Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2017, R.G. 2012/AB/1.050
Mis en ligne le lundi 14 mai 2018
Cour du travail de Bruxelles, 26 octobre 2017, R.G. 2012/AB/1.050
Terra Laboris
Par arrêt du 26 octobre 2017, la Cour du travail de Bruxelles rejette la nature contractuelle de la relation de travail liant les agents de cabinet ministériel à l’autorité publique.
Les faits
Un agent est nommé par arrêté ministériel en 1996 pour prester au sein d’un cabinet. L’occupation est prolongée à diverses reprises et de nouvelles désignations interviennent.
Suite à la cessation de la relation de travail, l’intéressée réclame une indemnité compensatoire de préavis et introduit une procédure contre son ex-employeur, qui est la Région de Bruxelles-Capitale. Elle demande que soit reconnue l’existence d’un contrat de travail et que l’arrêté de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 juin 1999 déterminant la composition et le fonctionnement des cabinets des membres du Gouvernement régional de Bruxelles-Capitale et des secrétaires d’Etat régionaux soit écarté pour illégalité.
Elle obtient gain de cause devant le tribunal, qui, par jugement du 24 avril 2012, admet l’existence d’un contrat de travail et constate la résiliation unilatérale par l’autorité, ce qui entraîne la débition d’une indemnité compensatoire de préavis.
Appel est interjeté par la Région.
La décision de la cour
La cour entreprend l’examen du cadre légal, commençant par les dispositions de l’arrêté du 19 juillet 1999, dont l’article 8 prévoit que les membres des cabinets sont nommés par le Gouvernement ou le Secrétaire d’Etat concerné. En vertu de l’article 10, § 1er, les membres qui ne font pas partie du personnel des ministères ou des services des institutions bruxelloises perçoivent une allocation de cabinet tenant lieu de traitement. Des échelles sont fixées. Les autres avantages (allocations familiales, allocation de naissance, allocation de foyer ou de résidence, pécule de vacances, allocation de fin d’année et toute autre allocation) sont prévus par l’article 11 et une allocation forfaitaire de départ est allouée, conformément à l’article 16, tenant compte de la période d’activité ininterrompue de prestations. Elle est payée mensuellement.
Pour l’intimée, l’arrêté royal est illégal, au motif de la non-consultation de la section de législation du Conseil d’Etat, non-consultation qui n’a pas été motivée de manière adéquate. Elle déduit de ceci l’existence du contrat de travail, qui fonde sa réclamation. A titre subsidiaire, elle voit une discrimination injustifiée entre travailleurs selon qu’ils ont ou non un contrat de travail.
La cour confirme qu’en principe, la non-observation de la formalité substantielle que constitue la demande d’avis au Conseil d’Etat – sans que soit justifiée l’urgence invoquée – entraîne l’illégalité de l’arrêté. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 9 septembre 2002, n° S.000125.F). La cour reprend les obligations relatives à la motivation ainsi que la portée du contrôle judiciaire, qui concerne à la fois les événements qui ont précédé ainsi que ceux qui ont suivi la déclaration d’urgence.
En l’espèce, la motivation donnée – étant la nécessité d’assurer sans délai le fonctionnement du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale – apparaît comme pertinente. La mise en place d’un cabinet est par nature urgente et la nécessité d’assurer sans délai le fonctionnement du Gouvernement est une réalité avérée. Il n’y a dès lors pas lieu d’écarter l’arrêté du Gouvernement.
Sur la qualification de la relation de travail elle-même, le principe veut que ce soit le régime statutaire. En l’espèce, il y a eu une désignation et paiement d’un traitement conformément aux échelles barémiques. La cour relève encore l’absence d’une véritable négociation préalable à l’arrêté ministériel de nomination, ainsi que l’absence d’échange de consentement. Le caractère statutaire ne peut être tenu en échec, par ailleurs, par le caractère temporaire des fonctions ni, éventuellement, le caractère incomplet du statut lui-même. La cour opte dès lors pour l’existence d’une relation statutaire, réformant ainsi le jugement du tribunal.
Sur l’existence d’une discrimination, vantée par la demanderesse, la cour rappelle que le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas, dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes. Pour être admise, celle-ci doit reposer sur un critère objectif et être raisonnablement justifiée (la justification devant s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure ainsi que de la nature des principes en cause). Il y a violation du principe d’égalité et de non-discrimination lorsqu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
La cour poursuit assez longuement son analyse de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, s’appuyant notamment sur un arrêt du 6 juillet 2017 (C. const., 6 juillet 2017, n° 86/2017), dont elle reprend deux extraits. Dans celui-ci, la Cour a procédé au test de comparaison entre les travailleurs employés par une autorité publique et les agents statutaires et a estimé qu’il n’y a pas de situation comparable, les agents statutaires se trouvant dans une situation juridique fondamentalement différente. Ceci n’empêche pas qu’ils peuvent être, cependant, dans une situation comparable par rapport à une question de droit posée par leur action devant un juge. Ils peuvent dès lors être comparés eu égard à la manière dont la collaboration peut prendre fin.
La stabilité d’emploi des membres de cabinet peut être considérée comme inférieure à celle des travailleurs engagés dans le cadre d’un contrat de travail conforme à la loi du 3 juillet 1978, mais, pour la cour, elle est supérieure à celle des travailleurs engagés dans un contrat à durée déterminée ou pour un travail nettement défini. En outre, des spécificités peuvent être relevées pour ce type de fonction, le membre du cabinet sachant que son engagement est lié à la législature en cause et qu’il est également tributaire d’aléas politiques. Le régime en lui-même n’apparaît dès lors pas déraisonnable. La différence de traitement n’est par ailleurs pas disproportionnée, une indemnité étant prévue en fin de prestation et non un préavis à prester.
Enfin, elle relève que, si un constat de discrimination était à poser, ceci n’entraînerait pas de droit à une indemnité compensatoire de préavis…
Intérêt de la décision
Cet arrêt très documenté de la Cour du travail de Bruxelles reprend le régime spécifique prévu pour les membres et agents de cabinet ministériel : la relation de travail est de nature statutaire.
En l’espèce, la position de la partie demanderesse originaire – qui soutient le contraire – n’est pas très explicite, celle-ci se fondant essentiellement sur l’illégalité de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 juillet 1999, critiqué uniquement vu une motivation insuffisante de l’absence de consultation de la section législation du Conseil d’Etat, ce qui a été rejeté par la Cour. En l’occurrence, les conditions d’occupation étaient conformes aux diverses dispositions de cet arrêté et aucune contestation n’a d’ailleurs surgi pendant la durée de l’occupation (8 ans).
Cet arrêt rappelle également que la Cour constitutionnelle a été récemment saisie d’un examen de comparabilité de la situation des travailleurs employés par une autorité publique et des agents statutaires. Elle a considéré que la circonstance qu’ils se trouveraient dans des situations juridiques différentes (contrat de travail et statut) ne suffit pas à permettre de considérer que ces catégories de personnes ne pourraient être comparées : il s’agit dans les deux cas de déterminer les conditions dans lesquelles ces personnes peuvent être valablement privées de leur emploi (C. const., 6 juillet 2017, n° 86/2017, cité, B.3). Cet arrêt était très attendu, étant relatif à l’audition préalable au licenciement des travailleurs employés par une autorité publique. La comparaison était faite avec le droit des agents statutaires, pour qui existe le principe « audi alteram partem ».
Dans cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 26 octobre 2017, la référence est faite à l’examen auquel la Cour constitutionnelle a procédé dans cet autre aspect de la fin des relations de travail. Les principes y dégagés par la Cour constitutionnelle sont en effet transposables.