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L’assurance ‘gens de maison’ est-elle une assurance contre les accidents du travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 octobre 2015, R.G. 2013/AB/381

Mis en ligne le mardi 29 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 14 octobre 2015, R.G. 2013/AB/381

Terra Laboris

La cour du travail de Bruxelles a rendu le 14 octobre 2015 un arrêt très élaboré reprenant divers points importants intervenant dans la réparation d’un accident du travail mortel survenu à un travailleur en séjour irrégulier et mis au travail par des particuliers.

Les faits

Un travailleur étranger en séjour irrégulier est victime d’un accident mortel du travail après voir fait une chute alors qu’il élaguait des arbres de la propriété de particuliers. Les prévenus ont souscrit une assurance « gens de maison ».

L’assureur notifie rapidement aux ayants droit un refus d’intervention, faisant valoir que l’accident serait survenu alors que l’intéressé effectuait des travaux à plus de 8 mètres de haut alors que l’assurance ne couvrait que des travaux sur une hauteur d’un maximum de 5 mètres.

L’auditorat du travail ayant ouvert une information pénale, les deux propriétaires ont été cités devant le tribunal correctionnel du chef de diverses préventions dont celle d’avoir confié des travaux d’élagage d’arbres à un travailleur sans avoir pris les mesures nécessaires pour éviter les risques. La veuve et ses deux enfants se constituent parties civiles.

Au terme de la procédure pénale, ils sont condamnés par jugement du tribunal correctionnel à une peine d’emprisonnement et d’amende assortie d’un sursis. Le tribunal correctionnel se déclare incompétent pour connaître des demandes des parties civiles.

Une citation est lancée, en conséquence, en 2011, devant le tribunal du travail. Celle-ci vise à la fois l’assureur et le Fonds des accidents du travail. Sont demandées une rente viagère pour l’épouse, une rente pour la fille et une indemnité pour frais funéraires.

Les commettants des travaux sont cités en garantie.

Décision du tribunal

Le tribunal rend un jugement le 18 décembre 2012, qui fait droit à la demande et condamne l’assureur aux indemnités légales. Celle à l’encontre du FAT est dès lors non fondée et les autres considérées comme sans objet.

L’assureur interjette appel.

Moyens de la partie appelante devant la cour

C’est essentiellement la prescription qui est invoquée, des arguments étant cependant également soulevés en ce qui concerne le fond (absence de contrat de travail). L’assureur considère également qu’il n’intervient pas comme assureur loi et postule, enfin, que, si les exclusions de la police d’assurance ne sont pas opposables à la victime, les assurés le garantissent de toute condamnation prononcée contre lui.

Position de la cour

La cour examine, attentivement, la question de la prescription, l’assureur ayant notifié son refus d’assurance le 13 juillet 2004 et la procédure devant le tribunal du travail ayant été initiée le 1er avril 2011.

La prescription est de trois ans, conformément à l’article 69 de la loi et les causes d’interruption ou de suspension sont visées à l’article 70. La cour rappelle que, si les droits découlant de la loi du 10 avril 1971 ne peuvent être exercés contre l’employeur lui-même, il peut y avoir interruption de la prescription par une action en paiement du chef de l’accident du travail fondée sur une autre cause, intentée par la victime ou ses ayants droit contre ce dernier. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation (la cour du travail renvoyant à Cass., 7 décembre 1992, R.G. n° 9433). Il y a dès lors eu interruption de la prescription du fait de la constitution de partie civile dans le cadre de l’action pénale. L’effet de celle-ci est de faire courir un nouveau délai à dater de la décision définitive coulée en force de chose jugée.

Sur le fond, la cour rencontre, dans un premier temps les objections soulevées quant à l’existence d’un contrat de travail. Puisant dans les éléments du dossier répressif, elle y voit des indices d’autorité, de même que le fait que le commettant ait recruté le travailleur dans un café de Bruxelles (ou l’on pouvait trouver de la main d’œuvre clandestine – ainsi que le précise l’arrêt), ainsi que le fait que le matériel lui appartenait et que, avant de commencer son travail, le travailleur ne savait pas ce qu’il allait devoir faire. La loi s’applique donc.

