Terralaboris asbl

Travailleurs migrants et allocation de garantie de revenus : la réponse de la Cour de Justice de l’Union européenne

Commentaire de C.J.U.E., 7 avril 2016, Aff. n° C-284/15 (ONEm c/ M et M c/ ONEm et CAPAC)

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 7 avril 2016, Aff. n° C-284/15 (ONEm c/ M et M c/ ONEm et CAPAC)

Terra Laboris

Par arrêt du 7 avril 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne a répondu à la question préjudicielle posée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 27 mai 2015 sur l’interprétation de l’article 67.3 du Règlement 1408/71, étant de savoir s’il s’oppose à ce qu’un Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi au niveau de l’examen des conditions d’admissibilité d’une prestation de chômage telle que l’allocation de garantie de revenus en l’absence de période d’assurance ou d’emploi dans cet Etat.

Les faits

Un musicien tchèque quitte la Tchéquie, où il avait la qualité de salarié, et vient s’installer en Belgique.

Il trouve un emploi à temps très partiel comme professeur et sollicite, lors de la prise de cours de celui-ci, le bénéfice des allocations de chômage avec garantie de revenus. A l’issue de l’année scolaire, il demande à bénéficier des allocations de chômage à temps plein (un second litige surviendra pour la période ultérieure, vu le nombre insuffisant d’heures de prestations hebdomadaires).

Les arrêts de la Cour du travail de Bruxelles

La Cour du travail de Bruxelles a rendu deux arrêts, en date des 24 octobre 2014 et 27 mai 2015.

L’arrêt du 24 octobre 2014

Cet arrêt statue sur l’admissibilité eu égard aux prestations effectuées en Tchéquie (temps plein ou temps partiel). Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation (n° S.15.0024.F).

L’arrêt du 27 mai 2015

Celui-ci vise essentiellement la question des allocations de chômage avec garantie de revenus.

La cour a rappelé les conditions d’octroi de cette allocation, ainsi que les conditions d’admissibilité eu égard au travail à l’étranger. L’arrêt rappelle que l’article 37, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 admet la prise en compte de travail effectué à l’étranger si, après celui-ci, le travailleur accomplit des périodes de travail comme salarié en vertu de la réglementation belge. La cour renvoie à l’arrêt CHATEIGNIER (C.J.U.E., 9 novembre 2006, Aff. n° C-346/05) – exigence valant tant pour les belges que pour les ressortissants d’un autre Etat membre.

La cour décide ensuite d’interroger la Cour de Justice sur l’allocation de garantie de revenus, qui a pour vocation de compléter le salaire perçu dès lors que le chômeur a accepté une activité à temps partiel, la question se posant de savoir s’il peut être considéré comme un travailleur à temps partiel avec maintien des droits. Ceci renvoie à la condition selon laquelle, au moment du début de l’activité, l’intéressé devait satisfaire à toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi eu égard aux allocations accordées aux personnes ayant travaillé à temps plein. Lorsque l’intéressé a demandé les allocations, il n’avait cependant pas encore accompli des périodes de travail comme salarié, la demande étant concomitante à la signature du contrat.

La cour pose dès lors la question de savoir s’il n’y aurait pas entrave à la libre circulation du fait qu’un tel travailleur, qui n’a pas travaillé précédemment en Belgique, n’aurait ainsi pas droit à l’allocation de garantie de revenus alors qu’il occuperait un emploi à temps partiel faiblement rémunéré et qu’il pourrait de ce fait être dissuadé de postuler pour celui-ci.

La décision de la Cour de Justice

La Cour est en réalité saisie de deux questions, la première (déterminant l’examen de la seconde) portant sur le fait de savoir si l’article 67.3 du Règlement 1408/71 (applicable à l’époque) s’oppose à ce que, lorsqu’aucune période d’emploi ou d’assurance n’a été accomplie dans l’Etat membre dans lequel est introduite une demande d’allocations de chômage, les périodes d’emploi dont l’accomplissement est une condition de l’octroi ne soient pas totalisées. Elle y répond par la négative.

