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Nécessité d’un chien guide suite à un accident du travail : est-ce une prothèse ?

Commentaire de Trib. trav. Mons et Charleroi, (div. Charleroi), 21 janvier 2015, R.G. 10/799/A

Mis en ligne le jeudi 14 janvier 2016


Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, (div. Charleroi), 21 janvier 2015, R.G. 10/799/A

Terra Laboris ASBL

Dans un jugement du 21 janvier 2015, le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, div. Charleroi, rappelle la notion de prothèse dans le cadre de la réparation d’un accident du travail : il s’agit de tous moyens artificiels et moyens mécaniques dont une personne valide n’a pas besoin et qui sont nécessaires pour soutenir et remplacer des membres déficients ou affaiblis, ou encore pour en développer l’usage et les fonctions.

Les faits

Un réceptionniste a un accident du travail en juillet 2006 : ayant trébuché sur une caisse en carton, il se cogne violemment la tête et est mis en incapacité.

Celle-ci durera 4 mois et demi.

S’agissant d’un accident dans le secteur public, l’employeur notifie une décision en octobre 2008, fixant la consolidation au 27 mars 2008, sans incapacité permanente.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi (div. Charleroi).

La décision du tribunal

Un premier jugement, rendu le 9 juin 2010, ordonne une expertise judiciaire.

Après l’expertise, le tribunal statue, sur l’essentiel de la contestation (ne vidant cependant pas complètement sa saisine), par jugement du 21 janvier 2015. Il souligne que l’expert judiciaire a fixé la date de consolidation à la reprise du travail, soit au 1er décembre 2006, mais qu’il a retenu une incapacité permanente de travail, celle-ci étant très importante et étant évaluée à 85%.

Il y a en effet, dans les conclusions, prise en compte de signes subjectifs d’une aggravation de la perte d’acuité visuelle. Pour l’expert, moyennant l’aide d’un chien guide et de logiciels informatiques adaptés à son handicap, l’intéressé a pu reprendre ses activités habituelles, mais le dossier confirme une nette diminution de ses performances professionnelles. Pour l’expert judiciaire, il y a lieu de prévoir la capitalisation du chien guide et de logiciels informatiques en vue de limiter les conséquences des séquelles.

Le tribunal en vient ensuite à l’appréciation de ces conclusions, l’employeur public demandant l’écartement du rapport d’expertise au motif que l’état de santé de l’intéressé est dû à l’évolution de son état antérieur et qu’il est indépendant de l’accident du travail.

Le tribunal examine, en conséquence, si les conclusions de l’expert judiciaire sont conformes aux principes, étant que l’aggravation de la perte d’acuité visuelle doit être mise à charge de l’accident.

La réalité de cette aggravation n’est pas contestée, eu égard aux examens effectués par un sapiteur ophtalmologue. Pour le tribunal, les séquelles sont objectivées, le champ visuel gauche s’avérant irréalisable. En outre, l’on constate que le nerf optique est fragilisé (pathologie myopique et glaucomateuse) par un traumatisme céphalique.

Pour le tribunal, il faut appliquer la présomption de causalité figurant à l’article 2, alinéa 4, de la loi du 3 juillet 1967, étant que la lésion est présumée jusqu’à preuve du contraire trouver son origine dans l’accident. C’est une présomption identique à celle existant dans le secteur privé et celle-ci peut être renversée lorsque le juge a la conviction que la lésion ne trouve pas son origine dans l’accident. Le tribunal renvoie à un ancien arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 1987 à cet égard (Cass., 19 octobre 1987, n° 40.670). Ce n’est pas la certitude absolue qui est exigée, mais un haut degré de vraisemblance, pouvant entraîner la conviction du juge.

Reprenant également un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Liège, 30 mai 2002, R.G. 29.911/01), le tribunal retient que la mission du juge est d’apprécier si la présomption de causalité est renversée à suffisance de preuve contraire sur la base d’un haut degré de vraisemblance, et non sur celle du plus haut degré de certitude possible. Il renvoie également aux développements juridiques en jurisprudence et en doctrine sur le lien de causalité, soulignant qu’il est rare que les connaissances médicales permettent d’affirmer des certitudes.

En l’espèce, contrairement à ce qu’affirme l’employeur public – qui fait valoir que le rapport d’expertise confirme l’évolution de l’état antérieur –, le tribunal conclut qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir avec un haut degré de vraisemblance que les lésions n’ont pas été causées par l’événement soudain. En conséquence, la présomption légale doit valoir, le rapport étant cohérent, motivé et complet, ayant respecté le principe du contradictoire.

Le jugement poursuit sur la question des prothèses, étant qu’il s’agit d’un chien guide ainsi que de logiciels informatiques. Il renvoie à l’article 4 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (applicable en l’espèce), selon lequel la victime a droit à l’indemnisation des frais d’appareils de prothèse et d’orthopédie dont l’usage est médicalement reconnu nécessaire (2°), ainsi que des frais d’entretien et de remplacement de ceux-ci (3°).

Il y a lieu, en conséquence, d’examiner ce que l’on entend par « prothèse ». Plusieurs décisions de la Cour de cassation ont été rendues dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, dont l’enseignement peut être résumé comme suit : les prothèses et appareils orthopédiques visent tous moyens artificiels et moyens mécaniques dont une personne valide n’a pas besoin et qui sont nécessaires pour soutenir et remplacer des membres déficients ou affaiblis, ou encore pour en développer l’usage et les fonctions (Cass., 15 octobre 1990, n° 7.189 et Cass., 22 juin 2009, n° S.08.0139.N). Le terme « prothèse » ne doit pas être interprété restrictivement (Cass., 23 janvier 1995, n° S.94.0057.F).

Il faut examiner si le chien guide entre dans cette définition, étant qu’une personne valide n’en a pas besoin et qu’il a été rendu nécessaire suite à l’accident du travail aux fins ci-dessus. Un jugement du Tribunal du travail de Tongres du 28 septembre 2001 (Trib. trav. Tongres, 28 septembre 2001, Bull. Ass., 2002, 167, note VAN GOSSUM) a admis que le chien d’aveugle peut être considéré comme une « prothèse ». Le Tribunal de Mons et de Charleroi conclut dans le même sens.

Une réouverture des débats est ordonnée sur des questions plus techniques, étant le montant du coût ainsi que des frais annexes (toilettage, ostéopathie, nourriture, etc.).

La réouverture des débats porte également sur les logiciels informatiques, dans la mesure où l’intéressé produit des factures d’achat, mais le tribunal s’estime insuffisamment informé quant à la nécessité de ceux-ci, ainsi que sur le choix des logiciels en cause.

Intérêt de la décision

Ce jugement présente un intérêt particulier à deux titres.

L’on voit passer l’incapacité permanente de 0% à 85%, ceci résultant de la prise en compte des séquelles d’un état antérieur, dont l’expert judiciaire a considéré qu’il est particulièrement invalidant, étant qu’il limite considérablement la capacité concurrentielle de la victime. Cet état antérieur aggravé doit être mis à charge de l’accident, dans la mesure où la présomption légale de causalité n’est renversée en aucune manière.

Par ailleurs, sur la notion de prothèse, la question du chien guide a peu été abordée et le tribunal renvoie à cet égard à la rare jurisprudence en la matière : la notion de prothèse vise en effet des moyens artificiels et mécaniques dont une personne valide n’a pas besoin et qui ont été rendus nécessaires par l’accident. L’on notera que la Cour de cassation a retenu non seulement que ceux-ci doivent être nécessaires pour soutenir ou remplacer les membres déficients ou affaiblis, mais également pour en développer l’usage ou les fonctions.


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