Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/261
Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023
Cour du travail de Liège (division Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/261
Terra Laboris
Dans un arrêt du 26 décembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la distinction entre la mesure d’écartement, de caractère médical et préventif, et la reconnaissance d’une incapacité permanente de travail, qui doit reposer sur une invalidité et est de nature curative.
Les faits
Un travailleur avait introduit en février 2014 une demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle, ayant été exposé aux résines Epoxy et les tests épicutanés ayant mis en évidence une allergie à celles-ci ainsi qu’au baume du Pérou.
La maladie avait été reconnue par FEDRIS, sans incapacité permanente, l’Agence ayant accepté une incapacité temporaire de trois semaines ainsi que la prise en charge des soins médicaux.
Au fil du temps, l’affection a évolué en dents de scie, jusqu’en novembre 2018. De nouveaux tests effectués à ce moment ont mis en évidence des allergènes nouveaux, l’intéressé étant sensibilisé aux dérivés de caoutchouc et devant utiliser des gants spécifiques. Fut également constatée une sensibilisation à un composant de détergent. Il disposa alors d’un rapport de son dermatologue, constatant un eczéma important, ainsi que de la dyshidrose.
Une demande fut introduite auprès de FEDRIS, étant une révision de la reconnaissance antérieure.
FEDRIS décida le 6 août 2019 d’admettre le remboursement des soins de santé en lien avec la maladie (code 1.202), mais sans incapacité permanente, alors que celle-ci devait être évaluée à 10% selon le médecin de recours du travailleur.
Dans son rappel des faits, la cour du travail note encore que l’intéressé était carreleur au départ et qu’il avait été écarté, bénéficiant d’une indemnisation pour écartement (paiement de l’allocation équivalente aux indemnités d’incapacité de travail permanente totale pendant nonante jours), étant donné qu’il avait pu avoir des conditions de travail adaptées et n’avait pas dû se réorienter professionnellement. En 2016, il devint ouvrier de finition dans le bâtiment.
Il introduisit en juillet 2019 (ayant été licencié un mois auparavant) une demande en vue d’obtenir une indemnisation pour écartement du milieu nocif du travail (maladie codée 1.202).
Par la suite, une convention de réadaptation professionnelle pour une formation d’employé logistique fut signée en juin 2020 et il put percevoir, pendant la durée de celle-ci (près de deux mois et demi) l’indemnité ci-dessus, pour autant qu’il suive cette formation. Ayant accepté ensuite une proposition d’écartement, le demandeur perçut l’indemnité pour incapacité de travail à partir du 2 décembre 2019, et ce jusqu’au 6 août 2020 (étant 100% d’une indemnité annuelle de 34.675,22 euros). Une indemnité pour écartement définitif fut ensuite allouée jusqu’au 4 novembre 2020.
Le rapport d’expertise
L’expert désigné par le premier juge avec une mission de révision (modification de l’incapacité permanente partielle due à la maladie) conclut à un taux d’I.P.P. de 8% ainsi qu’à l’objectivation de la sensibilité à des allergènes supplémentaires et à la perte d’accès à toute une série d’emplois (métiers de la construction et métiers manuels), perte d’accès à l’emploi qui n’existait pas en 2014. Lors de l’examen clinique, l’expert considéra cependant qu’il n’y avait pas de lésion dermatologique et que les mains apparaissaient normales, l’altération psycho-affective due à l’allergie n’étant pas une incapacité physiologique.
Ce rapport fut entériné par le tribunal, qui conclut à 9% de taux global, étant 8% d’incapacité physique et 1% pour les facteurs socio-économiques.
La décision de la cour
FEDRIS est appelante devant la cour.
Celle-ci reprend la procédure d’écartement du milieu professionnel en cas de maladie professionnelle. FEDRIS peut en effet proposer un écartement temporaire ou définitif pour toute activité qui peut exposer le travailleur aux risques de celle-ci et la cesser temporairement ou définitivement. Cette proposition peut intervenir si le travailleur est atteint ou menacé par la maladie. Par « travailleur menacé », il faut entendre celui chez qui l’on constate une prédisposition à la maladie professionnelle ou l’apparition de ses premiers symptômes. Diverses indemnités sont prévues, selon que le travailleur poursuit un travail adapté (cessation temporaire) ou s’il ne peut plus prester (cessation définitive) et qu’il a accepté la proposition de FEDRIS (en cas de cessation définitive, il aura droit, pendant nonante jours à partir du jour qui suit, à une allocation forfaitaire équivalente aux indemnités d’incapacité totale).