Elle dégage sa solution en suivant le raisonnement suivant.

Le demandeur de la prestation de chômage destinée à compléter les revenus perçus dans un emploi à temps partiel (allocation dont l’objectif est d’éviter qu’un chômeur à temps plein soit dissuadé d’accepter un travail à temps partiel) doit réunir au moment où il entreprend cette activité à temps partiel les conditions exigées pour le travailleur à temps plein.

Si ces conditions ne sont pas remplies, il faut vérifier si l’article 67.3 du Règlement s’oppose à ce que ne soient pas prises en compte des périodes de prestations similaires dans un autre Etat dès lors que des périodes de travail ou d’assurance n’existent pas dans l’Etat où les prestations sont demandées.

Si un demandeur d’emploi n’a jamais été soumis à la législation sociale de l’Etat membre où il demande à percevoir les allocations de chômage et n’a pas accompli en dernier lieu des périodes d’assurance ou d’emploi conformément à la législation de celui-ci, il ne peut pas bénéficier de ces prestations au titre de l’article 67. Cette disposition ne s’oppose pas à ce qu’un Etat membre refuse la totalisation des périodes d’emploi nécessaires à l’admissibilité au bénéfice de l’allocation de chômage qui vient compléter les revenus d’un emploi à temps partiel lorsqu’il n’y a pas eu, avant cet emploi, de période d’assurance ou d’emploi dans l’Etat même. Par ailleurs, la prise en compte de périodes accomplies sous d’autres législations est uniquement régie par l’article 67 et l’article 3 (égalité de traitement) n’est pas applicable dans ce cas pour vérifier s’il y a discrimination indirecte.

La Cour répond ensuite brièvement sur la conformité de cette même disposition (article 67), aux articles 45 et 48 TFUE, ainsi que 15.2 de la Charte, et déclare ne pas avoir découvert, dans l’examen de ces dispositions, d’éléments de nature à affecter la validité de l’article 67. L’article 48 TFUE n’interdit en effet pas au législateur européen d’assortir la libre circulation des travailleurs de conditions dans les facilités qui leur sont accordées ni d’en fixer les limites. L’article 52.2 de la Charte dispose par ailleurs que les droits qu’elle reconnait et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les limites et conditions définies par ceux-ci. Tel est le cas de l’article 15.2, qui vise notamment la liberté de circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE.

Elle conclut dès lors que la norme européenne ne s’oppose pas au refus de la totalisation des périodes d’emploi nécessaire à l’admissibilité aux allocations de garantie de revenus lorsque l’occupation dans cet emploi n’a été précédée d’aucune période d’assurance ou d’emploi dans l’Etat même.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice a considéré que la question doit se mouvoir uniquement dans le cadre de l’article 67 du Règlement n° 1408/71, sans prendre en compte les effets discriminatoires ou d’entrave à la libre circulation qui avaient été relevés. L’on pointera l’argumentation de la Commission européenne, selon laquelle il pourrait y avoir une discrimination indirecte prohibée par l’article 3 du même Règlement. La Cour de Justice a rejeté que l’on puisse retenir l’existence d’une telle discrimination dans le Règlement lui-même, puisqu’elle a considéré que le litige ne devait pas quitter le cadre de l’article 67.

L’arrêt renvoie par ailleurs à la jurisprudence VAN NOORDEN (C-272/90), MARTINEZ LOSADA (C-88/95, C-102/95 et C-103/95) et VERWAYEN-BOELEN (C-175/00) pour la règle selon laquelle une personne qui n’a pas accompli en dernier lieu des périodes d’assurance ou d’emploi conformément à la législation d’un Etat membre ne peut pas bénéficier de prestations de chômage de cet Etat au titre de l’article 67. Il renvoie également à l’affaire GRAY (C-62/91) pour rappeler que le Conseil a fait correctement usage de son pouvoir d’appréciation en fixant des conditions qui visent à promouvoir la recherche de travail dans l’Etat où la personne a versé en dernier lieu des cotisations d’assurance chômage et à faire supporter par celui-ci la charge des prestations correspondantes.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be