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Discrimination à l’embauche sur la base de l’âge : action en cessation

Commentaire de Trib. trav. Gand, 2 mai 2016, R.G. 15/767/A

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2016


Tribunal du travail de Gand, 2 mai 2016, R.G. 15/767/A

Terra Laboris

Par jugement du 2 mai 2016, le Tribunal du travail de Gand fait droit à la demande du Centre pour l’Egalité des Chances (actuellement UNIA) et d’un travailleur d’ordonner la cessation (avec astreintes) d’actes de discrimination lors du recrutement de travailleurs indépendants, et ce eu égard à l’âge du candidat.

Les faits

Une société de vente de cuisines équipées poste sur son site une annonce de recrutement d’un vendeur avec le statut d’indépendant. Monsieur S. répond, transmettant son curriculum vitae. Un courriel lui est envoyé en retour, précisant que son profil est parfait à l’exception de son âge. Le correspondant ajoute qu’il est désolé de la chose, mais qu’il pense préférable de le dire afin que Monsieur S. sache pourquoi il n’est pas invité à un entretien.

Le Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances se met en branle, immédiatement, faisant valoir le dispositif des articles 14 et 18, § 2, 2°, de la loi anti-discrimination, qui prévoit l’octroi d’une indemnité forfaitaire de 6 mois en cas de discrimination dans les relations de travail. La preuve de celle-ci est le mail envoyé par la société.

Celle-ci ayant fait choix d’un conseil, son avocat admet que la chose est malheureuse, mais qu’il n’était pas dans l’intention de l’auteur du mail de discriminer l’intéressé. Vu la situation, il propose de payer 650 €.

Pour le Centre, l’indemnité à allouer doit être fixée à six fois la rémunération mensuelle payée par la société à ses vendeurs indépendants. Une mise en demeure infructueuse ayant été adressée, la procédure est introduite devant le tribunal.

La décision du tribunal

Le cadre légal est bien sûr la loi anti-discrimination et le tribunal rappelle la teneur des articles 4, 5, 14 et 28 de celle-ci. Il considère qu’il s’agit en l’espèce manifestement d’une discrimination directe.

Les parties demanderesses ayant apporté les éléments permettant de conclure à la discrimination, le tribunal constate que la société n’apporte pas la preuve contraire. Celle-ci fait en effet valoir en vain que, si l’intéressé n’a pas été convoqué, c’est qu’elle a eu, dans un passé récent, des mauvaises expériences avec des travailleurs plus âgés, argument que le tribunal considère comme ne pouvant justifier objectivement la décision prise.

En ce qui concerne les mesures demandées, celles-ci sont de trois ordres, étant la cessation des actes discriminatoires, la publication du jugement et des dommages et intérêts.

Sur le premier point, se pose la question de la pertinence de la mesure, dès lors que l’intéressé n’a pas été convoqué pour un entretien et qu’il s’agit d’une situation passée. La question est donc de savoir si, au moment où l’action a été introduite, la discrimination existait encore. Dans une telle hypothèse, ce qu’il faut examiner c’est la possibilité d’une répétition d’un tel comportement à l’avenir, dans la mesure où, si cette répétition n’existe pas, l’action en cessation ne peut être accueillie à défaut d’intérêt. Vu que la société fait régulièrement appel à des vendeurs indépendants, le tribunal considère qu’il n’est pas exclu qu’à l’avenir, la situation se reproduise. Il ordonne dès lors la cessation de tout acte de discrimination tant vis-à-vis de Monsieur S. que de tout autre candidat, interdiction assortie d’une astreinte de 1.000 €.