Une réadaptation professionnelle à charge de l’Agence peut être organisée en cas de cessation définitive et, comme pour la période des nonante jours en cas de cessation définitive, le travailleur a droit, pendant la réadaptation professionnelle, aux indemnités d’incapacité permanente ainsi qu’au remboursement des frais.
La loi prévoit également que, pendant quinze jours après la cessation effective du travail et le début de la réadaptation, le travailleur peut bénéficier des indemnités d’incapacité temporaire totale.
Ces mesures, relatives à l’écartement du travailleur, ont un but préventif, le travailleur en écartement définitif devant accepter la cessation de l’activité nocive à l’avenir. La cour précise que le dommage indemnisable lié à la cessation de l’activité à risque n’est pas une incapacité effective mais virtuelle, vu le caractère préventif de la mesure, et que l’allocation (prévue à l’article 37, § 3, des lois) doit permettre au travailleur de rechercher un emploi et de couvrir certaines dépenses permettant de faciliter cette mutation professionnelle. Elle est dès lors due indépendamment du fait qu’un emploi est retrouvé ou non et ne requiert pas que le travailleur soit au chômage.
Après ce rappel de quelques principes, la cour se penche sur le rapport d’expertise, constatant que l’expert s’est positionné en droit dans la conclusion de ses travaux. Cependant, il n’objective pas d’affection cutanée en 2020. Si des soins locaux et de courtes périodes d’incapacité temporaire ont été retenus, il n’y aucune atteinte physiologique permanente justifiant la reconnaissance d’une I.P.P. Or, à l’origine de toute incapacité de travail permanente, doit se trouver une incapacité physiologique. L’indemnisation doit porter sur une maladie, celle-ci étant non l’allergie mais l’affection cutanée.
La cour renvoie à un arrêt de sa propre juridiction (autrement composée) du 7 novembre 2022 (C. trav. Liège, div. Liège, 7 novembre 2022, R.G. 2022/AL/183), qui a défini l’incapacité physiologique comme une réduction de la capacité physique. Le caractère de permanence est rencontré, selon le même arrêt, si l’on peut affirmer qu’à chaque exposition, la réaction immunitaire s’ensuivra.
Pour la cour, dans l’arrêt commenté, l’allergie n’est pas une affection cutanée mais une prédisposition à la développer. L’on ne peut déduire une incapacité effective du travail du fait de l’écartement en l’absence d’une invalidité physiologique. Ceci revient à confondre des dommages distincts : d’une part, la cessation d’une activité, qui ne repose pas nécessairement sur une incapacité et qui est une mesure d’indemnisation préventive et, d’autre part, l’incapacité effective qui peut exister, mais qui doit reposer sur une invalidité et est de type curatif.
Elle déboute dès lors l’intéressé de de sa demande, concluant à l’absence d’incapacité permanente.
Intérêt de la décision
La cour rappelle dans cet arrêt les diverses possibilités légales suite à une proposition d’écartement (ou à une demande du travailleur acceptée par FEDRIS), ces diverses hypothèses ne signifiant pas automatiquement qu’il y a incapacité permanente de travail.
Elle fait la distinction entre le code sous lequel la réparation de la maladie est demandée en l’espèce (1.202) et, au titre d’exemple, une maladie du type rhinite allergique (code 1.701), dans lequel le caractère allergique intervient au niveau de la définition.
Une allergie non visée dans la liste pourra dès lors (sauf si elle est admise comme maladie hors liste) intervenir à titre préventif et médical et donner lieu à une mesure d’écartement. Elle ne signifie pas automatiquement existence d’une incapacité permanente, celle-ci devant pour la cour reposer sur une invalidité et être une mesure d’indemnisation curative.