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Etendue de l’obligation d’information de l’ONP dans le cadre d’une demande d’estimation d’une pension de retraite

Commentaire de C. trav. Liège, 23 mars 2010, R.G. 357.515

Mis en ligne le lundi 7 février 2011


Cour du travail de Liège, 23 mars 2010, R.G. n° 357.515

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 mars 2010, la Cour du travail de Liège examine l’étendue des obligations de l’ONP dans le cadre de l’estimation d’une pension future, précisant les limites de l’information qui peut être exigée.

Les faits

À l’âge de 60 ans, un docteur en médecine demande à l’ONP une estimation de ses droits à la pension de retraite en qualité de salarié. L’ONP donne un montant de pension au taux isolé et un autre au taux ménage.

Cinq ans plus tard, à l’âge de 65 ans, l’intéressé demande sa pension de retraite et perçoit celle-ci au taux isolé. Le montant est inférieur à celui qui avait été annoncé auparavant. Il conteste, au motif que l’octroi est inférieur et, au cas où la décision serait correcte, il demande des dommages et intérêts, faisant valoir qu’il a orienté sa carrière professionnelle sur la base des données erronées communiquées par l’ONP.

La position du tribunal

Par jugement du 4 novembre 2008, le tribunal du travail d’une part confirme la décision administrative et d’autre part ne fait pas droit à la demande d’indemnisation sollicitée à titre subsidiaire, au motif que ni le dommage ni le lien de causalité ne sont établis.

La position des parties en appel

L’appelant fait valoir que l’ONP a commis une faute. Dans l’appréciation de la décision de mettre un terme à sa carrière, il fait valoir qu’il a accepté l’arrivée d’un nouveau médecin de la même spécialité que lui, ce qui a entraîné une chute de ses revenus ; s’il avait pu apprécier la situation en connaissance de cause, il aurait pu s’opposer à l’arrivée de celui-ci, poursuivre ses activités et avoir des revenus plus élevés ; il souligne également qu’il a subi un préjudice d’ordre moral, étant la déception lors de la prise de cours de la pension et que, enfin, il a dû ré-entreprendre une activité en SCRL après l’âge de la pension, aux fins d’augmenter ses revenus professionnels.

Quant à l’ONP, il considère que l’information qui a été donnée n’est pas une décision. Ce n’est pas davantage un droit mais uniquement une estimation provisoire qui est faite par ses services. Cette estimation ne pouvait entraîner l’assurance pour l’intéressé de bénéficier du montant annoncé. En ce qui concerne les circonstances de fait, il fait également valoir que l’intéressé n’était nullement obligé de prendre sa pension et qu’il n’est pas établi que l’arrivée d’un autre médecin aurait entrainé une diminution de revenus. Enfin, il demande confirmation du jugement en ce qui concerne l’absence de preuve du dommage et du lien de causalité.

La position de la Cour

La Cour constate que la décision d’octroi n’est pas critiquée en elle-même, celle-ci reprenant toutes les années d’activité de salarié de l’intéressé ainsi que les rémunérations y attachées. Le montant de la pension est correct, étant calculé conformément à la loi. La Cour précise qu’il convient dès lors de confirmer la décision, l’Office ne pouvant accorder un montant de pension autre.

Quant au montant de la pension calculé en 2001 (soit à la demande de l’intéressé), la Cour rappelle qu’il s’agit d’une estimation et non d’une décision et que celle-ci est adressée à titre informatif et est provisoire. L’arrêté royal du 12 juin 2006 (qui a abrogé et remplacé celui du 25 avril 1997) prévoit pour les futurs pensionnés le droit de demander une estimation de leur pension et, par ailleurs, la Charte de l’assuré social fait, en son article 3, obligation aux institutions de sécurité sociale de fournir à l’assuré social toute information utile concernant ses droits, information qui doit être précise et complète afin de lui permettre d’exercer tous ses droits et obligations.

Pour la Cour, l’information donnée – en l’occurrence par l’ONP – ne doit pas nécessairement être exacte quant au montant de la pension qui sera effectivement reconnue, car celle-ci est faite vu des éléments détenus par l’Office et ceux fournis par le futur pensionné à un moment donné (étant à la date de la demande). Cette information ne peut tenir compte de modifications législatives qui interviendraient ultérieurement et évidemment ne prend pas en considération les règles de cumul pouvant intervenir en cas d’octroi de pensions dans un autre régime ou de pensions étrangères. La limite de l’information est qu’elle doit être fiable et utile pour le futur pensionné, sous peine de vider de son sens ce devoir d’information de l’institution de sécurité sociale. Il n’y aurait pas d’intérêt pour le futur pensionné à avoir un droit à être informé sur le montant de sa future pension si l’ONP pouvait donner une information non crédible ou non fiable.

En l’espèce, l’erreur est jugée « relativement grossière », et ce au motif que les revenus de deux années régularisées étaient manifestement surévaluées. Pour la Cour il s’agit d’une erreur évidente que rien ne peut expliquer, pour un organisme spécialisé et il s’agit d’une faute. Le fait que l’intéressé aurait pu se rendre compte de l’erreur (ce qui toutefois n’est pas certain) n’entame pas ce caractère fautif. La Cour retient donc la faute dans le chef de l’institution de sécurité sociale.

Pour pouvoir faire droit à la demande de l’intéressé, relative à l’octroi de dommages et intérêts, elle doit examiner si existe un dommage. Elle étudie l’incidence de l’arrivée d’un autre médecin sur les revenus de l’intéressé mais retient l’absence de choix, en réalité, qu’avait le demandeur quant à l’élargissement de la consultation de sa spécialité au sein de l’institution. La Cour se déclare dès lors bien en peine de lier l’existence d’un éventuel dommage à l’information erronée de l’ONP. Par ailleurs, vu les prestations limitées au sein de la polyclinique ainsi que les fluctuations des rémunérations pour plusieurs années, elle retient que le lien de causalité entre le dommage invoqué et l’information erronée n’est pas avéré. Enfin, elle rejette l’existence d’un dommage moral réparable, vu la modicité relative de la diminution du chiffre de la pension.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle les limites de l’information que doit donner l’ONP, dans le cadre d’une demande d’estimation des droits à une pension de retraite, étant que certaines données ne peuvent être anticipées, non plus que d’éventuelles modifications législatives. Si l’intéressé doit pouvoir s’attendre à une information crédible et fiable, à partir des informations communiquées à l’ONP et connues de celui-ci au moment de l’introduction de la demande, le montant définitif de la pension peut encore être différent, notamment du fait de l’absence de prise en compte du cumul de plusieurs pensions.

Par ailleurs, si une faute est commise par l’ONP dans cette estimation, elle peut entrainer un dommage réparable, dommage sur lequel les juridictions du travail peuvent se prononcer.


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