Terralaboris asbl

Changement de sexe et discrimination en matière de pension de retraite

Commentaire de C.J.U.E., 26 juin 2018, Aff. n° C-451/16 (MB c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS)

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 26 juin 2018, Aff. n° C-451/16 (MB c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 juin 2018, statuant dans une espèce anglaise antérieure à l’adoption du Marriage (Same Sex Couples) Act 2013, la Cour de Justice retient que la Directive 79/7/CEE s’oppose à une réglementation nationale qui impose et ce dans le cadre de l’examen de ses droits à une pension de retraite à une personne ayant changé de sexe de satisfaire, outre à des critères d’ordre physique, social et psychologique, à la condition de ne pas être mariée à une personne du sexe qu’elle a acquis.

Les faits

Un citoyen anglais, marié depuis l’année 1974, recourt à une opération chirurgicale de conversion sexuelle en 1995. Pour l’état civil, il ne dispose cependant pas d’un certificat de reconnaissance définitif de son changement de sexe, l’octroi de celui-ci exigeant, en vertu de la législation nationale, l’annulation de son mariage. Le couple souhaite en effet rester uni, et ce pour des motifs religieux.

A l’âge de 60 ans, qui est l’âge où les femmes nées avant le 6 avril 1950 (ce qui est le cas de l’intéressée) peuvent obtenir une pension de retraite de l’Etat, elle introduit une telle demande, les cotisations ayant été dûment versées pendant son activité professionnelle exercée.

L’institution de sécurité sociale anglaise refuse, vu l’absence de certificat de reconnaissance définitif du changement de sexe.

Un recours est introduit devant le First-tier Tribunal (Tribunal de première instance), qui le rejette.Les recours subséquents introduits auprès de l’Upper Tribunal (tribunal supérieur) et de la Court of Appeal (Cour d’appel) le sont également. Un recours est alors introduit devant la Supreme Court of The United Kingdom (Cour suprême) au motif d’une discrimination fondée sur le sexe, discrimination prohibée par l’article 4, § 1er, de la Directive n° 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.

La question préjudicielle

La Cour de Justice précise que, devant la juridiction de renvoi, l’Etat a fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour (C.J.U.E., 26 avril 2006, Aff. n° C-423/04, RICHARDS, et C.J.U.E., 7 janvier 2004, K.B., Aff. n° C-117/01), il appartient aux Etats membres de déterminer les conditions relatives à la reconnaissance juridique du changement de sexe. Ces conditions ne peuvent être limitées, pour lui, à des critères sociaux, physiques et psychologiques, mais doivent également inclure des critères relatifs à l’état matrimonial. Renvoi est également fait par celui-ci à l’arrêt HÄMÄLÄINEN (Cr.E.D.H., 16 juillet 2014, Req. n° 37.359/09, HÄMÄLÄINEN c/ FINLANDE), selon lequel les Etats membres peuvent subordonner la reconnaissance du changement de sexe d’une personne à une condition relative à l’annulation du mariage de celle-ci.

La Convention impose certes aux parties de reconnaître le sexe acquis d’une personne ayant changé de sexe, mais elle n’exige pas que les Etats autorisent le mariage entre personnes du même sexe. L’objectif consistant à préserver la conception traditionnelle du mariage entre personnes d’un sexe différent pourrait justifier de subordonner la reconnaissance du changement de sexe à cette condition.

Le juge de renvoi interroge dès lors la Cour de Justice, posant la question de savoir si la Directive n° 79/7 fait obstacle à ce que, pour pouvoir prétendre au bénéfice de la pension de retraite nationale, outre de devoir satisfaire à des critères physiques, sociaux et psychologiques, la loi nationale exige d’une personne qui a changé de sexe de ne pas être mariée.

La décision de la Cour

Pour la Cour, si le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres dans le domaine de l’Etat civil des personnes et de la reconnaissance juridique du changement de sexe, ils doivent toutefois, dans l’exercice de cette compétence, respecter les principes qu’il contient, et notamment le principe de non-discrimination, la Cour rappelant notamment l’arrêt RICHARDS ci-dessus, ainsi que les arrêts MARUKO (C.J.U.E., 1er avril 2008, Aff. n° C-267/06) et COMAN (C.J.U.E., 5 juin 2018, Aff. n° C-673/16, COMAN). Le principe de non-discrimination sur la base du sexe est consacré à l’article 157, T.F.U.E., en ce qui concerne la rémunération des travailleurs et une réglementation nationale concernant le bénéfice d’une prestation de pension doit respecter celui-ci.

Pour la Cour, le principe en cause étant mis en œuvre par l’article 4, § 1er, de la Directive n° 79/7, il doit être respecté par les Etats dans l’exercice de leur compétence en matière d’état civil. Elle rappelle notamment qu’est visée à la disposition la question des conditions d’accès aux régimes légaux assurant une protection contre les risques de vieillesse.

