Terralaboris asbl

Discrimination fondée sur le genre : changement de sexe et licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2014, R.G. n° 2011/AB/1.054 et n° 2011/AB/1.059

Mis en ligne le mardi 8 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2014, R.G. n° 2011/AB/1.054 et n° 2011/AB/1.059

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 février 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions d’un licenciement à la fois eu égard aux conditions de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et à la loi du 10 mai 2007 en matière de discrimination.

Les faits

Un ouvrier travaille dans le secteur du déménagement depuis 2006.

En 2008, son physique se modifie, vu qu’il a entrepris de se transformer en femme et deux ans plus tard, soit en 2010, il y a modification de son état civil. Entre-temps, il a été en incapacité de travail pendant une période de près de 4 mois en 2008 et pendant cette période d’incapacité, il a été remplacé par un autre ouvrier, engagé celui-ci à temps partiel (13 heures par semaine). Son retour étant prévu à la fin du mois de juillet 2008, il reprend contact avec un représentant de la société, qui va lui faire une légère avance sur salaire, avance actée dans un écrit, qui précise qu’elle est consentie vu l’imminence du retour au travail. Le jour prévu pour celui-ci, il est cependant licencié avec indemnité de rupture.

La procédure judiciaire

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en paiement des deux indemnités spéciales, étant celle pour licenciement abusif et celle prévue par la loi du 10 mai 2007.

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes intervient volontairement à la cause, aux fins de faire dire pour droit que le licenciement est discriminatoire, étant fondé sur le changement de sexe. L’institut réclame également 1 euro symbolique.

Position du tribunal du travail

Par jugement du 8 août 2011, le tribunal du travail ne vide pas totalement sa saisine, ordonnant une réouverture des débats sur une question annexe (prime de fin d’année). Il admet cependant la demande fondée sur l’article 63 mais rejette la demande pour discrimination. L’Institut est condamné à payer une indemnité de procédure, vu que la discrimination n’est pas retenue.

Appel est dès lors interjeté.

Les moyens des parties devant la cour

Les trois parties interjettent appel, l’Institut et l’intéressée demandant la réformation du jugement en ce qui concerne la discrimination et la société demandant à la cour de ne pas admettre le caractère abusif du licenciement.

L’Institut formule en outre a une demande spécifique, formée dans le cadre de mesures avant dire droit, étant la condamnation de la société à produire les statistiques de recrutement, ainsi que tous les documents établis dans le cadre de la dernière procédure de recrutement et notamment les différents CV reçus, l’annonce et les courriers adressés aux candidats non retenus et toutes autres notes.

Décision de la cour

La cour examine en premier lieu la demande relative au caractère abusif du licenciement. Elle passe en revue l’ensemble des motifs invoqués par la société, étant successivement la longue absence de l’intéressé, l’obligation de se réorganiser suite à la réduction de son volume de travail, ainsi que des éléments propres à son travailleur (à l’époque) étant sa compétence et sa conduite. Sur la base d’un examen scrupuleux des éléments de fait, la cour constate qu’aucun motif n’est dûment avéré, ainsi qu’exigé par la jurisprudence récente, qui renvoie d’ailleurs de manière réitérée à la notion du licenciement manifestement déraisonnable.

Elle en vient, ensuite, aux critères de la discrimination.

Après avoir rappelé les dispositions pertinentes de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, elle retient que la décision de licencier une personne en raison de son sexe ou de son changement de sexe constitue une discrimination interdite par la loi sauf si cette décision est justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Elle va dès lors voir dans un premier examen s’il y a eu discrimination, examen qui exige de vérifier d’abord si l’intéressée établit des faits permettant de présumer que le licenciement a été décidé en raison du changement de sexe et, dans l’affirmative, de voir si la société prouve le contraire.

La cour retient que quelques jours avant le licenciement, lorsque l’avance sur salaire a été octroyée, il n’avait pas encore été décidé du licenciement. Il est cependant relevé que, lors de cet entretien, la transformation de l’ouvrier en femme était évidente, vu sa tenue vestimentaire. La cour note que des conclusions déposées par la société elle-même, il est acquis que la nouvelle apparence féminine ne plaisait pas à l’employeur. Or, la cour relève que les vêtements de travail étaient portés dans l’exercice des fonctions, de telle sorte que l’impératif professionnel n’était pas visé par ces réticences. Elle en conclut que c’est le fait de voir son « ancien » ouvrier habillé en femme qui a été le moteur de la décision. Il s’agit d’un ensemble de faits convergents permettant de présumer qu’il y a discrimination. La cour constate que la société ne prouve pas le contraire, étant qu’elle n’établit pas de motif de licencient étranger au changement de sexe.

L’indemnité est dès lors due, indemnité forfaitaire de 6 mois.

La cour va encore, à ce stade, apporter des précisions quant à la nature de l’indemnité et les possibilités de cumul avec l’indemnité pour licenciement abusif. Elle rappelle un arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 (Cass., 20 février 2012, R.G. n° S.10.0048.F) qui a admis la possibilité de cumul d’indemnités dues suite à un licenciement si elles obéissent à des finalités distinctes et réparent des dommages distincts. Revenant sur la nature de l’indemnité pour licenciement abusif, elle rappelle qu’elle indemnise la perte injustifiée de l’emploi et a pour finalité d’augmenter la stabilité de celui-ci.

Quant au montant de l’indemnité de protection, qui est forfaitaire, il tend à être dissuasif, aux fins de garantir l’effectivité de l’interdiction légale. Il répare à la fois le préjudice moral et matériel subi par la victime de la discrimination.

La cour alloue dès lors les deux indemnités réclamées.

Enfin, sur la recevabilité des demandes de l’Institut (à savoir qui selon ses statuts peut prendre la décision d’agir en justice), la cour admet qu’il y a eu ratification de la décision prise par les organes dirigeants et que cette ratification, même si elle est intervenue après le prononcé du jugement, peut sortir ses effets à la date de la décision ratifiée.

Sur les demandes elles-mêmes, la cour constate cependant que les faits que l’Institut voulait dénoncer (politique de recrutement discriminatoire, incitation à la discrimination) ne sont pas avérés. La cour considère dès lors ne pas devoir faire droit à la demande de production de documents.

Intérêt de la décision

Cet arrêt procède, dans un examen très fouillé des éléments qui lui sont soumis, à une analyse rigoureuse des principes dans chacun des deux mécanismes de protection. La licéité du licenciement est vérifiée eu égard à l’ensemble des motifs possibles, dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, qui contient une présomption légale. La loi du 10 mai 2007 procède, par ailleurs, à une répartition de la charge de la preuve. La cour ayant dans un premier temps constaté l’existence de faits pouvait faire présumer d’une discrimination, elle conclut que la preuve contraire n’est pas rapportée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be