Terralaboris asbl

Préavis des ouvriers licenciés pendant la « période oubliée » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 février 2015, R.G. 2014/AB/909

Mis en ligne le jeudi 14 janvier 2016


Cour du travail de Bruxelles, 4 février 2015, R.G. 2014/AB/909

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 4 février 2015, la Cour du travail de Bruxelles statue sur l’indemnité de préavis due à un ouvrier licencié pendant la « période oubliée » par le législateur, étant entre le 9 juillet 2013 et le 31 décembre 2013.

Les faits

Une ouvrière commis dans le secteur HORECA est licenciée par courrier du 31 juillet 2013 moyennant paiement d’une indemnité de rupture de 40 jours calendrier. Sont invoquées des raisons économiques et techniques.

Une contestation intervient quant au motif du licenciement, l’intéressée demandant à l’employeur d’apporter la preuve des motifs, dans le cadre de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Aucun accord ne se dégageant, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles en paiement de l’indemnité pour licenciement abusif, mais également d’une indemnité compensatoire de préavis correspondant à 3 mois de rémunération.

Le jugement

Par jugement du 1er août 2014, le tribunal du travail ne fait que partiellement droit à la demande, ne retenant ni le caractère abusif du licenciement au sens de la disposition ci-dessus, ni l’application de l’article 82 de la loi du 3 juillet 1978, allouant uniquement une régularisation de sommes.

Position de la partie appelante devant la cour

Le travailleur, appelant, plaide qu’il ressort de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juillet 2011 (C. const., 7 juillet 2011, n° 125/2011) que la différence entre la durée du préavis des ouvriers et des employés est inconstitutionnelle. La discrimination a été supprimée par la loi du 26 décembre 2013, entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Or, la Cour constitutionnelle avait donné deux ans au législateur pour mettre fin à l’inconstitutionnalité. Il y a donc une durée de 5 mois, après la date fixée par la Cour constitutionnelle qui ne fait pas l’objet de nouvelles dispositions législatives.

Dans la mesure où l’article 59 (fixant le préavis des ouvriers) a été déclaré inconstitutionnel et que le nouvel article 37 n’est entré en vigueur que le 1er janvier 2014, il y a lieu à appliquer aux ouvriers la seule disposition figurant dans la loi en matière de préavis, étant l’article 82 relatif aux employés.

La décision de la cour

La cour aborde dans un premier temps la question de l’application de l’article 63 aux relations contractuelles se terminant pendant la période litigieuse.

Suite à la loi du 26 décembre 2013, l’article 63 a été abrogé, et ce avec effet au 1er janvier 2014 (sauf pour certaines catégories de travailleurs, pour lesquels la disposition est maintenue).

Reste cependant en cause la question de son application pendant la période concernée, et la cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 décembre 2014 (C. const., 18 décembre 2014, n° 187/2014), qui a conclu à la violation par l’article 63 des articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour a cependant maintenu les effets de cette disposition jusqu’au 1er avril 2014.

Dans son arrêt du 4 février 2015 commenté, la cour du travail constate qu’au moment où elle statue, les règles de l’article 63 ne sont dès lors plus applicables, mais qu’elles l’étaient au moment du licenciement.

Eu égard à l’absence de preuves des motifs invoqués, la cour fait droit à la demande.

Mais c’est à l’indemnité compensatoire de préavis que la cour réserve de longs développements.

Sur cette seconde question, s’agissant de la détermination de l’indemnité compensatoire de préavis des ouvriers pendant la période litigieuse, la cour renvoie à la doctrine de J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « La période oubliée (du 9 juillet au 31 décembre 2013) », L’harmonisation des statuts entre ouvriers et employés, Anthémis, 2014, p. 416), selon qui la doctrine majoritaire conclut dans cette hypothèse à l’application de l’article 82, qui, lui, n’a pas été déclaré inconstitutionnel. C’est le principe du « levelling up ». Celui-ci a d’ailleurs été confirmé à diverses reprises dans la jurisprudence de la C.J.U.E.

Pour la cour, le tribunal devait dès lors sanctionner la discrimination, et ce en accordant à l’intéressée le même traitement que celui dont elle aurait bénéficié si elle avait été employée.

