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Qu’entend-on par prestation de sécurité sociale au sens du Règlement (CE) 883/2004 ?

Commentaire de C.J.U.E., 16 septembre 2015, Aff. n° C-361/13

Mis en ligne le jeudi 10 décembre 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 16 septembre 2015, Aff. C-361/13, CE c/ République Slovaque

TERRA LABORIS ASBL

Dans deux arrêts du 16 septembre 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rejeté deux recours en manquement de la Commission Européenne contre un Etat membre, dont la législation maintient l’exigence d’une clause de résidence pour l’octroi d’allocations sociales.

Rétroactes

Dans l’espèce commentée, la Cour de Justice est saisie d’un recours en manquement contre la République Slovaque, qui refuse d’octroyer à des bénéficiaires résidant dans un autre Etat membre une « prime de Noël », prime accordée à certains bénéficiaires de pensions. Pour la République Slovaque, la clause de résidence est justifiée, ce que n’admet pas la Commission Européenne, qui considère qu’il s’agit d’une prestation de sécurité sociale et qui ne peut, dès lors, être soumise à une condition de résidence.

Décision de la Cour de Justice

La Cour reprend en premier lieu la définition du terme « pension » au sens du Règlement 883/2004 (art. 1er, w)). Ce terme comprend les rentes, les prestations en capital qui peuvent y être substituées ainsi que les versements opérés au titre de remboursement de cotisations et, encore, les majorations de revalorisation ou allocations supplémentaires (hors dispositions spéciales de son titre III).

Elle rappelle également un principe de base de la coordination, étant la levée des clauses de résidence. Celui-ci figure à l’article 7 du Règlement et signifie que les prestations en espèce dues par la législation d’un Etat ou par le Règlement lui-même ne peuvent faire l’objet de réduction, modification, suspension, suppression ou encore confiscation du fait que le bénéficiaire (ou sa famille) réside dans un autre Etat membre que celui de l’institution débitrice. La clause de résidence est, cependant, maintenue pour les prestations de sécurité sociale qualifiées de prestations spéciales à caractère non contributif. Celles-ci sont visées à l’article 70 du Règlement et figurent dans une Annexe à celui-ci (Annexe X), qui a un caractère limitatif.

La question posée est dès lors de déterminer si la prime de Noël, dont il s’agit, et qui est accordée à diverses catégories de bénéficiaires de prestations de sécurité sociale doit être comprise comme une prestation de sécurité sociale relevant du champ d’application du Règlement et, de ce fait, si elle peut – ou non - être soumise à la clause de résidence.

La Cour rappelle en premier lieu que, s’agissant d’un recours en manquement, elle a, dans divers arrêts, rappelé qu’il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué, celle-ci devant fournir les éléments nécessaires à la vérification par la Cour de Justice de son existence et qu’il n’existe en la matière aucune présomption.

Elle reprend ensuite une règle de base de la coordination, étant que la distinction entre les prestations relevant du champ d’application du Règlement et celles qui en sont exclues repose sur les éléments constitutifs de chaque prestation et notamment ses finalités et ses conditions d’octroi, et non sur le fait qu’elle est qualifiée ou non comme telle par la législation nationale.

Il y a prestation de sécurité sociale dans la mesure où une prestation est octroyée en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie et où elle se rapporte à un des risques énumérés expressément par le Règlement en son article 3, § 1er.

Examinant les conditions d’octroi de la prime en cause, la Cour note que, pour qu’il s’agisse d’une prestation de vieillesse, la prestation devrait être caractérisée par le fait qu’elle vise à assurer des moyens de subsistance à des personnes ayant atteint un certain âge, ayant quitté leur emploi et n’étant plus obligées de se mettre à la disposition de l’administration de l’emploi. Il pourrait s’agir, à ce titre, d’allocations supplémentaires, ainsi d’allocations versées exclusivement aux bénéficiaires de pensions de retraite et/ou de survie, dont les sources de financement seraient les mêmes que celles assurant le financement des pensions elles-mêmes, supplément qui permettrait aux bénéficiaires de se voir assurer un complément financier (en vue par exemple de prendre des vacances – la Cour renvoyant à l’arrêt NOTEBOOM du 20 janvier 2005, Aff. C-101/04).

En l’occurrence, le cercle des bénéficiaires comprenant également des titulaires d’autres pensions (invalidité, pension sociale, pension d’orphelin), la Cour constate que la Commission reste en défaut d’établir pourquoi l’on serait, dans ces conditions, en présence d’une prestation de vieillesse au sens de l’article 3, § 1er du Règlement, la finalité de l’avantage alloué étant en fin de compte d’assurer aux bénéficiaires de diverses pensions légales dont les revenus ne dépassent pas un certain seuil un complément à celles-ci. Elle a pour effet de compléter les moyens de subsistance de ces personnes et vient en quelque sorte adoucir la situation sociale difficile des allocataires à faible revenu.

La Cour retient également dans sa conclusion que, si un bénéficiaire a plusieurs pensions légales, il ne reçoit qu’une fois la prime de Noël et pour autant encore que le total du montant des pensions n’excède pas le seuil légal.

La Cour de Justice rejette dès lors le recours, au motif que n’est pas apportée la preuve qu’il s’agit d’une « pension de vieillesse », au sens du Règlement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice est l’occasion de rappeler que certaines prestations de sécurité sociale (qualifiées de prestations spéciales à caractère non contributif) sont soumises à une clause de résidence, le principe général du règlement de coordination étant, par contre, la levée de telles clauses sur le territoire de l’Union. Lesdites prestations ont un caractère limitatif, figurant dans une annexe au Règlement. Leur liste est issue de la jurisprudence de la Cour de Justice dans le cadre de l’application du Règlement 1408/71. Ces prestations ont un statut tout à fait particulier : elles ont été reconnues comme étant des prestations de sécurité sociale au sens du Règlement et non comme des prestations d’assistance sociale ou médicale (auquel cas elles en seraient exclues). Vu leurs spécificités, elles bénéficient cependant contrairement aux autres prestations du maintien de la clause de résidence et ne sont dès lors pas exportables. Dans la mesure, dès lors, où une prestation ne figure pas parmi celles-ci, elle sera soit exclue du Règlement soit soumise aux règles de coordination normales, étant l’exportabilité.

Il peut encore être souligné que, dans le second arrêt rendu le même jour, s’agissant d’une affaire similaire (C.J.U.E., 16 septembre 2015, Aff. C-433/13, CE c/ République Slovaque), il s’agissait d’allocations de garde, d’assistance et de compensation de surcoût prévues par la loi slovaque en cas de handicap grave. La Cour examine, dans cette seconde affaire, s’il s’agit de « prestations de maladie » au sens de l’article 3, § 1er sous a) du Règlement et aboutit, suite à son examen des conditions d’octroi, à la même conclusion, étant que ces prestations ne constituent pas des prestations de sécurité sociale au sens du Règlement.


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