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Acte équipollent à rupture et modification des fonctions

Commentaire de C. trav. Mons, 21 octobre 2011, R.G. 2010/AM/284

Mis en ligne le vendredi 24 février 2012


Cour du travail de Mons, 21 octobre 2011, R.G. n° 2010/AM/284

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 octobre 2011, la Cour du travail de Mons rappelle les principes en matière d’acte équipollent à rupture, dont il ressort que la constatation d’une modification substantielle de la fonction implique la rupture du contrat, peu importe l’intention de l’auteur quant à la volonté de rompre.

Les faits

Un employé est engagé en 1988 en qualité de « responsable des magasins ». Il a le statut d’employé et est chargé, en sus, de toute l’administration.

A la fin de l’année 2007, les prestations sont suspendues pendant près de six mois pour cause d’incapacité de travail. Lors de la reprise, l’employé considère qu’il ne peut plus exécuter les prestations conventionnellement convenues. Il demande sa réintégration dans ses fonctions. Il confirme cette demande dans un courrier recommandé, donnant un délai pour le respect du contrat et signalant qu’il se réserve de dénoncer l’acte équipollent à rupture.

Avant l’échéance du délai fixé par le travailleur, l’employeur lui écrit un courrier dans lequel il fait constater que la fonction ne permet plus de l’occuper à 100% et que, pour sauver son emploi, un travail complémentaire lui a été confié au service commercial. L’employeur relevant un incident survenu avant la période d’incapacité de travail et invoquant également cette absence dit avoir été contraint de revoir l’organisation du service commercial et d’en écarter l’employé. La société relève que les fonctions de magasinier ne l’occupant pas tout à fait, un complément de prestation lui a été attribué, au service fabrication. La société précise qu’à défaut pour le travailleur d’accepter cette formule, elle n’a d’autre choix que de mettre un terme au contrat.

La société le licencie quelques jours plus tard, moyennant un préavis de 20 mois. Suite à ce licenciement, l’employé demande de nouveau sa réintégration complète, faute de quoi il confirme son intention de faire constater l’acte équipollent à rupture et de réclamer l’indemnité compensatoire de préavis correspondante. Il dénonce le contrat quelques jours plus tard.

Suite à la procédure introduite par l’employé devant le Tribunal du travail de Charleroi, un jugement est rendu le 1er février 2010, concluant à l’existence d’un acte équipollent à rupture.

Décision de la Cour

Saisie de l’appel de la société, la cour est amenée à apprécier l’imputabilité de la rupture du contrat de travail, étant de savoir si celle-ci incombe à l’employeur (si l’acte équipollent à rupture est justifié) ou au travailleur (dans le cas contraire).

La cour reprend la jurisprudence relative à la notion et considère qu’il faut respecter la distinction fondamentale contenue dans divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 18 déc. 2000, Bull. 2000, p.1982) entre la modification d’un élément essentiel du contrat, qui entraîne la rupture sans qu’il faille rechercher si la partie au contrat avait la volonté de rompre et le manquement d’une des parties à l’une de ses obligations contractuelles. La cour y ajoute qu’il faut « sans doute » ajouter la modification unilatérale d’un élément non essentiel du contrat, qui dans la pratique se distingue difficilement du manquement. Il n’y a pas ici du fait de l’existence du manquement expression de la volonté de ne plus poursuivre l’exécution du contrat, de telle sorte que la rupture n’est pas automatique. Il conviendrait, pour ce second type de cas d’apporter la preuve de la volonté de rompre.

En ce qui concerne les éléments essentiels du contrat, certains de ceux-ci ne sont pas contestés : rémunération, fonctions, responsabilités, lieu et horaire de travail. La cour épingle un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1997 (Pas., 1997, I, 728) en ce qui concerne plus particulièrement les fonctions.

Force est de constater en l’espèce, à partir de la lecture de la correspondance, qu’il y a eu modification unilatérale des fonctions et que, même si l’intéressé se trouvait en préavis, il ne pouvait se voir attribuer d’autorité d’autres fonctions que celles contractuellement convenues entre parties. à‰tant responsable de magasin, l’employé ne pouvait devenir magasinier chargé en sus d’une prestation au service fabrication. Il y a modification. Celle-ci est substantielle et vise un élément essentiel du contrat.

La volonté de rompre n’importe pas, dans ce mécanisme.

La cour précise encore, et ce par le renvoi à l’article 1134 du Code civil, que l’élément essentiel d’un contrat est l’élément à défaut duquel la partie n’aurait pas accepté de le conclure et que le principe de l’autonomie de la volonté contenu dans l’article 1134 du Code civil implique à propos des éléments essentiels du contrat, que la modification unilatérale traduit la volonté de l’auteur de ne plus poursuivre l’exécution de celui-ci, au contraire de la modification d’un élément non essentiel, qui ne pourrait en elle-même entraîner une telle conclusion.

La cour renvoie encore au fondement de la théorie, qui est une construction juridique, qualifiée en doctrine de congé déguisé, implicite, tacite ou fictif. Elle se caractérise cependant par la circonstance que l’élément essentiel du contrat modifié même en l’absence de volonté de rompre de la part de l’auteur de la modification implique que le contrat ne sera plus exécuté aux conditions essentielles qui ont fait l’objet du consentement. En conséquence, à défaut d’accord de la partie qui subit la modification, le contrat ne peut plus être poursuivi et, bien que non voulue comme telle, la rupture s’impose.

Après avoir appelé le législateur à légiférer sur ce mode de rupture, la cour relève encore qu’il y a lieu d’appliquer le droit positif de la jurisprudence de la Cour de cassation, étant que dans cette hypothèse l’on ne cherche pas la volonté de rompre et que la sanction de l’acte équipollent à rupture a lieu selon le régime propre au contrat de travail, c’est-à-dire par le paiement de l’indemnité prévue à l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978.

La cour répond encore à un argument non dénué d’intérêt, étant que le travailleur a invoqué l’acte équipollent à rupture à deux reprises, d’abord avant la notification du congé et ensuite après que celui-ci est intervenu. Pour la cour, l’employé était légitimement en droit de penser qu’il fallait mettre à nouveau l’employeur en demeure de lui fournir le travail convenu, vu qu’un élément nouveau était intervenu depuis la première mise en demeure, étant le congé avec préavis.

Intérêt de la décision

La cour du travail rappelle ici qu’il serait souhaitable qu’une disposition légale règle la question du congé implicite, vu que l’acte équipollent à rupture reste une construction jurisprudentielle. Les exigences relatives au manquement constaté sont d’ailleurs diversement appréciées en doctrine et en jurisprudence.


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