Elle constate, en rappelant la définition de la discrimination directe, que celle-ci est la même dans le cadre de la Directive n° 2006/54 du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement en hommes et femmes en matière d’emploi et de travail et dans la Directive n° 79/7 identifiée ci-dessus.

La Directive n° 79/7 protège notamment les discriminations trouvant leur origine dans le changement de sexe (la Cour faisant un nouveau rappel à l’arrêt RICHARDS). La Cour constate que, pour bénéficier de la pension de retraite à l’âge en cause, cette condition d’annulation du mariage ne s’applique pas à une personne qui aurait conservé son sexe de naissance. Il y a dès lors un traitement moins favorable réservé à la personne qui a changé de sexe après s’être mariée. Celui-ci est fondé sur le sexe et est susceptible de constituer une discrimination directe.

La Cour procède ensuite au test de comparabilité entre les personnes ayant changé de sexe après s’être mariées et celles qui ont conservé leur sexe de naissance et qui le sont.

Elle rappelle que le test de comparabilité ne requiert pas que les situations soient identiques, mais similaires, et qu’il y a lieu de procéder à un examen spécifique et concret de l’ensemble des éléments en cause, notamment eu égard à l’objet et au but de la réglementation nationale qui a institué la distinction critiquée. En l’espèce, il s’agit d’une prestation accordée aux fins de protéger la personne contre le risque de vieillesse, en lui conférant une pension de retraite en fonction des contributions qu’elle a versées au cours de sa carrière professionnelle.

Il y a donc des catégories comparables, l’état matrimonial des personnes n’étant pas pertinent pour déterminer les conditions d’octroi à la pension de retraite. L’exigence de l’annulation du mariage, justifiée selon le Gouvernement britannique afin d’éviter le mariage entre personnes du même sexe, est étrangère au régime de pension de retraite.

La réglementation nationale est dès lors considérée en contradiction avec la Directive n° 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978, dont l’article 4, § 1er, 1er tiret (lu en combinaison avec les articles 3, § 1er, sous a), 3e tiret, et 7, § 1er, sous a)), doit être interprété en ce sens qu’elle s’oppose à une telle réglementation nationale, qui impose à une personne ayant changé de sexe, de satisfaire non seulement à des critères physiques, sociaux et psychologiques, mais également à la condition de ne pas être mariée à une personne du sexe qu’elle a acquis, et ce pour ce qui est du bénéfice d’une pension de retraite de l’Etat à compter de l’âge légal de départ à la retraite des personnes de ce sexe acquis (en l’occurrence 60 ans, âge correspondant aux femmes).

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par la Cour de Justice est antérieure à l’entrée en vigueur du Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 du 10 décembre 2014, qui permet à des personnes de même sexe de se marier.

Cette loi n’était pas applicable au présent litige, qui se meut dans le cadre du Gender Recognition Act 2004, en vertu duquel toute personne pouvait s’adresser au Gender Recognition Panel (Comité de reconnaissance du sexe) pour obtenir un certificat de reconnaissance définitif attestant de son changement de sexe, au motif qu’elle vivait en tant que personne de l’autre sexe.

Les conditions d’octroi de ce certificat de reconnaissance étaient non seulement physiques et sociales, mais la loi traitait spécifiquement dans une annexe des effets du certificat de reconnaissance définitif sur les droits à une pension de retraite de l’Etat. La loi imposait au demandeur marié d’obtenir l’annulation du mariage en justice aux fins de pouvoir lui délivrer un certificat de reconnaissance définitif. Or, à l’époque, le Matrimonial Causes Act 1973 disposait qu’une union matrimoniale valide ne pouvait légalement exister qu’entre un homme et une femme…

Dans ses considérants, la Cour de Justice renvoie à un récent arrêt (C.J.U.E., 5 juin 2018, Aff. n° C-673/16, COMAN) rendu en matière de libre circulation. La Cour y avait conclu que, dans les circonstances telles que décrites dans cette affaire, l’article 21, § 1er, T.F.U.E., devait être interprété en ce que sens que le ressortissant d’un Etat tiers, de même sexe que le citoyen d’un Etat de l’Union, dont le mariage avec ce dernier avait été conclu dans un Etat membre conformément aux droits de celui-ci, dispose d’un droit de séjour de plus de 3 mois sur le territoire de l’Etat membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité, même si celui-ci ne prévoit pas le mariage entre personnes du même sexe. Pour la Cour, ce droit de séjour dérivé ne saurait être soumis à des conditions plus strictes que celles prévues à l’article 7 de la Directive n° 2004/38.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be