En l’espèce, cependant, la cour relève qu’elle n’avait pas droit à l’indemnité prévue à l’article 59 de la loi du 3 juillet 1978, celui-ci prévoyant d’ailleurs, à l’époque des faits, que le préavis devait être de 28 jours. Le contrat de travail a en l’espèce été conclu après le 1er janvier 2012 et le préavis pour ce type de contrat est en principe fixé par l’article 65, § 2 de la loi du 3 juillet 1978, inséré dans celle-ci par la loi du 11 avril 2011 (article 12). Cet article 65, § 2, a quant à lui été abrogé par la loi du 26 décembre 2013 et il n’a, par ailleurs, pas été déclaré inconstitutionnel dans l’arrêt 125/2011. Renvoyant encore à la doctrine de J.-F. NEVEN (id., ibid.), la cour rappelle qu’une juridiction du travail ne peut, au terme d’un raisonnement par analogie, tenir pour inconstitutionnelles d’autres dispositions législatives que celles qui ont été considérées comme telles par la Cour constitutionnelle, et ce quand bien même elle laisserait subsister des distinctions entre ouvriers et employés.

Mais dans le cas d’espèce, s’agissant de la C.P. 302 (HORECA), le délai de préavis a été fixé par l’article 3 de l’arrêté royal du 4 mars 2012, fixant les délais de préavis pour les ouvriers des entreprises ressortissant à la commission paritaire de l’industrie hôtelière. Il s’agit de l’exécution d’une autre disposition de la loi du 3 juillet 1978, étant son article 61. L’arrêté royal du 4 mars 2012 fixe le préavis, pour les travailleurs dépendant de cette commission paritaire, à 40 jours pour les ouvriers, pour une ancienneté se situant entre 12 mois et moins de 5 ans, et ce par dérogation aux dispositions de l’article 59.

Tout en relevant que cette disposition nouvelle a rapproché ouvriers et employés en ce qui concerne la durée de préavis, la cour relève que subsiste quand même une distinction entre eux, à ce moment le préavis restant plus court. Elle estime que celui-ci fait cependant partie d’un régime propre aux ouvriers, régime toujours en vigueur à l’époque, qui comprend des préavis (notamment de démission) plus courts, mais également le contrôle du motif de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, qui présente, comme la cour le précise, le niveau le plus élevé de protection contre le licenciement accordé aux ouvriers.

Elle conclut à l’existence d’une pesée des intérêts en présence et considère qu’il n’y a pas lieu d’interroger la Cour constitutionnelle sur la persistance de cette différence de traitement à l’époque pour ce type de préavis, considérant également qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de combler une lacune contraire au principe d’égalité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est une des rares décisions intervenues sur la question, celle-ci s’étant posée abondamment en doctrine. La cour renvoie d’ailleurs à l’ouvrage particulier sur la question, dans lequel cette période, du 9 juillet au 31 décembre 2013, a été qualifiée de « période oubliée ».

Si, en l’espèce, la cour est amenée à confirmer la justesse du préavis de 40 jours pour les motifs qu’elle a cru devoir retenir – étant essentiellement la persistance de l’article 63 à l’époque –, il n’échappera pas qu’il s’agissait en l’espèce d’un préavis dérogatoire, fixé dans un secteur particulier.

Dans la première partie de son raisonnement, la cour dégage cependant une solution autre, si le préavis avait été fixé sur la base de l’article 59 de la loi. Dans la mesure où cette disposition a été jugée inconstitutionnelle, elle n’existait dès lors plus à partir du 9 juillet 2013. La seule disposition du 3 juillet 1978 applicable était l’article 82 de la loi. Celui-ci n’a, ainsi qu’il est rappelé, pas été frappé d’inconstitutionnalité. Il est dès lors applicable.

L’on peut également renvoyer à cet égard à un jugement du 20 janvier 2015 du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles (Trib. trav. Brux., 20 janvier 2015, R.G. 14/3685/A), qui a conclu à l’applicabilité de l’article 82, renvoyant à la doctrine de B. LIETART (« Discriminatie van arbeiders, art. 39 Arbeidsovereenkomstenwet, versie 1978 en de arbeider », J.T.T., 2013, pp. 413 et s.).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be