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Règlement n° 1408/71 : obligation d’interprétation dans le sens de l’effet utile

Commentaire de C.J.U.E., 4 juin 2015, Aff. n° C-543/13

Mis en ligne le lundi 25 janvier 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 4 juin 2015, Aff. n° C-543/13

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 4 juin 2015, statuant dans le cadre des articles 27, 28 et 84bis du Règlement 1408/71, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle le lien entre la compétence d’un Etat membre pour servir les pensions ou rentes et l’obligation d’assumer la charge des prestations en nature, celles-ci étant l’accessoire de la compétence effective en matière de pension.

Rétroactes

La Cour de Justice est essentiellement interrogée sur l’article 27 du Règlement n° 1408/71. Celui-ci concerne les pensions ou rentes dues en vertu de la législation de plusieurs Etats membres, un droit aux prestations existant dans le pays de résidence. La question porte également sur l’article 84bis du Règlement, qui a trait aux relations entre les institutions et les personnes couvertes par celui-ci.

L’affaire est portée devant la Cour par le Centraal Raad van Beroep (Pays-Bas) dans une affaire où une pension néerlandaise a été octroyée en novembre 2007 avec effet rétroactif en mai 2006. L’intéressée pouvait, pour la période correspondante, prétendre à la prise en charge des prestations de maladie par l’institution compétente allemande, Etat dans lequel elle avait résidé jusqu’au 1er mai 2006 avant de s’installer aux Pays-Bas. Elle avait bénéficié depuis octobre 2004 d’une pension de veuve de l’institution allemande également, et, après son déménagement vers les Pays-Bas, elle s’était inscrite auprès de l‘assureur soins de santé néerlandais, la charge des prestations ayant incombé, en vertu du règlement européen, à l’institution allemande.

Vu les conditions de la loi néerlandaise, elle n’était pas tenue de cotiser aux Pays-Bas.

Pouvant prétendre à une pension dans ce pays également, et ce depuis 1999 (âge de ses 65 ans), elle ne sollicita cependant celle-ci qu’en mai 2007. Celle-ci lui fut payée avec effet rétroactif d’un an à compter de la demande. Ce changement de situation ne fut cependant pas porté à la connaissance des institutions allemande et néerlandaise compétentes pour les soins de santé. Ce n’est qu’en 2010 que la situation fut connue et une décision de retrait fut alors prise par l’institution néerlandaise, avec effet rétroactif au 1er juin 2006.

L’institution allemande restitua les cotisations acquittées par l’intéressée depuis le 1er juin 2006 et l’institution néerlandaise réclama à l’intéressée le paiement des frais de soins de santé qui avaient été remboursés à cette institution allemande. Elle faisait valoir que la législation néerlandaise n’admet pas que l’assurance soins de santé produise des effets rétroactifs (sauf au cas où elle serait souscrite dans les 4 mois ayant suivi la naissance de l’obligation d’assurance). L’intéressée était ainsi considérée comme n’étant pas couverte en soins de santé pour la période de juin 2006 à juillet 2010, cette dernière date étant celle à laquelle elle disposa d’une assurance soins de santé néerlandaise.

La question posée à la Cour était dès lors de savoir si l’institution néerlandaise avait le pouvoir de retirer avec effet rétroactif l’attestation de non-assurance, le juge national considérant à cet égard qu’il n’avait pas été suffisamment tenu compte des intérêts de la personne.

La décision de la Cour

La Cour rappelle que les circonstances de l’espèce sont particulières et qu’il lui est demandé de déterminer à partir de quelle date, dans celles-ci, les Pays-Bas sont devenus compétents en vertu de l’article 27 du Règlement à l’égard d’un titulaire de pension tel que l’intéressée.

