Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 juin 2016, R.G. 2015/AB/799
Mis en ligne le mardi 13 décembre 2016
Cour du travail de Bruxelles, 15 juin 2016, R.G. 2015/AB/799
Terra Laboris
Dans un arrêt du 15 juin 2016, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière d’interruption de la prescription de l’action relative à l’indemnisation d’un accident du travail : la procédure introduite en droit commun est une cause spécifique d’interruption et la durée de celle-ci vaut pour toute la procédure, jusqu’à la décision judiciaire.
Les faits
Suite à un accident sur le chemin du travail survenu en novembre 1976, la victime reçoit en juin 1982 un projet d’accord-indemnité fixant, outre l’incapacité temporaire, une incapacité permanente de 8% à partir d’une date de consolidation déterminée. L’intéressé ne marque pas accord et il ne signe pas le projet qui lui a été adressé.
L’accident étant par ailleurs un accident de la circulation, une procédure est menée devant le tribunal de police. L’assureur-loi ainsi que l’intéressé se constituent partie civile. Une condamnation provisionnelle est prononcée et un expert est désigné. Il clôture ses travaux en mai 1981. Suite à une contestation du rapport, un collège d’experts est désigné deux ans plus tard, qui dépose ses préliminaires en 1984. Le dossier reste en l’état, des conclusions définitives n’étant jamais prises, et ce jusqu’en juillet 2011, où l’intéressé a contacté l’assureur-loi demandant à être indemnisé dans le cadre de l’accident du travail. Il a été convoqué et en février 2013, un projet d’accord-indemnité lui est soumis, avec les mêmes conclusions que le premier. Il y a de nouveau refus et le tribunal du travail est saisi.
Dans un jugement du 16 février 2015, il admet qu’il n’y a pas prescription. Sur le fond, il entérine la proposition de l’assureur. Appel est interjeté par la victime. L’entreprise d’assurances forme pour sa part un appel incident concernant la prescription.
Décision de la cour
La cour reprend longuement la position du premier juge sur la question de la prescription de l’action, tenant compte de la constitution de partie civile devant le tribunal de police, procédure dans laquelle l’intéressé a réclamé la réparation de son dommage.
Se pose également la question de savoir si l’introduction de cette action lui a fait définitivement perdre le droit de réclamer une indemnisation en loi, étant qu’il a exercé son droit d’option, privilégiant la réparation en droit commun. Cette possibilité existait, en effet, à l’époque, le texte de la loi du 10 avril 1971 n’ayant été modifié sur la question que par une loi du 7 juillet 1978.
Pour la cour, qui rappelle les travaux préparatoires de cette dernière, les deux actions sont totalement indépendantes et l’assureur avait l’obligation de liquider les indemnités, chose qu’il n’a pas faite. La seule restriction imposée par la loi du 10 avril 1971 (art. 46 dans sa rédaction de l’époque) était qu’il ne pouvait y avoir cumul entre la réparation en droit commun et les indemnités légales. Or, dans la mesure où le tribunal de police n’a jamais statué à titre définitif sur le dommage, il n’y a jamais eu d’indemnisation.
Sur la prescription, il y a eu une proposition d’indemnisation faite par un courrier de février 2013. La cour rappelle le texte des articles 69 et 70 de la loi sur les accidents du travail, relatifs à la prescription. Son délai est de trois ans et elle peut être interrompue ou suspendue de manière ordinaire, de même que par une lettre recommandée à la poste ou une action en paiement du chef de l’accident, fondée sur une autre cause.
Ainsi, rappelant la doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, « L’accident (sur le chemin) du travail : déclaration – procédure – prescription », Kluwer 206, p. 195), la cour souligne que toute action en paiement d’indemnités fondée sur le droit commun interrompt la prescription de trois ans, et ce même si elle est intentée contre un tiers.
La demande en paiement des indemnités en droit commun est un type d’action qui constitue un acte interruptif. Cette règle, ancienne, se fonde sur le souhait d’éviter que la victime, qui aurait d’abord intenté une action en droit commun, ne voie, en suite des délais requis par cette instance, éteint par prescription un recours trouvant appui dans la loi sur les accidents du travail. Le même acte profite également à l’organisme assureur.
En ce qui concerne les effets de l’interruption de la prescription, ceux-ci sont de droit commun, à savoir que l’interruption par citation perdure sauf disposition légale contraire pendant toute la procédure, c’est-à-dire jusqu’au prononcé de la décision mettant fin au litige.
La cour en vient, dès lors, au rappel des faits, étant qu’il découle de l’enchaînement chronologique que la prescription a valablement été interrompue par la constitution de partie civile devant le tribunal de police et qu’elle a perduré.
Elle se penche, ensuite, sur les séquelles indemnisables et rencontre l’argumentation de l’intéressé, qui conteste la non prise en compte d’une lésion (tassement d’une vertèbre). Constatant l’existence d’un différend d’ordre médical entre les parties, elle désigne, en conséquence, un expert aux fins de les départager.
Intérêt de la décision
Outre qu’il rappelle une situation à laquelle il a été mis fin par la loi du 3 juillet 1978 en ce qui concerne le droit d’option de la victime, cet arrêt est intéressant pour les développements qu’il fait sur la prescription. Dans la mesure où une action a été introduite en indemnisation, et ce même contre un tiers, la prescription de trois ans fixée à l’article 69 de la loi est valablement interrompue. Elle le sera, selon les règles habituelles, pour toute la durée de la procédure.
En l’espèce, celle-ci aura été introduite devant les juridictions du travail plus de trente ans après l’accident lui-même …