte précédent (art. 146 ter, § 3, 3° du RGPT (l’employeur s’efforcera d’affecter le travailleur ….) ont pour conséquence que la tentative de réaffectation doit précéder la dissolution ; d’autre part l’opinion contraire se rencontre également, étant qu’il ne découle pas de ce texte que la réaffectation doit se faire dans le cadre du même contrat, la mise en œuvre de celle-ci nécessitant un accord sur de nouvelles conditions de travail.

En l’espèce, le tribunal – qui ne va pas trancher définitivement la question dans le jugement commenté – arrive à une première conclusion, étant qu’en l’état la preuve n’est pas rapportée d’une impossibilité permanente et définitive pour le travailleur d’effectuer le travail convenu, vu les termes du premier formulaire d’évaluation de santé. En outre, le tribunal relève que la procédure de réaffectation prévue par les articles 57 et suivants de l’arrêté royal du 28 mai 2003 n’a pas été respectée, étant que les possibilités de nouvelle affectation et les mesures d’aménagement de poste de travail doivent faire l’objet d’une concertation préalable entre l’employeur, le conseiller en prévention-médecin du travail et, le cas échéant, d’autres conseillers en prévention, le travailleur et les délégués du personnel au CCPT ou à défaut les représentants syndicaux choisis par le travailleur. La concertation préalable n’a, dans le cas d’espèce, pas respecté cette disposition. La chose est d’importance puisque l’article 59 du même arrêté royal dispose que, si le conseiller en prévention-médecin du travail juge qu’une mutation temporaire ou définitive est nécessaire parce qu’un aménagement du poste de sécurité ou de vigilance ou de l’activité à risques défini n’est pas techniquement ou objectivement possible ou ne peut être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés, le travailleur peut faire appel à la procédure de concertation décrite dans le même arrêté. Or, ainsi que le relève le tribunal, le deuxième formulaire d’évaluation de santé estimait qu’il y avait aptitude suffisante pour le poste exercé, après le changement de fonction, ce poste étant décrit comme un poste de sécurité ou de vigilance. Seules restent donc acquises les difficultés relatives aux positions accroupies ou au travail sur les genoux, malgré une conclusion d’aptitude. Pour le tribunal ceci justifiait d’autant plus la présence et l’intervention du conseiller en prévention-médecin du travail à la réunion de concertation.

Il en résulte que l’employeur ne démontre pas l’existence de la force majeure dont il se prévaut. La preuve médicale n’étant pas rapportée du caractère permanent et définitif de l’incapacité de travail à effectuer le travail convenu ou un travail adapté qui devrait être proposé dans le cadre des obligations de réaffectation, le tribunal du travail demande un avis d’expert, qui devra se prononcer à la fois sur le travail convenu de mécanicien et sur le travail temporairement convenu de magasinier réassortisseur ou encore sur une autre fonction au sein de la société, dans le cadre de ses obligations de réaffectation.

Intérêt de la décision

Dans cette problématique fréquente, le tribunal rappelle les deux volets de la discussion, étant d’une part la reconnaissance de l’inaptitude permanente et définitive pour raisons médicales et d’autre part la procédure interne à respecter, préalablement au constat de force majeure.

Reste que le débat aurait, encore, pu être complété par les dispositions en matière de discrimination, qui font de l’état de santé un critère protégé. L’on attend avec impatience les décisions que rendra la jurisprudence, à cet égard.


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