Elle rappelle en premier lieu les principes dégagés dans différents arrêts, étant que les dispositions du Règlement déterminant la législation applicable constituent un système de règles de conflit à caractère complet. Il doit soustraire aux législateurs nationaux le pouvoir de déterminer l’étendue et les conditions d’application de leur législation nationale en la matière quant aux personnes y soumises et aux territoires à l’intérieur desquels ces dispositions nationales produisent leurs effets. Cette disposition s’impose de manière impérative aux Etats membres. A fortiori, les assurés sociaux ne peuvent, par des choix qu’ils porteraient, contrecarrer les effets de ces règles. Elles doivent trouver à s’appliquer, eu égard à la situation objective dans laquelle ces travailleurs se trouvent. C’est essentiellement la jurisprudence de l’arrêt VAN DELFT (C.J.U.E., 14 octobre 2010, Aff. n° C-345/09, VAN DELFT et alii c/ COLLEGE VOOR ZORGVERZEKERINGEN).

Par ailleurs, la désignation de la législation applicable a pour but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations, mais également d’empêcher que des personnes soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation applicable (C.J.U.E., 18 avril 2013, Aff. n° C-548/11, MULDERS c/ RIJKSDIENST VOOR PENSIOENEN). L’assuré social doit dès lors être couvert de manière continue sans que cette continuité puisse être affectée par des choix discrétionnaires opérés, que ce soit par les individus eux-mêmes ou par les institutions compétentes des Etats membres.

En ce qui concerne les articles 27 et 28 du Règlement, ils déterminent d’une part l’institution à laquelle il incombe de servir au titulaire de pension (ou rente) les prestations de maladie et de maternité et, d’autre part, l’institution qui en supporte la charge. Il y a donc un lien entre ces deux compétences : celle permettant de servir les pensions (ou rentes) et celle d’assumer la charge des prestations en nature, qui est l’accessoire de la première. Ces dispositions, qui visent la pension (ou rente) « due », doivent être lues comme visant la pension (ou rente) effectivement versée à l’intéressé.

En l’espèce, dès lors que l’attestation de non-assurance a été retirée avec effet rétroactif, l’intéressée ne disposait plus d’assurance soins de santé pour une période de 4 ans, et ce alors qu’elle avait valablement acquitté les cotisations en Allemagne. Cette situation aboutit à ce qu’elle a pu se voir verser une pension avec effet rétroactif (et ce pour une durée de plus de 4 mois), mais s’est trouvée par la suite dans l’impossibilité de satisfaire à ses obligations légales et de souscrire, dans cet Etat membre, une assurance soins de santé dans un délai lui permettant également d’en bénéficier rétroactivement, et ce alors qu’elle bénéficiait jusqu’alors de la prise en charge par l’institution de l’autre Etat membre. La législation néerlandaise fait donc, en l’espèce, qu’un assuré tel que l’intéressée est privé de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui lui serait applicable.

Les articles 27 et 84bis du Règlement ne peuvent autoriser cette situation. La Cour considère qu’ils s’opposent dès lors dans les circonstances examinées à la réglementation d’un Etat membre qui ne permet pas à ce bénéficiaire d’une pension, octroyée avec un effet rétroactif d’un an, de s’affilier à une assurance obligatoire soins de santé avec le même effet rétroactif. Cette situation aboutit en effet à priver le bénéficiaire de toute protection en matière de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice, qui reprend diverses décisions de sa jurisprudence sur la question, contient un double enseignement quant aux règlements de coordination en matière de sécurité sociale.

Un premier principe d’abord, étant que les règles qui déterminent la loi applicable sont des règles de conflit de loi et qu’elles s’imposent de manière impérative, les citoyens ou même les Etats ne pouvant, par des choix discrétionnaires, s’y soustraire.

Le but des règles elles-mêmes ensuite, étant d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations d’une part, mais de l’autre empêcher que des personnes soient privées de protection sociale faute de législation applicable.

Ce cadre permet en l’espèce de rappeler le lien entre les deux compétences définies aux articles 27 et 28 du Règlement 1408/71.


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