Terralaboris asbl

Limites de l’obligation d’information et de conseil en matière de pension

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 mars 2011, R.G. 2009/AB/52.824

Mis en ligne le jeudi 17 novembre 2011


C. trav. Bruxelles, 30 mars 2011, R.G. 2009/AB/52.824

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en matière de pensions, les obligations mises à charge de l’Institution de sécurité sociale par la Charte de l’assuré social s’inscrivent dans le cadre d’une obligation générale d’impartialité.

Les faits

Un travailleur marocain, en Belgique depuis 1964, contracte mariage au Maroc en 1966. Les époux habitent en Belgique et se séparent 20 ans plus tard, situation constatée par ordonnance du Juge de paix.

Entre-temps, un second mariage a eu lieu. Le divorce avec la première épouse est prononcé par le Tribunal de première instance de Bruxelles.

Ultérieurement, le travailleur bénéficie d’une pension de retraite et demande à l’ONP qu’apparaisse sur ses documents de pension le nom de l’épouse avec laquelle il est marié à ce moment.

Une demande de pension de conjoint séparé est introduite par l’épouse (divorcée). Celle-ci est à l’époque aidée par le CPAS.

Un recalcul de la pension de retraite est ainsi effectué, calcul au taux ménage, dont la moitié est accordée à chacun, l’ONP considérant qu’il y a séparation et non divorce. Celui-ci n’a, en effet, pas été transcrit à l’époque et ne le sera que plus tard.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal constate, par jugement du 4 décembre 2009, que ce n’est qu’à partir de la transcription du divorce (en 2009) que le jugement peut produire des effets à l’égard des tiers (article 1278 du Code judiciaire). En conséquence, pour le tribunal, l’intéressé ne peut bénéficier de sa pension complète pour la période antérieure à la transcription. Pour la période ultérieure, l’ONP doit prendre une nouvelle décision.

Moyens des parties devant la cour

L’assuré social demande à la cour de prendre comme point de départ, pour la privation dans le chef de l’épouse du droit à la moitié de la pension, le divorce lui-même. Il demande à bénéficier de l’intégralité de sa pension à dater de la date de la demande et sollicite condamnation de l’ONP à lui verser la moitié de la pension dont il a été privé ou, subsidiairement, des dommages et intérêts équivalents.

La décision de la cour du travail

La cour du travail rappelle, d’abord, les principes en matière de pension de conjoint séparé : la séparation de corps ou de fait peut entraîner le paiement d’une part de la pension de retraite du conjoint, étant que, s’il ne dispose pas lui-même d’un droit à une pension, il peut percevoir la moitié de la pension de marié allouable à son conjoint dans le régime de pension des travailleurs salariés. Tant que le divorce n’est pas transcrit, les conjoints séparés ne peuvent être, au sens de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, considérés comme divorcés, l’article 76, alinéa 3 de celui-ci précisant que la pension de conjoint divorcé ne peut prendre cours qu’au plus tôt le premier jour du mois qui suit la transcription du divorce.

En conséquence, l’ex-épouse avait donc droit au paiement de la moitié de la pension et la cour considère qu’il y a lieu de confirmer le jugement – sauf en ce qu’il avait invité l’ONP à prendre une nouvelle décision pour la période ultérieure, chose faite entre-temps.

C’est, cependant, sur la demande de dommages et intérêts que la cour va se pencher plus particulièrement, puisque l’assuré social reproche à l’ONP d’avoir manqué à son obligation d’information et de conseil : pour lui, l’Office aurait dû l’informer de la nécessité de faire transcrire son divorce.

En effet, il considère que l’Office était au courant de sa situation et qu’il aurait dû l’informer des démarches à accomplir. En conséquence, l’ONP est responsable du fait que, pendant une période d’environ 4 ans, il n’a touché que la moitié du montant de sa pension.

C’est dès lors l’article 3 de la Charte qui est en cause, qui contient une obligation d’information à l’assuré social qui en fait la demande écrite, ainsi qu’une obligation d’initiative, en ce qui concerne les informations nécessaires au maintien des droits de l’assuré social. La cour rappelle qu’en vertu des travaux préparatoires, l’obligation d’information a une portée étendue et qu’il fut à l’époque souligné la nécessité pour l’administration de ne pas se contenter de réponses sommaires, celle-ci étant tenue de fournir une information détaillée et, éventuellement, d’anticiper dans les réponses qu’elle fournirait d’autres questions qui pourraient se poser. A l’article 3 de la Charte, il convient d’ajouter les obligations contenues à l’article 4, qui contient une obligation de conseil.

La cour relève cependant que les mêmes travaux préparatoires ont relevé que la matière des pensions est particulière et que les obligations d’information et de conseil peuvent se heurter à une certaine éthique : l’Institution de sécurité sociale doit-elle prendre parti pour un assuré social contre un autre ? La réponse est, pour la cour, bien évidemment négative, puisque ceci serait contraire au principe d’impartialité ou, à tout le moins, à ce qui a été qualifié de « principe général de délicatesse et d’objectivité », qui s’impose à toute administration. L’on ne peut donc, pour la cour, faire grief à l’ONP de ne pas avoir conseillé au pensionné de faire transcrire son divorce afin que son épouse soit privée du paiement d’une partie de sa pension, l’Office n’ayant pas à faire prévaloir les intérêts de l’un sur ceux de l’autre.

La cour considère, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu à dommages et intérêts, l’ONP n’ayant pas commis de faute.

Intérêt de la décision

Le devoir d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale est généralement compris très largement.

Dans le cas d’espèce tranché par la cour, la limite de ce devoir est évidente et il appartient à l’assuré social de veiller, plus particulièrement en matière de pensions, au respect de ses droits en cas de séparation ou de divorce.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be