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Invalidité : petit rappel des critères d’évaluation de la réduction de capacité de gain

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 21 juin 2011, R.G. 2007/AM/8.422

Mis en ligne le mardi 1er juillet 2014


Cour du travail de Liège (sect. Namur), 21 juin 2011, R.G. n° 2007/AM/8.422

Dans un arrêt du 21 juin 2011, la cour du travail de Liège reprend les principes de l’évaluation de la réduction de capacité de gain dans le cadre de l’état d’invalidité et insiste sur la nécessité de procéder à une appréciation individualisée et réaliste.

Les faits

Une dame K, âgée de 45 ans environ, lors de sa mise en incapacité de travail se voit notifier une décision d’aptitude près de 5 mois après avoir été reconnue invalide.

L‘I.N.A.M.I. examine la carrière de l’intéressée et considère qu’elle est en mesure d’exercer des fonctions de secrétaire, étant celles occupées lorsqu’elle est tombée en incapacité.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal désigne un expert, s’agissant d’une contestation médicale.

Après avoir débattu de la nature de la symptomatologie, l’expert et les sapiteurs qu’il mandate concluent à l’existence d’une fibromyalgie ou fatigue chronique. Partant de la littérature médicale qui considère que les personnes atteintes de cette maladie doivent être maintenues en activité légère tant que faire se peut sous peine d’aggraver leur handicap, l’expert conclut que la capacité fonctionnelle est compatible avec l’exercice d’une activité légère comme du travail de bureau.

Le tribunal conclut, en conséquence, à l’absence d’invalidité au sens de l’article 100.

Position de la cour

Après avoir rappelé le texte de l’article 100 de la loi coordonnée le 9 juillet 1994, qui définit les règles d’évaluation de la réduction de capacité de gain dans le secteur des soins de santé et indemnités, la cour renvoie à la jurisprudence de la cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 14 avr. 1995, R.G. n° 12.065), qui a rappelé que l’évaluation de l’incapacité doit être individualisée, les facteurs dont il faut tenir compte étant l’exercice antérieur d’une activité professionnelle ainsi que des facteurs propres à l’assuré social (possibilité réelle de reclassement, nationalité, langue, formation, rééducation professionnelle).

Il s’agit d’évaluer une incapacité économique et la référence au B.O.B.I ou à des barèmes est inappropriée.

Le législateur a considéré que lorsqu’une personne a une capacité inférieure au tiers de sa capacité normale, elle n’est pas apte au travail. Ceci signifie, pour la cour, que ce qui est pris en compte n’est pas un chiffre mais la possibilité concrète d’exercer une activité professionnelle.

Interviennent dans l’appréciation de la capacité non seulement la situation médicale de la personne, mais également sa condition (c’est-à-dire sa situation socio-économique) et sa formation. Par formation, il faut tenir compte des études faites, ainsi que des facultés intellectuelles et culturelles dont elle dispose, mais également de sa formation professionnelle.

L’article 100 de la loi fait, en effet, référence à la ‘personne de même condition et de même formation’, ce qui signifie, pour la cour, la condition sociale, le rang dans la société et la formation professionnelle, scolaire, éducative, culturelle et intellectuelle.

S’agissant de formation, la question de la remise à niveau peut se poser. La possibilité de remise à niveau d’une compétence est une question qui échappe à l’I.N.A.M.I., mais il y a lieu de vérifier si l’assuré social a les capacités d’entreprendre celle-ci, à la fois sur le plan physique et intellectuel : cet aspect de la question entre dans la compétence de l’I.N.A.M.I., qui doit apprécier la capacité de l’intéressé.

La nécessité de procéder à une évaluation individualisée implique que le pourcentage théorique retenu de l’atteinte à la capacité de gain n’est pas le même pour une personne ou pour une autre. L’on ne peut dès lors considérer apte au travail quelqu’un qui n’a que des chances illusoires ou chimériques de reprendre le travail et, dans cette appréciation, la cour rappelle avec la doctrine (GOSSERIES Ph., « L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance indemnités obligatoire », J.T.T., 1997, p. 77), que l’assuré social ne peut faire l’objet d’un déclassement ou d’une disqualification sociale. L’examen de chaque cas particulier passe dès lors par le profil de l’intéressé, les plaintes formulées et les pathologies constatées, les professions exercées ou pouvant l’être ainsi que la condition socioprofessionnelle.

Par ailleurs, dans les activités retenues, c’est l’ensemble des tâches la composant qui doivent pouvoir être effectuées et ces activités doivent exister réellement sur le marché du travail – sans toutefois que n’interviennent ici les effets de la concurrence ou de la conjoncture.

Enfin, la cour rappelle que l’invalidité prendra fin lorsque la personne pourra exercer un travail à temps plein et non à temps partiel ou comportant des limitations ou réserves à ce point importantes que l’intéressé sera dans l’impossibilité de trouver un travail adapté tenant compte de celles-ci.

La cour donne ici deux cas de jurisprudence confirmant ces principes : (i) une personne qui ne peut travailler que quelques heures par jour (même d’affilée) doit rester en incapacité de travail pour n’importe quelle activité et (ii) pour un travailleur d’un niveau scolaire très faible ne permettant pas d’envisager une reconversion et dont le poste doit être adapté vu l’impossibilité de travailler debout, il y a incapacité à exercer toute activité quelconque sur le marché général du travail dans le cadre d’un temps plein.

Après avoir rappelé ces principes, la cour en vient à l’examen du syndrome de fatigue chronique, dont elle souligne qu’il ne s’accompagne pas toujours d’une incapacité à travailler et pour lequel la littérature médicale encourage une activité physique. Ceci ne signifie pas qu’il faut y assimiler une reprise du travail, chaque cas devant être examiné séparément. Elle ajoute que la banalité des examens médicaux auxquels il a été procédé ne peut suffire à exclure l’état d’invalidité dès lors que l’intéressé peut ne pas présenter des symptômes objectivables. En ce qui concerne la reprise du travail, elle conclut qu’il faut faire pour ce type de pathologie une distinction fondamentale entre une pratique de certains exercices physiques ou de la kinésithérapie et un effort soutenu au travail.

La cour va sur ces bases examiner le dossier de l’intéressée, à partir des divers critères dégagés ci-dessus et rejeter tout examen autre que celui de la possibilité pour l’intéressée d’exercer une activité professionnelle à temps plein. Vu un ensemble de difficultés présentées par celle-ci (difficultés de concentration, impossibilité de soutenir un effort), la cour décide de désigner un nouvel expert, qui va examiner si elle est en mesure d’effectuer un travail de secrétaire à temps plein.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Liège rappelle de manière exemplaire l’ensemble des critères dégagés dans l’évaluation de l’incapacité de travail, ici de l’invalidité.

Le point de départ du raisonnement de la cour est l’exigence d’une appréciation individualisée, dans laquelle interviennent toutes les composantes de la situation socioprofessionnelle de la personne visée. En point de mire de l’évaluation figure la possibilité pour celle-ci d’exercer une activité professionnelle (c’est-à-dire lui permettant de gagner sa vie par le produit de son travail) ) temps plein, impliquant la possibilité d’effectuer l’ensemble des tâches visées par la profession.


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