Un problème spécifique se pose, cependant, étant l’assurance « gens de maison ». L’assureur plaide en effet qu’il intervient en cette qualité et non en qualité d’assureur « accidents du travail ». Il ne devrait dès lors couvrir que des sinistres se produisant dans l’exercice d’un contrat de travail domestique.

La cour constate d’abord que la police d’assurance se réfère expressément à la loi du 10 avril 1971 et qu’elle inclut les prestations de jardinier. Elle aborde néanmoins la question théorique, étant que tout employeur a l’obligation d’assurer un travailleur, même s’il est travailleur domestique, contre les accidents du travail. L’entreprise d’assurances couvre ainsi tous les risques définis dans la loi et ce pour tous les travailleurs au service de l’employeur et pour toutes les activités auxquelles ils sont occupés.

L’assurance « gens de maison » est une assurance contre les accidents du travail, aucune exception à cet égard ne figurant dans la loi.

Enfin, en ce qui concerne la question du risque couvert (l’intéressé ayant fait des travaux à une hauteur de plus de 8 mètres alors que la couverture d’assurance ne semblait pas viser ceux-ci), la cour renvoie au jugement du tribunal du travail, dont elle s’approprie la motivation. Il y a une assurance « accidents du travail » et il ne peut être opposé au travailleur une cause d’exclusion d’intervention. La législation est en effet d’ordre public. Tous les risques définis aux articles 7 et 8 de la loi doivent dès lors être couverts. La cour ajoute que la seule cause légale d’exclusion est l’accident causé intentionnellement (art. 48). L’assureur loi doit dès lors intervenir, par application de l’article 46, § 2 de la loi.

Dans la fixation des indemnités, la cour renvoie, pour la rémunération de base, à un salaire théorique (que le FAT a d’ailleurs calculé) basé sur les salaires applicables au sein de la commission paritaire n° 145.4 (entretien de parcs et jardins).

L’indemnisation légale est dès lors due.

L’assureur a, à titre subsidiaire, introduit une demande incidente aux fins d’entendre les assurés condamner à le garantir. Pour la cour, ce chef de demande est indépendant de l’action en paiement des indemnités et il ne présente aucun lien de connexité avec celle-ci. La demande est plutôt une action récursoire contre le preneur d’assurances et, à cet égard, la cour du travail ordonne la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, qui aborde la question de la réparation à octroyer aux ayants droit d’une victime d’un accident du travail mortel, pour un travailleur non déclaré, présente divers points d’intérêts évidents.

Le premier – peu souvent rencontré – est la question de la prescription de l’action.

La cour y rappelle les modes d’interruption autorisés, reprenant un mode tout à fait spécifique à la matière, contenu à l’article 70 de la loi du 10 avril 1971 qui autorise que soit interruptive une action introduite en paiement du chef de l’accident du travail fondée sur une autre cause. Dans un arrêt du 7 décembre 1992 (R.G. n° 9433), la Cour de cassation a admis que l’action en paiement du chef de l’accident fondée sur une autre cause intentée par la victime ou ses ayants droit contre l’employeur lui-même est admise. En l’occurrence, la constitution de partie civile devant les juridictions pénales constitue une telle action.

Un deuxième point d’attention est la couverture « gens de maison », à propos de laquelle l’assureur tentait de faire admettre qu’il n’intervenait pas en tant qu’assureur « accidents du travail ». Vainement, et ce tant vu les termes de la loi que ceux de la police.

L’arrêt est encore intéressant sur la question du point de départ des intérêts, distinguant les intérêts de retard sur les indemnités pour frais funéraires et frais de transport du corps vers le pays d’origine d’une part et les intérêts légaux dus de plein droit sur les rentes dues à la veuve et à l’enfant de l’autre. Celles-ci constituent la réparation de dommages résultant du décès. Les intérêts sont de nature compensatoire, constituant un complément d’indemnités. Ils sont dès lors dus à partir de la date du décès de la victime.


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