Pour ce qui est de la publication du jugement, mesure prévue par la loi, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de Justice du 10 juillet 2008 (C.J.U.E., 10 juillet 2008, Aff. n° C-54/07, CENTRUM VOOR GELIJKHEID VAN KANSEN EN VOOR RACISMEBESTRIJDING C/ FIRMA FERYN NV), selon laquelle l’injonction faite à l’employeur de cesser une pratique discriminatoire assortie le cas échéant d’une astreinte, a le caractère d’une sanction. Les sanctions en la matière doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. La publication dans trois journaux nationaux et un autre régional est disproportionnée, mais le tribunal ordonne un affichage en extrait du jugement à un endroit bien visible de l’ensemble des personnes susceptibles de se trouver au siège social, et ce pendant un mois, affichage également assorti d’une sanction et élargi aux magasins de la société.

Enfin, pour ce qui est de la demande de dommages et intérêts, les règles figurent aux articles 18 et 20 de la loi. L’intéressé demande une indemnisation de 6 mois de rémunération brute, conformément à l’article 18, § 2, 2°. Cette demande est basée non seulement sur un dommage moral, mais également sur un dommage matériel, le tribunal admettant l’un et l’autre. Il relève que l’indemnité de 650 € ou de 1.300 € visée à l’article 18, § 2, 1°, de la loi ne concerne que le dommage moral.

Le tribunal admet que l’ensemble du dommage peut être réparé par l’octroi d’une indemnité forfaitaire égale à la rémunération de 6 mois, conformément à l’article 18, § 2, 2°, et rejette la limitation légale de 3 mois autorisée si l’employeur démontre que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination.

Par ailleurs, il considère que la notion d’employeur au sens de cette disposition doit être comprise eu égard aux définitions données à l’article 4, 1°, de la loi, qui vise parmi les relations de travail la relation de travail indépendant. C’est dès lors une acception large de la notion d’employeur qui est retenue. Le tribunal aboutit, dans ses motifs, à un montant forfaitaire de 25.000 €, calculé sur la base du mode de rémunération des vendeurs indépendants (commissions).

Enfin, il ordonne l’exécution provisoire du jugement.

Intérêt de la décision

Il est assez exceptionnel de constater une discrimination directe dans les relations de travail et, encore plus, une discrimination sur la base de l’âge, dont la preuve a aussi aisément pu être établie, vu l’écrit déposé.

Le tribunal a à juste titre repris les conditions d’indemnisation visées à l’article 18 de la loi, qui prévoient plusieurs modes de réparation du préjudice. Celui-ci peut être indemnisé dans le cadre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle (article 18, § 1er, 1er alinéa). Dans les hypothèses de l’article 18, § 2, la victime a le choix entre une réparation forfaitaire (fixée dans ce texte) ou la réparation du dommage réellement subi, hypothèse dans laquelle elle devra prouver l’étendue de son préjudice.

Dans l’hypothèse de l’octroi de dommages et intérêts forfaitaires, l’article 18, § 2, 1°, vise l’indemnisation forfaitaire du préjudice moral, celle-ci étant fixée à 650 € ou doublée dans le cas où le contrevenant ne peut démontrer que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination ou en raison d’autres circonstances (telles que la gravité du préjudice moral subi). En cas de dommage moral et matériel, l’article 18, § 2, 2°, fixe la sanction forfaitaire à 6 mois de rémunération brute, à moins que l’employeur ne démontre que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination (hypothèse dans laquelle l’indemnité forfaitaire est de 3 mois).

Si le préjudice matériel résultant d’une discrimination peut néanmoins être réparé par le biais de l’application de la sanction de nullité de l’article 15, les dommages et intérêts forfaitaires sont fixés selon les dispositions de l’article 18, § 2, 1°.

Relevons encore sur cette question que, dans un arrêt du 14 décembre 2015 (S.12.0119.N et S.12.0154.N), la Cour de cassation a précisé que, lorsque la victime d’une discrimination établie dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale réclame un montant forfaitaire au titre de réparation du préjudice matériel et moral subi et que l’employeur démontre que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l’absence de discrimination, elle a droit à une indemnisation de trois mois de rémunération brute. La sanction de l’article 15 (nullité) ne s’applique pas s’agissant de déterminer le préjudice matériel dans une telle hypothèse.


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